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DE

LA RENAISSANCE LITTÉRAIRE

I

Appréciations sur l'école romantique à son début.

L'École romantique était encore dans son enfance, qu'elle provoqua, de la part d'un critique, les réflexions

suivantes :

« Rien n'est plus aisé sans doute que de tuer la langue » d'un peuple, mais ceux-là qui font métier d'en corrom» pre les sources n'obtiendront jamais, à coup sûr, les » honneurs de la langue morte.

» C'est aujourd'hui la mode d'insulter Racine et Boi»leau, et de confondre dans un commun mépris Delille » et Voltaire. Il n'est si petite Muse qui ne leur donne » son coup de pied et ne se tourmente à briser leurs au» tels. On emprunte à Ronsard son inintelligible jargon, >> et tout doucement nous en revenons aux bégaiements » de l'enfance, après avoir parlé deux siècles la langue » des hommes. Il a suffi que deux ou trois écrivains se >> soient égarés dans cette route pour y attirer ensuite la

» tourbe grimacière des singes, qui pâment au mauvais » goût et font jouer à ressort le masque de la tristesse. Ils » ont ouï dire que la mélancolie faisait aujourd'hui for» tune, et les voilà qui se sont mis aussitôt à hurler sur » tous les tons de noires complaintes et de grotesques » élégies. Comme tout le monde, cependant, ils sont de » fètes et de banquets; mais la poétique de l'école veut » que dans leurs écrits ils pleurent et jettent des cris la» mentables. Leur principale affaire est de se peindre >> aux regards du public; de nous conter leurs petits se>> crets; de nous faire entendre surtout qu'ils sont char»gés d'ennuis; que la pâleur règne sur leur front et le » désespoir dans leur âme. Ils ont tous de grands sour>> eils noirs et des yeux baignés de larmes, qu'ils n'osent » guère ouvrir qu'à la chute du jour pour contempler » des ruines et des tombeaux. Ils sourient à la lune qui » se voile d'un nuage; ils sourient au léger fantôme » qui se glisse derrière la vieille chapelle; ils habitent les » noirs donjons et les gothiques tourelles avec les spectres » et les diables, compagnons obligés de tout bon román»tique. Pour faire ses preuves, il faut en mettre à la fête, >> au bal et au banquet; il faut que tous vos vers sentent » l'odeur de la tombe, même les couplets de noces et de >> baptêmes.

» Or, qui prend l'engagement de nous épouvanter tou» jours, finit bientôt par nous faire rire à ses dépens : l'é»cueil du romantisme, c'est le ridicule. Mais le ridicule » n'atteindra jamais Hugo, poëte aux chants bizarres, il » est vrai, mais toujours poëte et quelquefois sublime (1). » On ne se rit point de ces génies audacieux, dont la mis»sion, comme celle d'Attila, est de tout renverser et de

(1) Ceci fut écrit en 1830; mais depuis lors, et en plus d'une occasion, M. Victor Hugo a donné prise au ridicule.

» tout détruire. Ainsi nous apparaît Hugo, plein de son » œuvre, fier et habile destructeur, immolant sans pitié >> les nobles Muses de la Seine au délire sauvage de » sa Muse en courroux.

» Le marquis d'Argenson écrivait, il y a près d'un » siècle : « Il est bien difficile aujourd'hui d'avoir de >> l'imagination; il y a tant de gens qui en ont eu, que qui >> voudrait faire du tout à fait neuf, ne créerait que des >> monstres ridicules ou épouvantables. » Or, voilà précisément ce qui est arrivé à l'Ecole romantique.

