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On l'eût pris de bien court (5) à moins qu'il ne songeât
A l'endroit où gisoit cette somme enterrée.

Il y fit tant de tours, qu'un Fossoyeur le vit,
Se douta du dépôt, l'enleva sans rien dire.
Notre Avare un beau jour ne trouva que le nid.
Voilà mon homme aux pleurs (6): il gémit, il soupire,
Il se tourmente, il se déchire.

Un passant lui demande à quel sujet ses cris.

- C'est mon trésor que l'on m'a pris.

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-Votre trésor'? Où pris? - Tout joignant cette pierre.

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Pour l'apporter si loin? N'eussiez-vous pas mieux fait De le laisser chez vous en votre cabinet,

Que de le changer de demeure?

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Vous auriez pu, sans peine, y puiser à toute heure (7). -A toute heure! bons Dieux! Ne tient-il qu'à cela?

L'argent vient-il comme il s'en va?

Je n'y touchois jamais.-Dites-moi donc, de grace, Reprit l'autre, pourquoi vous vous affligez tant: Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent, Mettez une pierre à la place,

Elle vous vaudra tout autant (8).

(Depuis La Fontaine). FRANÇAIS. Benserade, fab. 156. Fables en chansons, L. IV. f. 45, et L. V. f. 24. Mérard S. Just, L. VII. - LATINS. Desbillons, Lib. IV. fab. 15.- ITAL. Grillo, ALLEMANDS. M. Lessing, Liv. II. fab. 16.

f. 18. fav. 59.

OBSERVATIONS DIVERSES.

Un des défauts contre lesquels nos poètes se soient le plus exercés, c'est l'avarice. Il est si bas! il rend si malheureux! et pourtant il est si commun! L'Avare de Molière est un de ses chefs-d'oeuvre;

Boileau a flétri ce vice honteux dans plusieurs de ses satyres (voyez les Satyres IV et X). Mais nous pouvons appliquer à ces mêmes sujets traités par notre poète, quoique d'une manière différente, ce que Molière a dit de lui: Tous ces beaux esprits n'ont pas effacé le Bonhomme.

(1) Est d'entasser toujours, mettre somme sur somme. Il falloit de mettre somme sur somme.

(2) Quel avantage ils ont? Phèdre, dans sa fable du Renard et du Dragon, contre les avares :

Quem fructum capis hoc ex labore

Quodve tantum est præmium?

(3) Diogène là-bas

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et l'Avare ici haut. Cette opposition de lieux suppose Diogène dans un autre monde où il auroit encore son tonneau pour maison, et pas une tasse de bois pour puiser de l'eau : et alors elle manqueroit de justesse ; la distance ne doit être que dans les mœurs. 1

Diogène, chef d'une secte de philosophes, qui se nommoient les Cyniques, se faisoit gloire de vivre pauvre, errant, sans patrie, sans asyle. (Voyez les Voyages d'Anacharsis, T. II. p. 137.) Un joli bas-relief de la ville Albani, et le bel ouvrage du Pujet à Versailles, le représentent couché dans son tonneau, presque nud, hors des murs de Corinthe, s'entretenant avec Alexandre, roi de Macédoine. (Voyez Winkelm., Monum. inedit. n°. 174, et His. de l'Art, T. III. pl. 22.)

(4) Déduit

chevance. Ces deux mots sont sortis du langage ordinaire. Le premier signifie plaisir. Eust. Deschamps:

Armes, amours, desduit, joye et plaisance.

(Poésies manuscrites, fol. 149. col. 4.)

Chevance, le bien qu'on a. J. B. Rousseau:

Grosse chevance oncques ne m'a tenté.

(Liv. II. Epîtres. )

On lisoit dans les complaintes de Jean Régnier :

Telle n'avoit vaillant une prune,

Qui a de chevance plein puys.

Jean de Meun disoit chevissance:

Dieu a donné aux miens honneur et chevissance.

(Roman de la Rose.)

Puis on a dit : chaance ou chéance, pour chance, fortune. Enfin on l'a banni, lui et toute sa famille.

(5) On l'eût pris de bien court: c'est-à-dire, de bien peu de

momens.

(6) Voilà mon homme aux pleurs ; il faudroit: en pleurs. (7) Vous auriez pu sans peine y puiser à toute heure. Traduit plutôt qu'imité de Phèdre, dans la fable citée plus haut.

