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GLOIRES DU ROMANTISME.

I

La vocation poétique de M. de Lamartine.

En parlant de l'histoire du fauteuil occupé par M. de Lamartine à l'Académie, la Bibliographie catholique traite de la vocation poétique de M. de Lamartine.

C'est un résumé très-remarquable; il nous fait assister aux débuts du poëte, le tout puisé aux sources les plus authentiques et d'après ce que l'auteur dit lui-même à ce sujet dans ses divers ouvrages.

Nous croyons donc devoir le reproduire ici :

« M. de Lamartine a souvent raconté l'histoire de sa vo>> cation poétique dans les Confidences, dans une préface » des Méditations, et surtout dans le trentième entre» tien de son Cours de littérature: Comment je suis devenu » poëte. » D'abord, la nature, dit-il dans cet entretien, puis » l'imagination, puis la piéfé, puis l'amour, me donnè>> rent les premiers instincts, puis les premières leçons de » poésie. » Et là, il raconte les premières impressions » d'une lecture du Tasse et de Mérope, entendue de la >> bouche de son père à Milly, sa vie d'enfance passée dans >> les champs, son éducation à Belley, au sein d'une na»ture splendide, les extases de sa piété d'enfant, et enfin » la première émotion donnée à son cœur par l'amour de » Graziella. Ailleurs, il parle d'une visite faite avec son

» père chez un vieux poëte mythologique, de la poésie des >> Psaumes que lui apprenait sa mère. Tantôt, c'est au » collége qu'il aurait modulé ses premiers vers et ses pre>> miers cantiques; tantôt, c'est au sortir du collége seu»lement qu'il aurait eu ses vagues pressentiments de » poésie. A travers tous ces souvenirs légèrement contra>> dictoires, ce qui nous frappe le plus dans le récit de sa >> naissance poétique racontée par lui-même, c'est, d'un >> côté, le souvenir d'une lecture de Châteaubriand au col>> lége du Belley; et, de l'autre, le souvenir d'Ossian lu sur >> les montagnes, sous les sapins, dans les nuages, à tra>> vers les brumes d'automne, aux frissons des vents du »> nord, au bouillonnement des eaux de neige dans les >> ravins. « Ossian, dit-il encore, fut l'Homère de mes pré>> mières années... Je m'en assimilai involontairement le » vague, la rêverie, l'anéantissement dans la contempla» tion, le regard fixe sur des apparitions dans le lointain » (Préf. des Prem. Médit.) » Ossian, sans aucun doute, >> mais Châteaubriand aussi, quoiqu'il le dise moins, voilà >> ses vrais maîtres, ses vrais parrains poétiques. Bernar» din, tant aimé de sa mère, a pu féconder enfin sa jeune >> imagination; il prit, lui aussi, comme il le dit, les poë>> tes anti-poétiques du XVIIIe siècle, comme modèles de >> versification plutôt que de poésie; mais c'est à Ossian, à >> Châteaubriand surtout, placé au seuil de ce siècle pour » ouvrir à tous un nouveau monde littéraire, qu'il faut » demander le secret de ses inspirations et de sa poétique. » C'est ce qu'a fait le P. Cahour dans une dissertation très» intéressante de ses Poésies françaises, sous le titre de » Poétique de Châteaubriand et de M. de Lamartine. Tous >> reconnaîtront la justesse de ce parallèle, la légitimité >> incontestable de cette filiation; tous, excepté M. de La>> martine peut-être, qui n'a jamais assez avoué ce qu'il » devait au Génie du christianisme. Dans ses Confidences,

» il l'appelle dédaigneusement « le reliquaire de la crêdu»lité humaine; et, dans son trente-troisième entretien » se supposant, comme toujours, à quinze ans les idées » d'aujourd'hui, il n'y voit qu'une « œuvre d'un grand gé» nie de décadence. » à C'est trop beau, dit-il, là naturè » y disparaît trop sous l'artifice, cela enivre au lieu de tou» cher; les larmes dont on l'arrose sont des larmes des » nerfs, et non des larmes du cœur. » Il y a de la justesse » dans cette appréciation; mais elle retombe sur son au»teur, qui ne saurait nier le droit de paternité que Châ»teaubriand a sur lui. C'est Châteaubriand qui, le pre>mier, a banni la mythologie du domaine de la nature et » de l'art, pour y introduire le merveilleux chrétien; et » M. de Lamartine se vante lorsqu'il dit : « Je suis le pré>>mier qui ait fait descendre la poésie du Parnasse, et qui >> ait donné à ce qu'on nommait la Muse, au lieu d'une lyre » à sept cordes de convention, les fibres mêmes du cœur » de l'homme, touchées et émues par les innombrables fris>> sons de l'âme et de la nature (Préf. des Prem. Médit.)» » C'est Châteaubriand qui a enseigné le premier la théo» rie du vague des passions et de la mélancolie chré» tienne; de cette tristesse, moins chrétienne pourtant que >> païenne par son objet terrestre, ses indolentes rêveries » et ses voluptueuses langueurs. C'est lui qui mêle le » christianisme au spectacle de la nature; qui a montré la » nature agrandie, spiritualisée en quelque sorte par » l'Evangile, prenant quelque chose des mélancolies du » cœur chrétien et du vague de l'infini, dont les tristes» ses de la lune et les rayons pâles et allongés du soleil » couchant sont tout à la fois l'emblème et la source prin» cipale ; qui l'a animée, surnaturalisée par le merveilleux » de la rêverie, et a mis le poëte en communion avec elle >> pour s'y confondre avec son auteur. Or, qui ne retrouve » là tous les éléments du genre descriptif de M. de La

>> martine, qui n'a fait qu'exagérer encore en se repliant » sans cesse sur lui-même pour s'évanouir dans ses son» ges, en s'abîmant, par une sorte de panthéisme roma

nesque, d'abord dans la création, ensuite dans le Créa»teur qui la pénètre et la vivifie? Ce qui, chez Château» briand, n'était qu'une pente dangereuse, est devenu, » chez M. de Lamartine, un précipice où s'engloutissent » à la fois la religion, la philosophie et même la poé» się (1). »

Dans un morceau intitulé Destinées de la poésie, et placé en tête des Premières Méditations de M. de Lamartine, l'auteur a tracé un saisissant tableau de l'état des esprits en France, à une époque où la discipline seule y régnait et y établissait le plus merveilleux niveau, le nec plus ultrà de l'égalité, au profit d'un seul. La poésie, elle aussi, avait en quelque sorte adopté l'uniforme : on lui avait laissé la permission de louer.

« Je me souviens, dit M. de Lamartine, qu'à mon entrée » dans le monde, il n'y avait qu'une voix sur l'irrémé» diable décadence, sur la mort accomplie et déjà froide » de cette mystérieuse faculté de l'esprit humain. C'était >> l'époque de l'Empire; c'était l'heure de l'incarnation de » la philosophie matérialiste du xvIIe siècle dans le gou» vernement et dans les mœurs. Tous ces hommes géo» métriques qui seuls avaient alors la parole et qui nous » écrasaient, nous autres jeunes hommes, sous l'insolente » tyrannie de leurs triomphes, croyaient avoir desséché » pour toujours en nous ce qu'ils étaient, en effet, parve» nus à flétrir et à tuer en eux, toute la partie morale, » divine, mélodieuse de la pensée humaine. Rien ne peut » peindre, à ceux qui ne l'ont pas subie, l'orgueilleuse » stérilité de cette époque. C'était le sourire satanique

(1) Bibliographie catholique, février 1859, t. XXI, p. 94-96.

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