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si

fait une comédie, et dans cette espèce de drame, l'enjouement et la naïveté ne sont pas des titres d'exclusion, et sa comédie est un des plus jolis actes qui égayent encore le théâtre de Thalie. Peut-être n'a-t-il bien réussi dans le roman de Psyché, trop long et trop chargé de détails, mais où l'on retrouve souvent ce naturel et cette grace qui avertissent qu'on lit La Fontaine. Quel autre que lui auroit pu faire la chanson que Psyché entend dans le palais de l'Amour, et qui semble composée par l'Amour lui-même, et cet hymne à la Volupté qu'Horace auroit envié? Quant aux autres morceaux qu'on appelle ses Œuvres mêlées, on voit par leur peu d'étendue et par leur objet, que ce sont plutôt des fantaisies que des ouvrages. Si elles ont été recueillies, quoiqu'elles ne dussent pas l'être, c'est un tort des éditeurs ; et si l'on y trouve un opéra nous verrons bientôt que ce n'est pas à lui qu'il faut s'en prendre.

Je me suis étendu avec plaisir sur ses fables; pourquoi suis-je moins porté à parler de ses contes? Ils sont

Après une espèce d'examen de sa vie passée, et des erreurs de sa jeunesse, où l'on voit

L'inconstance d'une ame en ses plaisirs légère,
Inquiette et par-tout hôtesse passagère,

Je m'avoue, il est vrai, s'il faut parler ainsi,
Papillon du Parnasse, et semblable aux Abeilles
A qui le bon Platon compare nos merveilles ;
Je suis chose légère et vole à tout sujet,
Je vais de fleur en fleur, et d'objet en objet :
A beaucoup de plaisir je mêle un peu de gloire.
J'irois plus haut peut-être au temple de mémoire,
Si dans un genre seul j'avois usé mes jours.
Mais quoi! je suis volage en vers comme en amours.

aussi parfaits dans un genre inférieur. C'est toujours ce talent de la narration dans un degré unique. Quelle gaieté! Quelle facilité! Quelle abondance! Quelle variété de tournures! Que tous les conteurs, ainsi que tous les fabulistes, sont loin de lui! Cependant, quand il n'auroit pas fait ses contes, seroit-il moins le grand homme, le bon-homme, l'homme inimitable? Et qu'en dirois-je après tout qui ne tînt à quelqu'une des qualités que nous avons développées dans l'examen de ses fables? Exigera-t-on de moi que je fasse appercevoir les nuances délicates que son goût naturel a dû mettre dans la distinction de ces deux genres? Faut-il toujours analyser? Le dirai-je? Je répugne à m'occuper longtemps de ces contes. Ils ont troublé les derniers momens de La Fontaine (1). La sévérité de la morale chrétienne les réprouve. L'auteur se les reprocha lui-même avec amertume. Devoit-il avoir des sentimens amers celui qui nous en a donné de si agréables?... Il auroit voulu n'avoir pas fait ces contes. Il en demanda pardon.... Allons, du moins les rigoristes les plus durs feront grace à ses vers en faveur de son repentir. Bon La Fontaine ! je ne parlerai pas de tes contes. Je suis trop pressé de parler de toi.

(1) Les détails de ces derniers momens qui auroient pu être troublés par le remord, s'ils ne l'avoient été par le repentir, sont renvoyés à la deuxième note de la page lxviij de ce discours.

SECONDE PARTIE.

QUA

UAND la postérité juge les écrivains et les artistes qui ont des droits à son admiration, au moment où les hommages qu'elle rend à leur génie, vont s'étendre jusqu'à leur personne, souvent la Vérité accusatrice arrête la plume du Panégyriste. C'est pour l'Envie une consolation et une vengeance. C'est un sentiment triste pour les ames bien nées. Il est si doux d'aimer ce que l'on admire! La louange est l'expression du plaisir. Qu'il est affligeant d'y mettre des restrictions! Qu'il est douloureux de condamner l'homme, lorsqu'on doit tant de reconnoissance à l'écrivain! Sans doute quiconque vit sous les yeux de la Renommée, a des juges inflexibles dans ceux qu'il force de s'occuper de lui. Il ne doit pas s'attendre à faillir obscurément; et dès qu'on prétend à la gloire, on avertit la censure. Qu'il est rare de lui échapper! Qu'il est rare que l'inexorable équité ne laisse aucune tache sur le vêtement de gloire dont la postérité enveloppe les mânes illustres! O quel plaisir j'éprouve en ce moment où je puis me dire: Tout le monde a aimé, tout le monde aime celui que je loue! Personne ne voudra contredire l'hommage que je lui rends. Nulle accusation ne l'affoiblira. La voix du blâme et du reproche ne s'élèvera pas contre mes louanges. Quand je viens jeter des fleurs sur sa tombe, la main du détracteur ne repoussera pas la mienne le plus aimable des écrivains fut encore le meilleur des hommes !

