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Enfin du sec et du mouillé,

Aussitôt qu'il auroit bâillé (4).

Jupiter y consent. Contrat passé: notre homme
Tranche du Roi des airs, pleut, vente (5), et fait en somme
Un climat pour lui seul : ses plus proches voisins
Ne s'en sentoient non plus que les Américains.
Ce fut leur avantage : ils eurent bonne année,
Pleine moisson, pleine vinée.

Monsieur le Receveur fut très-mal partagé :
L'an suivant, voilà tout changé.

Il ajuste d'une autre sorte

La température des cieux.

Son champ ne s'en trouve pas mieux :
Celui de ses voisins fructifie et rapporte.
Que fait-il? Il recourt au Monarque des Dieux;
Il confesse son imprudence.

Jupiter en usa comme un maître fort doux.

Concluons que la Providence

Sait ce qu'il nous faut mieux que nous.

(Depuis La Fontaine). FRANÇAIS. Ant. Vitallis, le Jardinier puni par les Dieux (imitation). - LATINS. Desbillons, Lib. VII. fab. 5.

OBSERVATIONS DIVERSE S.

(1) Mercure en fit l'annonce. Comme messager des Dieux et Dieu du commerce.

(2) Etoit frayant... Entraînant des frais, comme défrayer, payer des frais. Ce terme n'est usité que dans les provinces de Picardie et de Champagne.

(3) Et l'autre, un autre si, c'est-à-dire, une autre objection. Les

difficultés que l'on propose dans un marché, commencent toujours par quelqu'un de ces mots : si, mais, etc. Anne d'Urfé:

Que rend l'amour? à l'homme quelque si.

(4) Ausstôt qu'il auroit baillé, passé bail. Ce vers et celui qui précède sont bien foibles; mais combien on est dédommagé par ceux qui suivent!

(5) Pleut, vente, ne sont point actifs; mais l'usage qu'en fait ici l'écrivain, les met si bien à leur place, qu'on s'en prend à la langue et non à lui.

Florian justifie de même la Providence dans ces vers :

Jupiter, mieux que nous, sait bien ce qu'il nous faut,
Prétendre le guider seroit folie extrême,

Sachons prendre le temps comme il veut l'envoyer,
L'homme est plus cher aux Dieux qu'il ne l'est à lui-même,
Se soumettre, c'est les prier.

(L. V. fab. 6.)

FABLE V.

Le Cochet, le Chat et le Souriceau.

(Avant La Fontaine).

- LATINS. Abstemius, fab. 67. Came

rarius, fab. 392. - FRANÇAIS. Marie de France. Ysopet, la Biche, le Fan et le Chasseur.

UN Souriceau tout jeune, et qui n'avoit rien vu,

Fut presque pris au dépourvu.

Voici comme il conta l'aventure à sa mère.

J'avois franchi les monts qui bornent cet Etat "
Et trottois comme un jeune Rat
Qui cherche à se donner carrière,

Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux:
L'un doux, benin et gracieux;

Et l'autre turbulent et plein d'inquiétude.
Il a la voix perçante et rude

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Sur la tête un morceau de chair,

Une sorte de bras dont il s'élève en l'air (1),
Comme pour prendre sa volée;

La queue en panache étalée.

Or c'étoit un Cochet dont notre Souriceau
Fit à sa mère le tableau,

Comme d'un Animal venu de l'Amérique.
Il se battoit, dit-il, les flancs avec ses bras,
Faisant tel bruit et tel fracas,

Que moi, qui, grace aux Dieux, de courage me pique (2), En ai pris la fuite de peur,

Le maudissant de très-bon cœur.

Sans lui (3) j'aurois fait connoissance Avec cet animal qui m'a semblé si doux.

Il est velouté comme nous,

Marqueté, longue queue, une humble contenance;
Un modeste regard, et pourtant l'œil luisant.
Je le crois fort sympatisant

Avec messieurs les Rats: car il a des oreilles

En figure aux nôtres pareilles.

