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(9) Je trouve bien peu d'herbe... Cefte litière est vieille. Qu'ont donc fait les valets avec leurs cent tours?

(10) Ses larmes ne sauroient. « La Fontaine ne néglige pas la moindre circonstance capable de jeter de l'intérêt dans son récit.» (Champfort.)

(11) S'éjouit, pour se réjouit. Baïf:

Je vois les rosiers s'éjouir,

Cultivés d'une façon belle.

(12) Phèdre, sur ce sujet, etc. Dans sa fable, le Cerf et les Bauf's, qui a fourni à notre poète l'idée et les plus heureux accessoires de ce charmant apologue :

Hæc significat fabula

Dominum videre plurimùm in rebus suis.

Mot vrai, qui se retrouve dans le Poète Eschyle et dans Pline le naturaliste.

(13) Quant à moi, j'y mettrois encor l'œil d'un amant. « Ce dernier vers produit une surprise charmante. Voilà de ces beautés que Phèdre et Esope n'ont point connues ». (Champfort.

FABL E XXI I.

'L'Alouette et ses petits, avec le Maître d'un Champ.

(Avant La Fontaine). GRECS. Esope, dans Aulu-Gelle (Nuits Attiques, Liv. II. ch. 29). LATINS. Avien, fab. 21. Faerne, 96. Camerar. pag. 363.

NE t'attends qu'à toi seul (1), c'est un commun proverbe. Voici comme Esope le mit

En crédit.

Les Alouettes font leur nid

Dans les bleds quand ils sont en herbe,

C'est-à-dire environ le temps

Que tout aime (2), et que tout pullule dans le monde,

Monstres marins au fond de l'onde;

Tigres dans les forêts, Alouettes aux champs (3).
Une pourtant de ces dernières

Avoit laissé passer la moitié d'un printemps
Sans goûter les plaisirs des amours printanières.
A toute force enfin elle se résolut

D'imiter la nature; et d'être mère encore.
Elle bâtit un nid, pond, couve, et fait éclorre (4)
A la hâte; le tout alla du mieux qu'il put.
Les bleds d'alentour mûrs, avant que la nitée (5)
Se trouvât assez forte encor

Pour voler et prendre l'essor.
De mille soins divers l'Alouette agitée,
S'en va chercher pâture, avertit ses enfans
D'être toujours au guet et faire sentinelle.
Si le possesseur de ces champs

Vient avecque son fils (6), comme il viendra, dit-elle,
Ecoutez bien : selon ce qu'il dira,

Chacun de nous décampera.

Sitôt que l'Alouette eut quitté sa famille,
Le possesseur du champ vient avecque son fils.
Ces bleds sont mûrs, dit-il, allez chez nos amis
Les prier que chacun, apportant sa faucille,
Nous vienne aider demain dès la pointe du jour.
Notre Alouette de retour,

Trouve en alarme sa couvée.

L'un commence (7): Il a dit que, l'aurore levée,
L'on fit venir demain ses amis pour l'aider.
S'il n'a dit que cela, répartit l'Alouette,

Rien ne nous presse encor de changer de retraite :

Mais

Mais c'est demain qu'il faut tout de bon écouter.
Cependant soyez gais : voilà de quoi manger.
Eux repus, tout s'endort, les petits et la mère.
L'aube du jour arrive; et d'amis point du tout.
L'Alouette à l'essor (8), le Maître s'en vient faire
Sa ronde, ainsi qu'à l'ordinaire.

Ces bleds ne devroient pas, dit-il, être debout.
Nos amis ont grand tort, et tort qui se repose
Sur de tels paresseux à servir ainsi lents (9) :
Mon fils, allez chez nos parents
Les prier de la même chose.

L'épouvante est au nid plus forte que jamais.
Il a dit ses parens, mère ! c'est à cette heure.... (10)
Non, mes enfans, dormez en paix:

Ne bougeons de notre demeure.
L'Alouette eut raison, car personne ne vint.
Pour la troisième fois le Maître se souvint
De visiter ses bleds. Notre erreur est extrême,
Dit-il, de nous attendre à d'autres gens que nous.
Il n'est meilleur ami ni parent que soi-même.
Retenez bien cela, mon fils; et savez-vous

Ce qu'il faut faire? Il faut qu'avec notre famille (1`1), Nous prenions dès demain chacun une faucille ; C'est là notre plus court ; et nous acheverons

Notre moisson quand nous pourrons,

Dès lors que le dessein fut su de l'Alouette;
C'est à ce coup qu'il faut décamper (12), mes enfants,
Et les petits en même temps,

Voletants, se culebutants (13),
Délogèrent tous sans trompette.

