FABLE III. La Mouche et la Fourmi. (Avant La Fontaine ). LATINS. Phèdre, Lib. IV, f. 23. Anonyme, fab. 37. - FRANÇAIS, Marie de France, Ysopet ( l'Abeille et la Mouche). LA Mouche et la Fourmi contestoient de leur prix. Faut-il que l'amour-propre aveugle les esprits Qu'un vil et rampant animal A la fille de l'Air ose se dire égal (2)? Je hante les palais (3), je m'assieds à ta table: Si l'on t'immole un Bœuf, j'en goûte devant toi (4), Vous campez-vous jamais sur la tête d'un Roi, Je le fais; et je baise un beau sein quand je veux; Je rehausse d'un teint la blancheur naturelle; C'est un ajustement des Mouches emprunté De vos greniers! Avez-vous dit (8)? Vous hantez les palais; mais on vous y maudit. De ce qu'on sert devant les Dieux, Si vous entrez par-tout, aussi font les profanes. Cette emportunité bien souvent est punie. Nomme-t-on pas aussi Mouches les Parasites? N'ayez plus ces hautes pensées. Les Mouches de Cour (12) sont chassées : Quand Phébus régnera sur un autre hémisphère. Je n'irai par monts ni par vaux Je vivrai sans mélancolie: Le soin que j'aurai pris de soin m'exemptera. Ce que c'est qu'une fausse ou véritable gloire. Ne se remplit à babiller. (Depuis La Fontaine). Fables en chansons, L. II. fab. 38. NOTE D'HISTOIRE NATURELLE. MOUCHE.Le caractère général et le plus frappant qui fait aisément distinguer les Mouches d'avec d'autres insectes ailés, c'est d'avoir des ailes transparentes qui semblent être de gaze, ou plutôt une étoffe glacée dessinée en ramage et bordée d'une frange, mais sur lesquelles il n'y a point de cette poussière que les ailes du papillon laissent aux doigts qui les ont touchés. Leurs yeux sont à réseaux, et ccs yeux sont très-multipliés; leur trompe est musculeuse ; c'est un diminutif de celle de l'Eléphant ; elle est velue à l'extrémité, et fendue comme la bouche ; elle leur sert à sucer les viandes et les fruits dont elles se nourrissent. OBSERVATIONS DIVERSES. (1) O Jupiter! dit la première. La vanité et la suffisance de l'insecte éclatent dès son exorde. Elle n'adresse point la parole à sa rivale ; elle la regarde comme trop au-dessous d'elle : c'est à Jupiter qu'elle parle ; et cela, moins pour l'appeler en témoignage, que pour lui porter plainte de ce qu'elle appelle l'aveuglement de la Fourmi. (2) A la fille de l'air ose se dire égale? Madame Dacier vantoit cette image (note 9 du Liv. XVII de l'Iliade). Elle est bien en effet dans le genre d'Homère, de cet écrivain sublime et naïf dont le caractère distinctif est de tout animer, et à la gloire de qui l'immortelle Française avoit consacré ses savantes veilles. Homère luimême se fût ici reconnn à son langage. (3) Je hante les palais. Expression familière, pour désigner l'extrême liberté avec laquelle elle entre dans les palais, comme on entre chez soi. (4) J'en goûte devant toi. Devant toi présente deux sens également favorables à l'amour-propre de l'insecte: j'en goûte en ta présence; ce qui marque la familiarité: ou bien, j'en goûte avant toi-même, ce que les Latins appeloient prælibare; et c'est l'insolence réunie à la fatuité. Le poète paroît s'être expliqué dans ces vers qu'on lit plus bas : Et quant à gouter la première De ce qu'on sert devant les Dieux. (5) Pendant que celle-ci. Elle ne daigne seulement pas l'appeler par son nom, ni fixer les yeux sur elle. (6) Vit trois jours d'un fétu qu'elle a traîné chez soi. Pas un mot oiseux. Vit d'un fétu. Quelle proportion d'un fétu à un bœuf! Trois jours. Il faut être bien misérable pour se condamner à tant d'économie. Qu'elle a traîné. Traîner ne convient qu'à une mercenaire gagnant sa vie à la sueur de son front. Chez soi. Et quel chez soi? des greniers! Le chez soi de la Mouche, ce sont les palais, c'est la table même de Jupiter. 1 (7) Mais, ma mignone. C'est le ton insultant de la protection. (8) Avez-vous dit? Cette réplique de la Fourmi laisse voir toute la patience qu'elle a à écouter. Sa réponse est un petit chef-d'œuvre de précision, de dialectique et de véritable éloquence. (9) Et quant à goûter la première, etc. Croyez-vous qu'il en vaille mieux, etc. Ces vers laissent quelque chose à desirer du côté de la correction. Quant à ne se joint qu'à un substantif. Il en vaille est suranné. Dans le vers d'après, aussi font, il faudroit ainsi. Mais y a-t-il des fautes au milieu de tant de détails enchanteurs? (10) Sur la tête des Rois et sur celle des Anes. Seroit-ce la rime qui auroit commandé ce rapprochement ignoble et injurieux même dans les préférences qu'il établit? Quand Horace a dit: Pallida mors æquo pulsat pede Regumque turres pauperumque tabernas; Ce sont les extrêmes qu'il met en opposition; et c'étoit là le modèle que le poète auroit pu suivre. (11) Vous fassiez sonner vos mérites. Mérite ne s'emploie plus au pluriel qu'en style de dévotion ; les mérites de la Sainte Vierge ; c'est une perte pour la langue. Voyez comme ici vos mérites relève le sarcasme du reproche. (12) Les Mouches de Cour. Les factieux. Les Mouchards. Espions; parce que, comme les Mouches, ils vont chercher partout leur pâture. (V. Ménage et Le Duchat, Notes sur Rabelais, T. II. p. 166. éd. d’Ámst. 1726.) Marie a substitué une Abeille à la Fourmi employée par Phèdre et La Fontaine. M. Legrand lui en a fait un mérite. « S'il est pardonnable, dit-il, à l'Abeille de se donner des louanges, on ne le pardonnera point à la Fourmi, insecte aussi incommode et tout aussi inutile que la Mouche ». (Fabliaux, T. III. p. 338.) Qu'importe, dirons-nous au savant écrivain; qu'importe ce genre de mérite au fabuliste, pourvu que les caractères qu'il prête à ses personnages soient justifiés par l'opinion? La supériorité de l'Abeille sur la Mouche est une vérité si triviale, qu'elle ne peut être disputée par aucun insecte ailé; au lieu que la Fourmi, animal d'une autre espèce, pique bien davantage la curiosité, et par-là donne bien plus d'intérêt à sa défense. FABLE I V. Le Jardinier et son Seigneur. UN amateur du jardinage, Demi-bourgeois, demi-manant, Un jardin assez propre, et le clos attenant. De quoi faire à Margot pour sa fête un bouquet (1): Cette félicité par un Liévre troublée, Fit qu'au Seigneur du Bourg notre homme se plaignit Ce maudit animal vient prendre sa goulée (2) Soir et matin, dit-il, et des piéges se rit; |