Je l'allois aborder, quand, d'un son plein d'éclat
L'autre m'a fait prendre la fuite.

Mon fils, dit la Souris, ce doucet est un Chat,
Qui, sous son minois hypocrite,

Contre toute ta parenté

D'un malin vouloir est porté.
L'autre animal, tout au contraire,

Bien éloigné de nous mal faire,

Servira quelque jour peut-être à nos repas.

Quant au Chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine.

Garde-toi, tant que tu vivras,

De juger des gens sur la mine.

(Depuis La Fontaine). FRANÇAIS. Benserade, fab. 117. Du Cerceau (le jeune Rat et le Chat). Fables en chansons, L. II. fab. 15, Boisard (le Chat et les deux Souris ) imitation. ALLEMANDS. Lichtwer, Liv. III. fab. 18 (le Tigre et le Chevreuil ). Grillo, fav. 49.

OBSERVATIONS DIVERSES.

. ITAL.

Cochet, jeune Coq, comme Souriceau, diminutif de Souris. - La Mothe a cité cette fable comme remplissant les conditions qu'il impose pour la perfection de l'apologue. (Préf. de ses fab. p. 27.) On la citera toujours comme un modèle de style, comme un vrai chef-d'œuvre.

(1) Une sorte de bras dont il s'élève en l'air. Les ailes de l'oiseau peut-il se donner un signalement aussi précis, La queue en panache étalée. Toujours l'expression grande et noble à côté d'une simplicité vraiment antique.

(2) Que moi qui, grâce aux dieux, de courage me pique,

En ai pris la fuite de peur. Cette forfanterie, mêlée d'aveux naïfs, est bien dans la nature: ces traits-là sont communs dans Molière et dans Regnard, mais bien rares ailleurs.

(3) Sans lui j'aurois fait connoissance. « Voilà bien la jeunesse! s'écrieroit ici le grave Scaliger : elle est présomptueuse et crédule, facile à former des liaisons et à s'y livrer.»>

AEtatis cujusque notandi sunt tibi mores.

Tout cela est du meilleur comique; parce que l'art de la comédie consiste à dessiner les mœurs, et sur-tout à les graduer.

(4) Car il a des oreilles

En figure aux nôtres pareilles. Détails exquis par leur naïveté. - On sait tout cela par cœur, et on aime toujours à le revoir;

comme on voudroit voir sans cesse les gens que l'on aime.

FABLE V I.

Le Renard, le Singe et les Animaux.

(Avant La Fontaine). GRECS. Esope, fab. 29.

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Erasme, dans Camerar. pag. 462. Faerne, fab. 22. — FRANÇAIS.
Marie de France. Ysopet, manusc. du XIIIa. siècle (*).

Les Animaux (1), au décès d'un Lion,
En son vivant, Prince de la contrée,
Pour faire un Roi s'assemblèrent, dit-on.
De son étui la couronne est tirée.
Dans une chartre (2) un Dragon la gardoit.
Il se trouva que sur tous essayée,

A pas un d'eux elle ne convenoit :

Plusieurs avoient la tête trop menue,

Aucuns trop grosse (3), aucuns même cornue.
Le Singe aussi fit l'épreuve en riant;

Et, par plaisir, la thiare essayant,

Il fit autour force grimaceries,

(*) Dans Marie, les Oiseaux voulant se donner un roi, choisissent le Coucou; la Mésenge réclame contre ce choix, et voulant prouver la nullité d'un semblable maître, elle fait tomber sur lui ses ordures. Le nouveau roi, insensible à l'outrage, se contente de secouer ses plumes. Il nous faut, dit alors l'assemblée, un chef robuste et vigoureux qui sente une offense, et sache venger et les autres et lui-même. On propose l'Aigle, et l'Aigle est proclamé. Le germe de ces divers apologues se trouve, dans le plus ancien de tous, celui des Arbres du Liban voulant se donner un roi; (IV Rois. ch. XIV. v. 9. ), dont M. Andrieux a donné la parodie dans l'Almanach des Muses de l'an IX.

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