(8) Mettez une pierre à la place,

Elle vous vaudra tout autant. Dans le Cymbalum mundi: « Je m'en voys mettre des os et des pierres au lieu du thrésor que Pygargus l'usurier a caché en son champ». (Dial. IV. p. 140.)

Ce

M. Lessing ajoute à la réponse de l'avare ces mots : « Je n'en serai pas plus pauvre ; mais un autre n'en sera pas plus riche ». n'est pas là le caractère de l'avare, mais bien celui de l'envieùx; ce qui devient étranger au sujet.

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UN Cerf s'étant sauvé dans une étable à Bœufs,

Fut d'abord averti par eux,

Qu'il cherchât un meilleur asyle (1).

Mes frères, leur dit-il, ne me décelez pas:
Je vous enseignerai (2) les pâtis les plus gras (3);
Ce service yous peut quelque jour être utile ;
Et vous n'en aurez point regret.

Les Bœufs, à toute fin, promirent le secret.

Il se cache en un coin, respire (4), et prend courage.
Sur le soir l'on apporte herbe fraîche et fourrage,
Comme l'on faisoit tous les jours.

L'on va, l'on vient, les Valets font cent tours (5),
L'Intendant même; et pas un d'aventure
N'apperçut ni cor, ni ramure (6),

Ni Cerf enfin. L'habitant des forêts

Rend déjà grace aux Bœufs, attend dans cette étable
Que chacun retournant au travail de Cérès (7),
Il trouve pour sortir un moment favorable.
L'un des Bœufs ruminant, lui dit : Cela va bien;
Mais quoi! L'homme aux cent yeux (8) n'a pas fait sa revue.
Je crains fort pour toi sa venue.

Jusques-là, pauvre Cerf, ne te vante de rien.
Là-dessus le maître entre, et vient faire sa ronde.
Qu'est-ceci? dit-il à son monde,

Je trouve bien peu d'herbe en tous ces rateliers.
Cette litière est vieille (9): allez vîte aux greniers.
Je veux voir désormais vos bêtes mieux soignées.
Que coûte-il d'ôter toutes ces Araignées?

Ne sauroit-on ranger ces jougs et ces colliers?
En regardant à tout, il voit une autre tête
Que celles qu'il voyoit d'ordinaire en ce lieu.
Le Cerf est reconnu : chacun prend un épieu :
Chacun donne un coup à la bête.

Ses larmes ne sauroient (10) la sauver du trépas,
On l'emporte, on la sale, on en fait maint repas,
Dont maint voisin s'éjouit (11) d'être.

Phèdre sur ce sujet (12) dit fort élégamment :

Il n'est pour voir que l'œil du Maître. Quant à moi, j'y mettrois encor l'œil de l'Amant (13).

(Depuis La Fontaine). FRANÇAIS. Fables en chansons, L. V. fab. 22.

OBSERVATIONS DIVERSES.

Cette fable est un petit chef-d'œuvre : l'intentiou morale en est excellente, et les plus petites circonstances s'y rapportent avec une adresse ou un bonheur infini. Observons quelques détails. (1) Qu'il cherchát un meilleur asile. Voilà le dénouement préparé dès les trois premiers vers.

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(3) Les pâtis les plus gras. « Voyez avec quel esprit La Fontaine saisit le seul rapport d'utilité dont le Cerf puisse être aux Bœufs ». (Champfort.) Pátis ou pâturages, du latin pastus, pasci, se nourrir. Clém. Marot:

Qui quelquefois gastoient les animaux

De nos pâtis, etc.

(Eglogue au Roi.)

(4) Il se cache en un coin, respire, etc. Tout cela est d'un naturel exquis... comme tout le reste.

(5) Les valets font cent tours,

L'Intendant méme ... Maison très-bien gardée! Tout le monde paroît à sa besogne, et ne fait rien qui vaille.

(6) Pas un d'aventure,

N'apperçut ni cor, ni ramure. « Cela ne paroît guère vraisemblable; et voilà pourquoi cela est meilleur ». (Champfort.) Ramure. Cornes ou bois de Cerf, du latin ramus, rameau.

(7) Au travail de Cérès. Auquel préside Cérès, déesse des moissons et de l'agriculture.

(8) L'homme aux cent yeux. La fable avoit imaginé un Argus à cent yeux, envoyé par Junon pour épier les amours infidelles de Jupiter et d'une de ses maîtresses. Ce mot transporté dans le langage ordinaire, désigne un homme clairvoyant, exact observateur, auquel rien n'échappe. Cette courte période exprime

tout.

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