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Il tâche à se garantir,

Dans les forêts il s'emporte.

Son bois, dommageable ornement,
L'arrêtant à chaque moment,

Nuit à l'office que lui rendent

Ses pieds, de qui ses jours dépendent. Il se dédit alors, et maudit (4) les présens Que le ciel lui fait tous les ans (5).

Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile;
Et le beau souvent nous détruit.

Ce Cerf blâme ses pieds qui le rendent agile:
Il estime un bois qui luj nuit.

(Depuis La Fontaine). FRANÇAIS. Fables en chansons, Liv. I. fab. 15. ITAL. Luig. Grillo, fav. 17.

OBSERVATIONS DIVERSES.

(1) Dont il voyoit l'objet. Objet est pris ici dans le sens du latin objectum, ce que l'on présente ; le poète s'explique par

suivant :

... en voyant leur ombre avec douleur.

le vers

(2) Des taillis. Bois que l'on taille, que l'on coupe de temps

en temps.

(3) Limier. Gros chien de chasse avec lequel le veneur détourne la bête pour la lancer, quand on veut la courir.

(4) Il se dédit alors, et maudit, se ressemblent trop par le son, pour être placés dans un même vers.

(5) Les présens que le ciel lui fait tous les ans. Le bois du Cerf tombe et se renouvelle chaque année.

FABLE X.

Le Lièvre et la Tortue.

(Avant La Fontaine). ORIENTAUX. Lockman, fab. 20. — GRECS. Esope, fab. 292.

RIEN
IEN ne sert de courir : il faut partir à point.
Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage.

Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Sitôt que moi ce but. Sitôt? Êtes-vous sage?

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Repartit l'animal léger.

Ma commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d'ellébore (1).

Sage ou non, je parie encore.

Ainsi fut fait; et de tous deux
On mit près du but les enjeux (2).
Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire,
Ni de quel Juge l'on convint.

Notre Lièvre n'avoit que quatre pas à faire,
J'entends de ceux qu'il fait, lorsque près d'être atteint,
Il s'éloigne des Chiens, les renvoie aux Calendes (3),
Et leur fait arpenter les landes (4).

Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir, et pour écouter

D'où vient le vent (5), il laisse la Tortue

Aller son train de Sénateur.

Elle part, elle s'évertue,

Elle se hâte avec lenteur.

Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,

Croit qu'il y va de son honneur

De partir tard (6). Il broute, il se repose,
Il s'amuse à toute autre chose

Qu'à la gageure. A la fin, quand il vit Que l'autre touchoit presque au bout de la carrière Il partit comme un trait. Mais les élans qu'il fit Furent vains: la Tortue arriva la première. Eh bien! lui cria-t-elle, avois-je pas raison (7)? De quoi vous sert votre vitesse?

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(Depuis La Fontaine). FRANÇAIS. Benserade, fab. 67. Fables en chansons, L. III. fab. 17. —LATINS. Jaius, Bibl. Rhetor. T. I. pag. 744. Desbillons, Liv. V. fab. 33. — ITAL. Luig. Grillo, fav. 66.

OBSERVATIONS DIVERSES.

(1) Ma commère, il vous faut purger

Avec quatre grains d'ellébore. Ma commère, expression de familiarité et de dédain, telle qu'on l'adresse à une folle, à une radoteuse. Vous purger........ d'ellébore. L'ellébore est une herbe médicinale très-commune à Anticyre, que l'on croit propre à guérir la folie: De là ces invitations proverbiales: allez à Antycire, prenez de l'ellebore. Horace (Sat. III. v. 82): «D'abord je dis qu'on ne sauroit donner une dose trop forte d'ellébore aux avares : je ne sais même s'il ne seroit point à propos de leur réserver tout ce qu'en produit Antycire». La Fontaine n'en vent que quatre grains; mais la dose est déjà un peu forte. C'est que le médecin croit la cure difficile.

(2) Enjeux. Ce que les joueurs avancent pour être le prix du gagnant.

(3) Les renvoie aux Calendes. C'est-à-dire, aux Calendes grecques, terme indefini par lequel le debiteur se libère de son créancier : il n'y a pas plus de calendes grecques que de semaine à trois jeudis double expression proverbiale usitée par Rabelais et les anciens auteurs.

(4) Leur fait arpenter les landes. Les égare dans des terres stériles, hérissées d'inégalités qui les fatiguent.

(5) Pour écouter d'où vient le vent. Expression populaire, pour marquer le désœuvrement et l'insouciance.

(6) Croit qu'il y va de son honneur

De partir tard, etc. L'enjambement d'un vers sur l'autre, que la poésie proscrit par-tout ailleurs, est non seulement toléré dans la fable, mais il paroît y faire beauté : c'est sans doute parce que cette manière aisée d'étendre et de placer ce qu'on a à dire conserve à la fable cette aisance, cette liberté qui en font le caractère distinctif ( Dardenne). Et il cite cet exemple. Discours prélim. page 42.

(7) Avois-je pas raison? au lieu de n'avois-je pas raison? Il y a bien des cas où il faut retrancher pas de la négation: je n'en vois point où il soit permis d'ôter ne dans une interrogation.

(8 Si vous portiez une maison? Non contente d'être victorieuse, elle brave encore le vaincu. Cela est parfaitement dans la

nature.

FABLE X I

L'Ane et ses Maitres.

(Avant La Fontaine). GRECS, Esope, fab. 45. LATINS Abstemius, fab. 66.

L'ANE d'un Jardinier se plaignoit au destin
De ce qu'on le faisoit lever devant l'aurore.
Les Coqs, lui disoit-il, ont beau chanter matin,
Je suis plus matineux encore.

Et pourquoi? Pour porter des herbes au marché (1)!
Belle nécessité d'interrompre mon somme (2)!
Le Sort, de sa plainte touché,

Lui donne un autre Maître ; et l'animal de somme
Passe du Jardinier aux mains d'un Corroyeur.
La pesanteur des peaux, et leur mauvaise odeur,
Eurent bientôt choqué l'impertinente bête.
J'ai regret, disoit-il, à mon premier Seigneur :
Encor, quand il tournoit la tête,
J'attrappois, s'il m'en souvient bien,

Quelque morceau de chou qui ne me coûtoit rien :
Mais ici point d'aubaine; ou si j'en ai quelqu'une
C'est de coups. Il obtint changement de fortune;
Et sur l'état d'un Charbonnier

Il fut couché tout le dernier.
Autre plainte. Quoi donc, dit le Sort en colère,
Ce Baudet-ci m'occupe autant

Que cent Monarques pourroient faire !
Croit-il être le seul qui ne soit pas content (3)?
N'ai-je en l'esprit que son affaire?

Le Sort avoit raison : tous gens sont ainsi faits:
Notre condition jamais ne nous contente :
La pire est toujours la présente.

Nous fatiguons le Ciel à force de placets.
Qu'à chacun Jupiter accorde sa requête,
Nous lui romprons encor la tête.

(Depuis La Fontaine). FRANÇAIS. Fables en chansons, Liv. II. LATINS. Le Beau, Carmina, pag. 6.

fab. 16.

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