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titre: FABRIQUE DE ROMANS, dans lequel M. Alexandre Dumas était dénoncé comme un trafiquant en littérature, achetant à vil prix la marchandise littéraire, pour la revendre ensuite avec gros bénéfice à ses éditeurs, ce qui donna lieu à la dénomination de Maison Alexandre Dumas et Cie.

L'auteur de cet opuscule, M. Eugène de Mirecourt, commence d'abord par parler des pillages qu'Alexandre Dumas a faits dans les œuvres d'auteurs français et étrangers, morts ou vivants, et du sans-gêne avec lequel il s'est attribué même des ouvrages entiers que leurs véritables auteurs avaient déjà publiés sous leurs propres noms. Il dit à ce sujet :

<«< Il est une chose évidente, et dont chacun n'hésitera >> pas à convenir avec nous c'est que la destinée aurait » dù faire naître M. Dumas un siècle plus tôt, sous les » poétiques ombrages de la forêt de Bondy. Grâce au » sang africain qui coule dans ses veines, il lui eût été >> loisible de se livrer tout à l'aise au genre d'exploit que » réclame sa nature. Mais la destinée ne fait que des >> sottises. On lui demande une carabine et un sifflet, la >> capricieuse vous donne une plume; on la supplie de » vous laisser courir les grands chemins, elle vous en» ferme dans une bibliothèque: alors, il faut bien prendre >> des livres. >>

Puis signalant les divers ouvrages qui avaient été livrés au public sous le nom d'Alexandre Dumas, et dévoilant le nom de leurs fabricants, c'est-à-dire des auteurs qui avaient honteusement livré au trafic leur intelligence et leur génie, il s'exprime ainsi :

a Vous devinez bien que pour M. Dumas, la collabo>> ration représente le repos, far niente, les doux loisirs, » le divan d'une maîtresse, la détonation du champagne, » les bals masqués, les voyages en poste, les joies de Flo

»rence, les courses en Suisse, les biftecks d'ours et une » foule de choses gracieuses, dont il n'aurait pas le bon» heur de jouir si, par-ci par-là, il ne confiait à d'autres » la confection d'un chef-d'œuvre.

Dieu s'est reposé le septième jour de la création. » Par conséquent, vite à la besogne, messieurs Anicet, » Durieu, Brunswick, Cordelier-Delanoue, Goubaux et » Beudin, Maquet, Dennery, tous les fidèles de mon ate» lier théâtral! Ne laissez pas refroidir l'enthousiasme de » ce bon public et conservez-moi son amour. Je dis : con» servez-moi, prenez en note l'expression. Vous sentez, » mes petits agneaux, que, sans avoir précisément le » projet de vous tondre, je ne puis, toutefois, vous laisser » brouter l'herbe fleurie de mon domaine. Or, mon do» maine, mes biens tendres, c'est l'engouement du pu» blic, c'est le retentissement du nom. Vous aurez quel» ques écus sur la recette, mais de publicité, pas l'ombre. » On est célèbre pour soi, rien que pour soi. Mon nom » sera prononcé devant le parterre; mais le vôtre, ja» mais!... C'est une chose entendue: marchons!

» Et M. Dumas eut le courage de s'attribuer toute la » gloire des pièces que voici :

» Téresa, Angèle, Caligula.- ANICET.

» Le Mari de la Veuve. - ANICEt, Durieu.

» Mademoiselle de Belle-Isle.

» Les demoiselles de Saint-Cyr.

» Le Lair de Dumbiky.

Le Mariage au Tambour.

» Louise Bernard.

» Une Conspiration sous le Régent

(non encore jouée)

» Napoléon.

CORDELIER-DElanoue.

BRUNSWICK.

» Richard d' Arlington. - GOUBAUX et BEUDIN. » Bathilde. -Cordier-DelanoUE et MAQUET.

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» Vous, le plus fécond, le plus habile; vous que M. Du» mas a nommé devant le comité de la société des gens de >> lettres, monsieur AUGUSTE MAQUET, ne craignez pas d'a»vouer que Sylvandire est votre ouvrage; que le Chevalier » d'Harmental est sorti de votre plume; que les Trois » Mousquetaires sont à vous. Dites-le bien haut; criez-le » de toutes vos forces. Que les abonnés du Siècle l'ap» prennent et se réunissent en masse pour sommer la ré>> daction du journal de ne plus souffrir au bas de ses >> colonnes une signature menteuse.

>> Monsieur PAUL MEURICE, annoncez aux lecteurs de la » Presse qu'Alexandre Dumas n'a pas fait une ligne des quatre volumes d'Amaury. Vous êtes l'auteur de ce livre. » Et vous, monsieur FIORENTINO, vous qui, sans être né » sur le territoire de la France, écrivez néanmoins notre » langue avec tant de goût et de pureté, vous qui avez fait » le Corricolo, le Speronare et le Monte-Cristo, dont les » Débats attendent la suite, reprenez cette richesse litté>> raire. A vous l'honneur, à vous la gloire de ces dix volumes. » A vous Georges, monsieur MALLEFILE... Un chefd'œuvre.

