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Le sang les avoit joints, l'intérêt les sépare.
L'ambition, l'envie, avec les consultans (6),
Dans la succession entrent en même temps.
On en vient au partage, on conteste, on chicane:
Le juge sur cent points tour-à-tour les condamne.
Créanciers et voisins reviennent aussitôt,

Ceux-là sur une erreur, ceux-ci sur un défaut.
Les frères désunis sont tous d'avis contraire :
L'un veut s'accommoder, l'autre n'en veut rien faire:
Tous perdirent leur bien; et voulurent trop tard
Profiter de ces dards unis, et pris à part.

(Depuis La Fontaine ). FRANÇ. Benserade, fab. 93. Fables en chansons, L. II. fab. 13. —LATINS. Laurent. Valla (edit. Rob. Stephani, i, pag. 56). Desbillons, L. II. fab. 12. Le Beau, Carmina, pag. 63.

OBSERVATIONS DIVERSES.

(1) A moins que d'être unie. On pourroit demander : unie à quoi? Mais le sens de cet adage est si clair, qu'il est, comme le style des proverbes, dispensé d'être exact, pourvu qu'on l'entende.

(2) L'Esclave de Phrygie. Esope, que l'on suppose né à Amorium, bourg de Phrygie, et esclave d'un nommé Xanthus. (V. le roman de sa vie, traduit du grec de Planudes par La Fontaine.) (3) Si j'ajoute du mien à son invention,

C'est pour peindre nos mœurs, et non pas par envie : Je suis trop au-dessous de cette ambition, etc. La Fontaine paroît avoir eu présens à la mémoire ces vers de Phèdre :

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Illius post semitâ feci viam.

Neque enim notare singulos mens est mihi,

Verùm ipsam vitam et mores hominum ostendere :

Neque hæc invidia, verùm est æmulatio.

(Epilog. Liv. II. et Prolog. Lib. III. )

(4) Ou plutôt à l'histoire, etc. << Scilure, roi des Scythes, avoit quatre-vingts enfans. Lorsqu'il fut sur le point de mourir, il se fit apporter un faisceau de verges, et ordonna à ses fils de le rompre, ainsi lié. Ils le tentèrent tous inutilement. Alors le père prenant les verges l'une après l'autre, les rompit toutes avec la plus grande facilité. Il leur insinuoit par-là, que leur union les rendroit invincibles, et que la division, en les affoiblissant, causeroit infailliblement leur perte. (Plutarque, traité de la Demangeaison de parler, trad. de Ricard, T. VI. p. 427.)

(5) Un seul ne s'éclata. Il eût été mieux de dire: n'éclata; mais le premier n'est pas sans exemple. (V. le Dictionnaire de l'Académie française.)

(6) Avec les Consultans. Les consultations des gens d'affaires, brouillons, pour la plupart, par travers d'esprit, par ignorance ou par cupidité.

FABLE XIX.

L'Oracle et l'Impie.

(Avant La Fontaine). ORIENTAUX. Pilpay, Contes indiens, T. II. pag 161.-GRECS. Esope, fab. 16 ( le Malin ) et f. 26 (*).

VOULOIR tromper le ciel, c'est folie à la terre.

Le Dédale des cœurs (1) en ses détours n'enserre Rien qui ne soit d'abord éclairé par les Dieux. Tout ce que l'homme fait, il le fait à leurs yeux,

(*) Sous le titre : Les jeunes Gens et le Cuisinier. Sens moral: « On peut tromper les hommes, mais on ne sauroit tromper Dieu ». Au reste la première idée, et, en quelque sorte, la matrice de cet apologue, se trouve dans cet épisode de la Théogonie d'Hésiode: « Prométhée vouloit tromper Jupiter par ses ruses. Un

Même les actions que dans l'ombre il croit faire.

Un payen qui sentoit quelque peu le fagot (2),
Et qui croyoit en Dieu, pour user de ce mot,
Par bénéfice d'inventaire (3),

Alla consulter Apollon.

Dès qu'il fut en son sanctuaire :

Ce que je tiens, dit-il, est-il en vie ou non?

Il tenoit un Moineau, dit-on,
Prêt d'étouffer la pauvre bête,
Ou de la lâcher aussitôt,

Pour mettre Apollon en défaut.
Apollon reconnut ce qu'il avoit en tête.