Tome I.

R

(Depuis La Fontaine). FRANÇAIS. Fables en chansons, L. V. fab. 17. Menage, fab. 1. — LATINS. Desbillons, Lib. lil. fab. 27. Le Beau, Carmina, p. 32.

OBSERVATIONS DIVERSE S.

(1) Ne t'attends qu'à toi seul.

Ne quid expectes amicos quod tutè agere possies.

Vers du poète Ennius, conservé par l'auteur des Nuits attiques, Aulu Gelle. C'étoit, si on l'en croit, la morale d'une fable ancienne et étrangère.

(2) Environ le temps que tout ainie, etc. Environ n'est point préposition; mais les vers qui suivent sont d'une composition si riche, qu'on ne pense guère à cette légère incorrection. Le temps que tout aime. «Un mot suffit à La Fontaine pour réveiller son imagination mobile et sensible. Le voilà qui s'intéresse au sort de cette Alouette qui a passé la moitié d'un printemps sans aimer ». (Champfort.)

(3) Monstres marins, etc. En lisant ces beaux vers, que d'objets de comparaison viennent en foule s'offrir à la mémoire! quels tableaux magnifiques appellent et fixent l'imagination! Qui ne connoît ces descriptions toutes étincelantes de beautés diverses que Virgile, Lucrèçe, Le Tasse, dans son Aminte, Thompson, S. Lambert, M. de Rosset, dans leurs poèmes agronomiques, ont faites de l'Amour et de ses impétueux besoins? La Fontaine, borné à des images plus douces, ne soulève qu'un coin du voile ce voile est sous ses mains le ceste de Vénus.

(4) Elle bátit un nid, pond, couve, etc. Aulu Gelle vante la pompe savante et les graces répandues dans son original: Scitè admodùm et venustè, dit-il. L'éloge est vrai; mais n'allez pas chercher ailleurs que dans la fable française, ce naturel enchanteur, cette facilité exquise, cette abondance dans les détails qui ne nuit en rien à la brièveté du récit.

(5) Avant que la nitée. Par respect pour la rime, on conserve nitée, vieux mot, pour nichée.

(6) Vient avecque son fils. La répétition de cet hémistiche n'est point une batologie; j'en appelle aux lecteurs délicats. En mère attentive, elle a tout compté; elle a prévu que le maître viendroit, ayec qui? oui, avec son fils.

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(7) L'un commence: Il a dit. . . Eh qui donc ? L'on ne se donne pas le temps de le nommer.

(8) L'Alouette à l'essor. Ayant pris son essor, sa volée..

(9) Sur de tels paresseux à servir ainsi lents. Ce vers est foible; mais tout le reste est si achevé!

(10) Il a dit ses parens, mère! c'est à cette heure... Comme ce style coupé, en désordre, peint bien l'effroi des petits oiseaux ! Ainsi dans Virgile, Cyrène avertie qu'Aristée est tout en pleurs sur les bords du fleuve, s'écrie:

Duc, age, duc ad nos, fas ILLI limina divûm

Tangere, ait.

Elle ne le nomme pas. Voilà de ces délicatesses qui n'appartiennent qu'au peintre de la nature.

(11) Notre famille, non plus que celle des parents; mais les serviteurs, du latin familia, famulari, servir.

(12) C'est à ce coup qu'il faut décamper. D'autres exemplaires, même l'Edition Stéréotype, portent: C'est ce coup qu'il est bon de partir. Si c'est ainsi que La Fontaine a écrit, c'est une négligence. Il faudroit: c'est à ce coup. Au reste, à peine s'apperçoiton de quelques légères inexactitudes répandues dans cette jolie fable, telles que le mot avecque de trois syllabes, banni du langage poétique, les rimes aider, écouter, manger, que Champ

fort blâme avec raison.

(13) Voletants, se culebutants. Cette excellente fable ne pouvoit se terminer plus agréablement que par ces vers, auxquels l'heureux choix de l'expression et la mesure en quelque sorte sautillante donnent l'harmonie de la musique. M. l'abbé Aubert les a imités dans sa fable des Poulets:

Voletant, culbutant, trottant, sans savoir où.

(Liv. III. fab. 11.)

La Fontaine a mieux fait encore: il a entremêlé son vers de sept syllabes de deux vers de huit, ce qui jette un certain désordre dans le mouvement de sa phrase, comme il y en a dans le départ de la petite famille.

Fin du quatrième livre.

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