>> Monsieur HIPPOLYTE AUGIER, Fernande vous appartient.

» La Fille du Régent est votre fille, monsieur COUAILHAC. » Oui, vous vous êtes laissé tromper et séduire, vous » que nous avons déjà nommés, vous que nous devons » nommer encore, Messieurs BOURGEOIS, LAVERDAN, VAC» QUERIE, GÉRARD DE NERVAL, dont le style a de l'origi»nalité, de la fraîcheur et de la grâce. Permettrez-vous » qu'on vous enlève ces qualités brillantes? souffrirez» vous qu'un vampire s'attache aux veines de votre jeune >> talent pour en extraire le sang le plus chaud? vous tous, » en un mot, fabricants inconnus, qui avez écrit le reste

» des ouvrages, dont les titres nous échappent, vous qu'on » paie à raison de deux cent cinquante francs le volume, » vous, à qui l'on commande des nouvelles bien corsées, » des canevas bien nourris, revenez aux pures traditions, >> rachetez vos consciences vendues.

Oui, monsieur Dumas, vous êtes incorrigible, et nous » n'avons qu'un espoir, en écrivant notre brochure : c'est » de faire honte à vos collaborateurs vivants.

» Dépouillez les morts, livrez-vous à l'exploitation de » la tombe; soulevez le linceul qui couvre Benevenuto» Cellini, d'Artagnan, Bassompierre, Saint-Simon, Talle» mant des Réaux; réimprimez leurs mémoires, prenez >> les œuvres d'Hoffmann, de Goethe, de Schiller, de Wal» ter Scott, de Cooper; signez de votre nom toute la Bi»bliothèque royale, rien de mieux! On connaît le métier » de plagiaire, et les auteurs volés n'y perdent rien. Mais » que vous exploitiez notre jeune littérature, mais que le » talent des autres vous serve de manteau, que leur plume » s'escrime à vous gagner de l'or, qu'ils perdent jusqu'à >> leur nom dans cet abîme de gloutonnerie? voilà ce qui » ne doit pas être, voilà ce qui ne sera plus à l'avenir.

>> Ceux qui écrivent avec vous doivent signer avec vous; >> ils doivent l'exiger formellement, ils doivent vous y » contraindre : autrement, ils se ravalent à la condition » de nègres travaillant sous le fouet d'un mulâtre. »

IV

Le marquis de la Pailleterie et la famille d'Orléans.

De nos jours, les Bossuet, les Bourdaloue, les Massillon, sont remplacés par les auteurs dramatiques, quand il est question de faire l'oraison funèbre d'un grand personnage.

On en eut la preuve lors de la mort de M. le duc d'Orléans : ce fut M. Alexandre Dumas, marquis Davy de la Pailleterie, qui se chargea du so in de louer le prince, et il le fit de manière à dégoûter tout le monde d'être loué après sa mort.

A en croire le marquis de la Pailleterie, il était l'ami de cœur du duc d'Orléans; la mort de ce jeune prince fut donc pour lui une oocasion merveilleuse de faire éclater sa douleur en public. En effet, le marquis pleura son ami le plus bruyamment possible. Puis il crut devoir vider son sac des confidences à lui faites par l'infortuné prince, ce qui parut au public horriblement indiscret.

Enfin, vinrent les hautes considérations philosophiques et des explications sur cette fin prématurée, qui plongeait dans le deuil et la famille royale et la France entière, et qui eut un si grand retentissement en Europe. Ces explications méritent d'être retenues:

« Il y avait en lui, disait M. Alexandre Dumas, trop de >> choses venant de Dieu. Ses vertus appauvrissaient le ciel. » Dieu l'a repris avec ses vertus, et maintenant c'est la >> terre qui est veuve. »

Quelques années après, on vit le marquis de la Pailleterie assister au mariage du duc de Montpensier avec l'Infante, sœur de la reine d'Espagne, puis partir en Algérie, chargé soi-disant d'une mission du gouvernement.

Mais cette vie nomade du marquis l'empêchait parfois de remplir ses engagements vis-à-vis de ses éditeurs; de là, des procès, qui révélaient au public des anecdotes piquantes. Le roman intitulé: la Dame de Montsoreau, donna lieu à un procès de ce genre: car pendant sa promenade en Espagne et en Algérie, le marquis de la Pailleterie n'avait pas eu le loisir de terminer ce roman. Voici comment le marquis explique ce retard aux juges: ce récit est tiré d'un journal de l'époque, qui le faisait précéder des lignes suivantes :

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