Je ne veux pas dire sans doute que La Fontaine n'eut pas les imperfections qui sont le partage de l'humanité;

mais il n'eut aucun des vices qui en sont la honte, et il eut plusieurs des vertus qui en sont l'ornement. Ses contemporains nous ont transmis l'idée généralement reçue de la bonté de son caractère : non qu'ils nous en racontent aucun trait frappant; il paroît que c'étoit en lui une qualité habituelle et reconnue, qui se manifestoit en tout, sans se faire remarquer en rien. Qu'il devoit être bon, celui qui a fait de si beaux ouvrages, et de qui sa servante disoit qu'il étoit plus béte que méchant, et que Dieu n'auroit pas le courage de le damner! Ce qui achève de déposer en sa faveur, c'est que ce talent poétique qui donne tant de facilités pour la vengeance, et qui n'en fournit que trop les motifs et l'occasion; ce talent dont il est presque sans exemple qu'on n'ait pas quelquefois abusé; ce talent qui est dans ses écrits le charme et l'instruction de l'Univers, n'a été qu'une seule fois une arme dans ses mains. Il fit une satyre contre Lulli. Une satyre, s'écriera-t-on ! La Fontaine Pourquoi le dire dans son éloge? Parce qu'il faut dire la vérité, et parce que cette satyre même est d'un bon-homme. Oui, cette satyre est un chef-d'œuvre précisément parce qu'on y trouve toute la candeur de La Fontaine. Il raconte de la meilleure foi du monde comment le Florentin l'a dupé, et il avoue que cela n'étoit pas difficile ;

Je me sens né pour être en butte aux méchans tours.
Vienne encore un trompeur; je ne tarderai guère.

Lulli l'avoit engagé, malgré toutes ses répugnances, à composer des paroles d'opéra ; et après l'avoir amusé long-temps, il n'en fit aucun usage. Le fabuliste, accoutumé à jouir de l'indépendance de son esprit, eut de l'humeur, pour la première fois peut-être, d'avoir

été

été forcé à un travail qui lui déplaisoit, et de finir par être trompé. Il confia son humeur à ses vers, à qui volontiers il confioit tout. Il leur avoue comment il a fait, malgré lui, un opéra pour le Florentin qui lui a demandé du doux, du tendre, et comment le Florentin s'est moqué de lui; et il conclut qu'il faut se méfier du Florentin. Voilà la méchanceté de La Fontaine. Le bon-homme (1)!

Est-ce encore par une suite de ce même ressentiment, et pour montrer sous un jour odieux les gens du pays de Lulli, qu'il a fait la comédie du Florentin, si pleine de gaîté et de bon comique, comme on dit que Le Sage composa Turcaret, pour se venger d'un homme de finance? Si l'on a dit vrai, voilà des vengeances qui n'appartiennent qu'au talent, et les seules qu'on ne lui reprochera pas.

Sa candeur étoit égale à sa bonté. Il étoit dans sa conduite et dans ses discours aussi vrai, aussi naïf que dans ses écrits. Il paroît que la réflexion et la réserve,

(1) Encore en eut-il bientôt des regrets qu'il ne put dissimuler, et qu'il a confiés avec sa candeur ordinaire dans une dé ses épîtres à Madame de Thiange, où il s'exprime ainsi :

Les conseils, et de qui? du public; c'est la ville,
C'est la cour, et ce sont toutes sortes de gens,

Les amis, les indifférents,

Qui m'ont fait employer le peu que j'ai de bile.
Ils ne pouvoient souffrir cette atteinte à mon nom :
La méritois-je ? On dit que non.

Si l'on veut des détails plus étendus sur cette querelle du bon La Fontaine avec le Florentin, on peut consulter le recueil intitulé : Allainvallana, ou Bigarrures Calotines, IVe. recueil, imprimé en 1733.

Tome I.

d

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