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Lui disant: Mon mignon, je vous sauve la vie.
Soyez une autre fois plus sage, je vous prie.
Si vous fussiez tombé, l'on s'en fût pris à moi;
Cependant c'étoit votre faute.

Je vous demande en bonne foi
Si cette imprudence si haute
Provient de mon caprice. Elle part

à ces mots.

Pour moi, j'approuve son propos.
Il n'arrive rien dans le monde
Qu'il ne faille qu'elle en réponde:
Nous la faisons de tous écots (1):
Elle est prise à garant de toutes aventures.
Est-on sot, étourdi, prend-on mal ses mesures;
On pense en être quitte en accusant son sort:
Bref, la Fortune a toujours tort.

(Depuis La Fontaine ). FRANÇAIS. Benserade, fab. 160. LATINS. Desbillons, L. III. fab. 6.

OBSERVATIONS DIVERSES.

Dans la fable 33 d'Abstemius, c'est le Démon qui fait ici le rôle de la Fortune; l'Enfant est remplacé par une vieille femme; du reste, il n'y a de changement que dans les noms; les caractères, lę, scns et la morale indiquent une source et un dessein communs. Les Payens, qui voyoient Dieu jusques dans le Diable, pouvoient, comme dit Boileau, mettre à chaque pas le lecteur en Enfer; mais La Fontaine a sagement senti que

De ces fictions le mélange coupable

Même à la vérité donne l'air de la fable.

(Art. poét. ch. III.)

(1) Nous la faisons de tous écots. Ecot est la part que chacun paie dans un repas commun. Ce mot ne vient pas du latin esca; ce que l'on mange, comme je l'ai entendu soutenir, mais du grec exel sortiri, habere, avoir.

FABLE XI.

Les Médecins.

(Avant La Fontaine ). GRECS. Esope (*).

E

Le Médecin Tant-pis alloit voir un malade,
Que visitoit aussi son confrère Tant-mieux (1).
Ce dernier espéroit, quoique son camarade
Soutînt que le gisant iroit voir ses ayeux.
Tous deux s'étant trouvés différens pour la cure,
Leur malade paya le tribut à nature,
Après qu'en ses conseils Tant-pis eut été cru.
Ils triomphoient encor sur cette maladie.
L'un disoit : il est mort, je l'avois bien prévu.
S'il m'eût cru, disoit l'autre, il seroit plein de vie.

(Depuis La Fontaine). FRANÇAIS. Fables en chansons, L. V. fab. 36. ITAL. Luig. Grillo, fav. 83.

OBSERVATIONS DIVERSES.

(1) Le Médecin Tant-pis, etc.

Pline le jeune vante quelque part un poète comique de son temps, très-heureux, dit-il, dans le choix des noms qu'il invente (Epist. L. VI. ep. 21. ad Canin). Cet éloge, appliqué à La Fontaine, lui convient parfaitement. Il a créé, pour l'apologue, un Vocabulaire nouveau. Molière en avoit fait autant pour la comédie; mais il y a, dans la nomenclature de l'un et de l'autre, la même différence que dans le genre. Les traits de la comédie sont ceux de la satyre : les jeux de

(*) Esope a deux fables sous le même titre : le Médecin et le Malade, fab. 31, cile Malade et le Médecin, qui se rapproche plus que la première du sujet de notre Apologue français.

l'apologue sont ceux d'un enfant malin. Ainsi le Diaphoirus de Molière devient le Médecin Tant-pis de La Fontaine.

Si les surnoms plaisants, donnés aux deux esculapes, appartiennent au fabuliste, l'anecdote elle-même pourroit tenir à l'histoire. Les satyres de Boileau ont immortalisé une de ses belles-sœurs, sans mal toujours malade, que visitoient deux médecins, dont l'un M. Perrault, étoit pour elle le Médecin Tant-pis; l'autre, M. Rainsaut, étoit le Médecin Tant-mieux. (Voyez les notes sur sa satyre X. T. I. p. 241.)

FABLE XII I.

