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Il faut qu'il y ait dans l'éloquence de l'agréable et du réel; mais il faut que cet agréable soit réel.... Quand on voit le style naturel, on est tout étonné et ravi, etc. Et nous paroîtra-t-il ici plus sévere que Boileau lui-même ? ou plutôt sa pensée toute entiere n'est-elle pas dans ce vers célebre,

Rien n'est beau que le vrai; le vrai seul est aimable?

Comme lui Despréaux dans sa deuxième satire, n'a-t-il pas voué au ridicule ces mots insipides, astres, merveilles, beautés sans pareilles, etc. Pascal, vous le voyez, n'a pas été seulement la nourriture des philosophes et des orateurs les plus éloquents de son siecle, le plus grand de nos poëtes lui doit aussi quelque chose!

J'irai plus loin encore. Il se peut que

Pascal ait pensé de la poésie ce qu'il disoit d'un art qui a tant de rapports avec elle : Quelle vanité que la peinture, qui attire l'admiration par la ressemblance des choses dont on n'admire pas les originaux! Et cela même est une grande et belle pensée! Suffit-il donc à la poésie de nous présenter un corps heureusement proportionné, plein

de graces et d'élégance, tel enfin que cet Apollon du Belvédere, dont toutes les formes sont si parfaites; mais qui, privé de l'esprit intérieur, source de la vie, n'est qu'une vaine imitation incapable de nous satisfaire! La poésie des Ecritures ne nous paroît aussi sublime, que parcequ'elle est, pour ainsi dire, comme l'enveloppe des hautes vérités qu'elles contiennent. C'est encore par la même raison que je préférerois le Télé

maque à l'Iliade (1). Ainsi, non seulement il faut, comme l'a dit Pascal, que la poésie soit une heureuse imitation de la

(1) On ne trouve point dans Homere cette sagesse qui est comme l'objet et la fin du Télémaque; on y trouve bien moins encore ces vérités saintes qui lient tous les livres de l'Ancien Testament. Voyez la différence entre les guerriers d'Israël et ceux qu'Homere a chantés! Ceux-ci n'ont qu'une vaillance brutale, qui naît toute du sentiment de leur force. Ajax tremble devant Hector; Hector au seul nom d'Achille : David, chétif conducteur de troupeaux, avec un bâton et sa fronde, attaque fièrement le terrible Goliath, géant armé d'un long glaive et tout couvert d'airain. Je ne parle point du peu de grandeur d'ame que font paroître les héros de la Grece, et Agamemnon lui-même, le roi des rois, toujours prêt à fuir, et dans un désespoir continuel; lui qui, peu auparavant s'étoit montré si arrogant. Cela devoit être ainsi, puisque l'Iliade entiere, ce chef-d'œuvre de peinture, n'est soutenue par aucune grande pensée religieuse ou morale, qui, comme une ame vivante, peut seule imprimer à nos conceptions cette sublimité dont nous sommes capables.

nature, pour être en droit de nous plaire; mais encore que cette peinture cache un fond de vérités utiles aux hommes.

Mais pourquoi s'arrêter plus longtemps aux fleurs d'une poésie mensongere et d'une vaine éloquence? Cherchez-en d'autres maintenant; c'est sur la tombe de Pascal qu'il vous faudra bientôt en répandre ! Vous l'admirez au milieu de sa course, et tout-à-coup il va se dérober à votre admiration; le ciel envieux l'arrache à la terre! Il s'incline comme le lis de la vallée par un soleil brûlant; il ne verra pas même la fin du jour. Oh, grand Dieu! par quel souffle rapide renverses-tu si promptement ta créature? La feuille ne tombe pas plus vîte de la cime des arbres! La terre est un vaste sépulcre, où descendent tour-à-tour les hommes, les

peu

ples, les cités, où la nature elle-même un jour s'anéantira, lasse de recueillir les cendres du monde, et de ce mouvement perpétuel de tous les êtres qui courent de la vie au tombeau. Heureux, Dieu puissant, celui qui vit en toi de la vie éternelle du juste!

Un funeste accident, une frayeur soudaine, avoient corrompu dans Pascal les sources de la vie (1). Foible et souf

(1) Voici l'événement tel qu'il est rapporté dans sa vie. « Un jour du mois d'octobre 1654, étant « allé se promener, suivant sa coutume, au pont de « Neuilli, dans un carrosse à quatre chevaux, les « deux premiers prirent le mors aux dents vis-à-vis « un endroit où il n'y avoit point de garde-fou, et « se précipiterent dans la Seine. Heureusement la « premiere secousse de leur poids rompit les traits << qui les attachoient au train de derriere, et le car« rosse demeura sur le bord du précipice. »

Pascal mourut le 19 août 1662, c'est-à-dire, environ huit ans après cet accident.

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