« Avant tout la vérité des mœurs s'écrient les roman» tiques; et pour joindre l'exemple au précepte, voilà » que leurs entrepreneurs de drames nous ont fabriqué » des pièces où tout est fable et mensonge; où, d'un bout » à l'autre, le caractère des personnages se trouve en op▷ position avec les mœurs et l'histoire du temps, si l'on en » excepte l'habit peut-être et quelques jurements histori» ques. On y change le courage en lâcheté, de nobles réso»lutions en odieuses perfidies, la clémence même en bru» tale colère; et le moindre inconvénient peut-être est que » l'auteur y fasse agir et parler ses héros comme il agirait » et parlerait lui-même. Ne demandez point à de tels écri» vains le goût épuré et cette finesse de tact qui s'ac» quièrent dans la bonne compagnie; ils croient être » dans le vrai dès qu'ils ont mis l'antichambre à la >> place du salon (1). »

(1) M. Alexis Dumesnil, Moeurs politiques au XIXe siècle,

II

Le Rénovateur et son caractère.”

La question de la rénovation littéraire avait été mise en discussion dès le commencement du XIXe siècle. On émettait des doutes, on discutait sur les mérites du passé et sur les améliorations à introduire dans la forme comme dans le fond; on ne rejetait absolument rien, mais on croyait pouvoir concilier les idées nouvelles; on ambitionnait surtout de rajeunir sans tuer; et nous citerons à l'appui de ceci le passage suivant, où la lutte des idées est clairement indiquée jusqu'au moment où le rénovateur s'élança de la foule et éleva hardiment son drapeau de démolis

seur.

« Un grand siècle ne meurt pas en un jour. L'écho de » ses idées se prolonge au delà du terme où il expire » chronologiquement. Aussi le règne de Napoléon vit les >> derniers moments de la philosophie et de la littérature » du xvii siècle. Mais, en même temps, l'originalité de » quelques talents supérieurs vint frapper les regards ! C'é» taient M. de Châteaubriand, M. de Bonald, M. de Maistre, » Benjamin Constant, une femme digne de leur être as»sociée, madame de Staël, M. l'abbé de Lamennais, >> celui du premier volume de l'Essai ; M. de Lamartine, >> celui des premières Méditations; enfin un chansonnier, » Béranger. Ces esprits divers et éminents marchaient, » chacun dans leur voie, avec puissance et liberté; ils » étaient d'autant mieux originaux qu'ils l'étaient sans » parti pris et sans dessein arrêté de faire école.

» Voilà ce qui a rempli le premier quart du XIXe siècle. » Plus tard les choses prirent un autre tour. De jeunes » hommes parurent sur la scène avec la préméditation de » l'originalité. Ils résolurent d'être par excellence les » poëtes, les philosophes et les politiques du XIX siècle. » Ces jeunes ambitieux se partagèrent en trois cohortes : >> il y eut le camp du romantisme, l'école des éclectiques » et la coterie des doctrinaires.

» Ne semblons-nous pas exhumer ici des formules, des » dénominations surannées, dont des siècles nous sépa>> rent, tant les révolutions vieillissent vite les systèmes » et les hommes? Il n'y a cependant pas plus de vingt» cinq ans que le romantisme passionnait les esprits. On » s'abordait alors en se demandant si l'on était pour ou » contre, et l'on s'ingéniait à le définir, à en trouver l'o»rigine. Les uns répétaient avec madame de Staël et les » Schlegel, que le romantisme sortait du christianisme » et de la chevalerie; d'autres voulaient, avec des criti» ques et des poëtes anglais, qu'il eût pour origine les » coutumes saxonnes ou normandes. Il y en avait de plus » raffinés, de plus métaphysiques, qui voyaient dans le » romantisme l'expression des sentiments les plus pro>> fonds de l'âme et d'un idéal indéfinissable. C'était un >> choc retentissant de systèmes et de théories. C'était >> aussi le plus superbe mépris pour tout ce qui était con>> vaincu de classicisme. Seriez-vous classique, par ha»sard? C'était là un soupçon à perdre de réputation tout » jeune homme bien posé dans le monde en 1825. Heu>> reux temps où l'on s'enflammait pour les œuvres de l'i» magination et de la pensée, où les générations mar>> chaient avec espérance, avec enthousiasme, à la con» quête d'un avenir qu'elles rêvaient grand et pur.

» Parmi ceux qui se portaient en avant avec le plus » d'ardeur, un jeune homme se faisait remarquer entrè

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