La Poule aux œufs d'or.

(Avant La Fontaine). ORIENTAUX. Lockman, fab. 18. GRECS. Esope, f. 136. Gabrias, 21. —

.-LATINS. Avien, f. 33.

FRANÇAIS. Marie. Ysopet, le Vilain et le Dragon (*).

L'AVARICE perd tout en voulant tout gagner.
Je ne veux pour le témoigner,

Que celui dont la Poule, à ce que dit la Fable,
Pondoit tous les jours un œuf d'or.

Il crut que dans son corps

elle avoit un trésor.

11 la tua, l'ouvrit, et la trouva semblable

A celles dont les œufs ne lui rapportoient rien,
S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien.

(*) Le Dragon, possesseur d'un trésor, échappe à la mort par la fuite; le trésor s'en va avec lui. C'est-là le sujet du délicieux conte de M. de Senecé, si connu sous le titre du Kaïmac, transporté des Fables orientales dans notre poésie française, et dont quelques traits. se retrouvent dans la fable des Deux Perroquets, etc. (La Fonaine, Liv. II. fab. 12. ) et dans d'autres imitations, ainsi que nous e remarquerons à l'occasion de cette fable.

Belle leçon pour les gens chiches!

Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus Qui du soir au matin sont pauvres devenus

Pour vouloir trop tôt être riches!

(Depuis La Fontaine). FRANÇAIS. Benserade, fab. 120. Fables en chansons, Liv. III. fab. 9. LATINS. Desbillons, Liv. XI.

fab. 15. Rimicius, L. III. f. 10. Anonyme, 65, dans le Phèdre de Barbou, pag. 136.-ALLEMANDS, Lichtwer, fab. prolog. du Liv. II.

NOTE D'HISTOIRE NATURELLE.

LA POULE, Oiseau domestique bien précieux par le tribut qu'elle paie à nos besoins et à notre luxe. Elle est familière, d'un entretien facile. Les espèces en sont trèsmultipliées. On connoît sa tendresse pour ses petits, qui tant de fois a servi de leçon à l'homme.

OBSERVATIONS DIVERSES.

Il n'y dans cette fable de remarquable que le premier vers.

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(Avant La Fontaine ). GRECS. Esope, fab. 261. Gabrias, fab. 6.

UN Baudet chargé de Reliques

S'imagina qu'on l'adoroit.

Dans ce penser il se quarroit,

Recevant comme siens l'encens et les cantiques.

Quelqu'un vit l'erreur, et lui dit :

Maître Baudet, ôtez-vous de l'esprit

Une

Une vanité si folle.

Ce n'est pas vous, c'est l'Idole,

A qui cet honneur se rend,
Et que la gloire en est dûe.

D'un Magistrat ignorant
C'est la robe qu'on salue.

(Depuis La Fontaine ). FRANÇAIS. Fables en chansons, L. I. fab. 7. ITAL. Luig. Grillo, fav. 58.

FABLE X V.

Le Cerf et la Vigne.

(Avant La Fontaine.) GRECS. Esope, fab. 65. Gabrias, f. 10. Aphtone, f. 18. - LATINS. Phèdre, Liv. I. fab. 12. Faerne, f. 7༠,

UN Cerf, à la faveur d'une Vigne fort haute,

Et telle qu'on en voit en de certains climats (1),
S'étant mis à couvert, et sauvé du trépas,

Les Veneurs pour ce coup croyoient leurs Chiens en faute.
Ils les rappellent donc. Le Cerf, hors de danger,

Broute sa bienfaitrice: ingratitude extrême !
On l'entend, on retourne, on le fait déloger :
11 vient mourir en ce lieu même.

J'ai mérité, dit-il, ce juste châtiment :
Profitez-en, ingrats. Il tombe en ce moment.
La Meute en fait curée (2). Il lui fut inutile
De pleurer (3) aux Veneurs à sa mort arrivés.

Vraie image de ceux qui profanent l'asyle
Qui les a conservés (4).

Tome I.

T

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