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AVANT-PROPOS.

Ce livre ne date pas d'hier; les bases en furent jetées il y a trente ans.

L'auteur de ces pages ayant assisté aux saturnales qui signalèrent les premières représentations d'Hernani, fut vivement impressionné de ces prétentions littéraires qui avaient recours à des menaces, à des hurlements et à des moyens de conviction plus ad hominem encore pour se faire accepter du public.

Cette tyrannie lui parut une anomalie dans un pays où la liberté est mise à si haut prix.

L'idée lui vint alors de réunir tout ce qui pouvait concerner cette nouvelle école littéraire, et son fonds s'est enrichi, pendant trente ans, de tout ce qu'il a pu recueillir. Chaque jour lui amenait quelque nouveau trésor d'observation. Amis et ennemis y ont contribué,

tous y ont travaillé; aussi ce livre peut, à bon droit, s'appeler l'ouvrage de tutti quanti.

En jetant un regard rétrospectif vers 1828 et 1829, l'auteur est tenté de s'écrier avec le créateur d'Athalie: «Que les temps sont changés !... »

Il y avait alors, parmi ceux dont il est question dans cet ouvrage, des hommes qui marchaient la tête ornée d'une sublime auréole; la foule les admirait et les aimait. Peu à peu les rayons de leur auréole se sont affaiblis; puis ils ont complétement disparu ! ! !...

Aujourd'hui, qu'en reste-t-il? La déconsidération a pris la place de l'admiration.

Octobre 1859.

INTRODUCTION.

La Société d'agriculture, sciences et arts de la Marne, mit au concours, en 1850, la question suivante: « Quelle a été en France, depuis vingt ans, >> l'influence de la littérature du théâtre sur l'esprit >> public et les mœurs? »

La question avait un but éminemment moral; elle méritait d'être bien approfondie, car elle devait expliquer des choses qui, sans cela, seraient inexplicables. Mais, comme tout s'enchaîne, il y fallait une préface, qui fît comprendre la phase littéraire des vingt années, qui furent celles du règne de LouisPhilippe. Cette préface, on la trouve dans un passage du discours d'ouverture du Cours de poésie française, par M. Saint-Marc Girardin, en janvier 1855, et dans lequel il disait :

<< De tous les témoignages de l'état d'une société, » la littérature est le plus sûr et le plus expressif. Il >> faut donc étudier l'histoire des littératures pour » comprendre l'histoire des sociétés. Mais il faut >> aussi étudier l'histoire des sociétés pour comprendre » l'histoire des littératures. Sans cela nous serons ex» posés à prendre les fantaisies et les bagatelles de la » littérature pour la littérature elle-même. Il y a dans >> la littérature, comme dans l'histoire, des nouveautés

» passagères et des nouveautés durables. Comment >> distinguer les unes des autres? Comment ne point » se tromper? Les nouveautés durables sont celles >> qui répondent à l'état de la société; les nouveautés » passagères, celles qui expriment le caprice de l'i» magination. L'histoire de la littérature sans l'his>>toire de la société n'est que l'histoire de l'empire >> des vents.

>> Cette alliance des deux histoires pour les com» prendre l'une par l'autre est nécessaire, surtout en » France. Nulle part ailleurs, la littérature n'a eu plus » de part dans l'histoire de la société. Prenez la grande » Révolution de 89, elle est le résumé de la littérature » du xvIIIe siècle, en bien comme en mal; c'est la lit» térature qui en France a créé la société moderne ; » et de même que la littérature du xvi siècle a » produit la société de 89, qui est, je le crois, une >> nouveauté durable, les caprices de l'imagination >> littéraire en France de 1840 à 1848, ont aidé à la » Révolution de 1848, qui n'a été qu'une nouveauté » passagère. La Révolution de 89 avait ses causes » dans la nature même des esprits en France; elle a » duré. La Révolution de 1848 n'avait ses causes » que dans les fantaisies de la mauvaise littérature, >> dans les passions érigées en doctrines, dans les » odieuses peintures que le roman faisait de la so» ciété, aussi n'a-t-elle point duré. 1848, dans notre >> histoire, ne mérite pas d'être autre chose qu'un » accident fatal, sans cause et sans durée. C'est une » scène des Mystères de Paris.

» Tel est chez nous l'ascendant de la littérature, en

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