Mort ou vif, lui dit-il, montre-nous ton Moineau,
Et ne me tends plus de panneau :
Tu te trouverois mal d'un pareil stratagême:
Je vois de loin, j'atteins de même (4).

boeuf monstrueux est par lui présenté au Souverain des Dieux. Arrangeant les os avec art, et les cachant sous une graisse immense, le fils de Japet avoit enfermé dans la peau les chairs, les entrailles, les parties les plus délicates, et fait deux parts de son offrande, Grand Jupiter! dit-il avec un malin sourire, choisis de ces portions celle qui t'agréera le plus. Ainsi il s'efforce d'induire en erreur le maître des Dieux. Etendant ses mains divines, Jupiter enlève la graisse. Son ame s'irrite, son courroux s'enflamme, à la vue des os décharnés qu'elle recouvre. Poussant un profond soupir: fils de Japet, le plus rusé des mortels! s'écrie Jupiter; à ces traits je reconnois les artifices dont tu es capable ».

OBSERVATIONS DIVERSES.

(1) Le Dédale des coeurs. Comme Boileau a dit un Dédale de loix; et Malherbe :

Le malheur de ta fille au tombeau descendue,

Est-ce quelque Dédale où ta raison perdue

Ne se retrouve pas ?

(Ode à Du Perrier.)

Par allusion au fameux labyrinthe de Crète, ouvrage de l'architecte athénien de ce nom, dont les issues multipliées et les innorabrables détours se repliant sans cesse sur eux-mêmes, tenoient à jamais enfermés dans son enceinte ceux qui s'y trouvoient engagés. C'est le nom de l'ouvrier appliqué à l'ouvrage par une extension hardie, mais déjà connue dans l'histoire de l'art. Les premières statues s'appeloient des Dédales, du nom d'un autre artiste de Sicyone, que l'on confond trop souvent avec celui d'Athènes. M. l'abbé Aubert a pu emprunter cette expression à la poésie (fab. Liv. VII. Prologue), sans la dérober à La Fontaine.

(2) Qui sentoit quelque peu le fagot. Sentir le fagot, friser la corde, toutes expressions populaires pour appeller, mériter `le bûcher ou la potence. C'est ainsi que Cl. Marot a dit, en parlant de son valet :

Sentant la hart de cent pas à la ronde.

(Ep. à François Ier.)

Et La Monnoye, dans ses contes :

A Rabelais certain Bigot

Disoit un jour, d'un ton sévère,
Cessez de railler le S. Père;

Autrement gare le fagot, etc.

(uvres, T. II. édit. in-4°. p.

161.)

(3) Par bénéfice d'inventaire. C'est le droit de n'user d'un héritage testamentaire, que jusqu'à la concurrence des biens inventoriés, dans le cas où la succession se trouveroit embarrassée par des dettes. Ainsi l'homme qui croit en Dieu par bénéfice d'inventaire, se réserve la liberté d'y croire de telle ou telle manière, ou même point du tout, du moment qu'il se présentera quelque objection à son esprit.

(4) Je vois de loin, j'atteins de même. Vers heureux, dont le poète a sans doute trouvé l'idée dans l'épithète donnée par Homère à Apollon, qu'il appelle sxnßóλos; c'est-à-dire, lançant au loin et ses regårds et ses flèches. Peut-être encore dans ce passage de l'hymne à Delos de Callimaque : « Je te le prédis, fuis; mais bientôt je t'atteindrai: bientôt je laverai mes traits dans ton sang ». (Traduct. de Dutheil, p. 157.)

FABLE X X.

L'Avare qui a perdu son Trésor.

(Avant La Fontaine). GRECS. Esope, fab. 59. LATINS. Phèdre, Liv. IV. fab. 19 et 20. Faern, 48.

L'USAGE seulement fait la possession.
Je demande à ces gens, de qui la passion

Est d'entasser toujours (1), mettre somme sur somme,
Quelavantage ils ont que n'ait pas un autre homme(2).
Diogène là-bas est aussi riche qu'eux (3);

Et l'Avare ici haut, comme lui, vit en gueux. L'homme au trésor caché qu'Esope nous propose, Servira d'exemple à la chose.

Ce malheureux attendoit,

Pour jouir de son bien, une seconde vie ;
Ne possédoit pas l'or, mais l'or le possédoit.
Il avoit dans la terre une somme enfouie,
Son cœur avec, n'ayant autre déduit (4),
Que d'y ruminer jour et nuit,

Et rendre sa chevance à lui-même sacrée.

Qu'il allât ou qu'il vînt, qu'il bût ou qu'il mangeât,

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