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FABLE X V.

Philomèle et Progné.

(Avant La Fontaine). -LATINS. Camerar. fab. 35.

AUTREFOIS Progné l'Hirondelle

De sa demeure s'écarta,

Et loin des villes s'emporta

Dans un bois où chantoit la pauvre Philomèle.
Ma sœur, lui dit Progné, comment vous portez-vous?
Voici tantôt mille ans que l'on ne vous a vue:
Je ne me souviens point que vous soyez venue,
Depuis le temps de Thrace, habiter parmi nous.
Dites-moi, que pensez-vous faire?

Ne quitterez-vous point ce séjour solitaire?
Ah! reprit Philomèle, en est-il de plus doux?
Progné lui répartit: Eh quoi! cette musique,
Pour ne chanter qu'aux animaux,

Tout au plus à quelque rustique (1)?

Le désert est-il fait (2) pour des talens si beaux?
Venez faire aux cités éclater leurs merveilles (3).
Aussi bien, en voyant les bois,

Sans cesse il vous souvient que Térée autrefois
Parmi des demeures pareilles,

Exerca sa fureur sur vos divins appas.

Et c'est le souvenir d'un si cruel outrage,

Qui fait, reprit sa sœur, que je ne vous suis pas: En voyant les hommes, hélas !

Il m'en souvient bien davantage.

(Depuis La Fontaine). FRANÇAIS. Le Brun, poésies, édit. d'Amsterdam, 1736, pag. 110. Fables en chansons, Liv. III. fab. 19

NOTES D'HISTOIRE NATURELLE, etc.

Terée, Roi de Thrace, ayant outragé Philomèle, sœur de Progné sa femme, celles-ci s'en vengèrent cruellement en donnant à manger à ce prince le fils qu'il avoit eu de ses criminelles amours. Les deux sœurs furent changées, Philomèle en Rossignol, Progné en Hirondelle. (V. Ovide, Métam. L. VI. v. 32. Apollod. L. III, c. 28).

LE ROSSIGNOL est un petit Oiseau de couleur rougeâtre, dont le ramage est admirable. Il vit de Mouches et d'Araignées, et chante nuit et jour jusqu'au temps où il fait ses petits. Pline l'appelle le chantre de la nature.

L'HIRONDELLE. Voyez L. I. fab. 8.

OBSERVATIONS DIVERSES.

(1) Tout au plus à quelque rustique. La Fontaine a conservé à ec mot rustique l'acception substantive qu'il a dans les anciens auteurs. Il avoit déjà dit: c'est assez, dit le rustique ( Fable du Rat de ville et du Rat des champs). Laïques et rustiques se confondoient autrefois et supposoient une égale ignorance, dans ces temps où les ordres de la noblesse et du clergé étoient seuls en possession de la science. On en voit des témoignages fréquens dans Grégoire de Tours (voyez sa Préface), dans les écrivains d'après lui et dans les poètes jusqu'au seizième siècle. Alors la servitude et l'ignorance faisoient l'apanage des vilains ou rustiques, c'est-à-dire, de ceux qui habitoient les campagnes, ou qui en avoient les mœurs.

(2) Le désert est-il fait, etc. Après avoir cité cette délicieuse tirade toute entière, M. Bernardin de Saint-Pierre ajoute : « Je n'entends pas de fois les airs ravissans et mélancoliques d'un Rossignol caché sous une feuillée, et les piou-piou prolongés qui traversent, comme des soupirs, le chant de cet oisean solitaire, que

je ne sois tenté de croire que la Nature a révélé son aventure au sublime La Fontaine, en même temps qu'elle lui inspiroit ces vers. Si ces fables n'étoient pas l'histoire des hommes, elles seroient encore pour moi un supplément à celle des animaux». (Etudes de la Nature, L. 1. vers le milieu.)`

(3) Venez faire aux cités éclater leurs merveilles. Aux cités se rapportant à venez, n'est pas exact. On dit: aller à la ville, venir dans les villes; le lieu est fixe: aller aux champs, parce que l'espace n'est pas déterminé. On lira avec le plus touchant intérêt dans J. B. Rousseau (L. 1. ép. 6.), une fable de Philomèle, dont le sujet s'éloigne de celui-ci, mais dont les accessoires, les pensées et la morale se rapprochent de notre apologue.

Un autre poète, M. Lebrun, a imité ainsi la fable de La Fontaine :

Sous des berceaux couverts de verdure et de fleurs,
Philomèle aux regrets toujours abandonnée,

Chante, gémit, verse des pleurs.

Progné, sa sœur infortunée,

A ses accens plaintifs vient joindre ses douleurs.
De tous leurs entretiens, Echo, témoin fidelle,.
En les répétant se rappelle

Le triste souvenir de ses propres malheurs.

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(Avant et depuis La Fontaine). FABLIAUX ET CONTES. Du Vilain et de sa Femme, dans un Mémoire du Comte de Caylus, T. XX des Mém. de l'Académ. des Belles-Lettres ; et Recueil des Fabliaux par Legrand, T. III, pag. 197. Contes et Facéties du Pogge, pag. 54. Facetiæ Frischlini, pag. 270. Facetie burle da Lod. Domenichi, pag. 64. Facet. etc. de Christ. Zabata, p. 81. Convivales sermones, T. I. pag. 309. Nuga venales, pag. 74. Passa tempo de Curiosi, pag. 76. Arcadia di Brenta, pag. 211, Divertiss. curieux de ce temps, p. 19. Facét. et mots subtils, p. 186. Chasse-ennui, p. 318.

JE ne suis pas de ceux qui disent : Ce n'est rien,

C'est une femme qui se noie (1).

Je dis que c'est beaucoup; et ce sexe vaut bien (2) Que nous le regrettions, puisqu'il fait notre joie. Ce que j'avance ici n'est point hors de propos, Puisqu'il s'agit en cette fable

D'une femme qui dans les flots

Avoit fini ses jours par un sort déplorable.

Son époux en cherchoit le corps,

Pour lui rendre, en cette aventure
Les honneurs de la sépulture.

Il arriva que sur les bords

Du fleuve, auteur de sa disgrace,

Des gens se promenoient ignorant l'accident,
Ce mari donc leur demandant

S'ils n'avoient de sa femme apperçu nulle trace:

Nulle, reprit l'un d'eux; mais cherchez-la plus bas

Suivez le fil de la rivière.

Un autre répartit : Non, ne le suivez pas,
Rebroussez plutôt en arrière (3) :

Quelle que soit la pente et l'inclination
Dont l'eau par sa course l'emporte,
L'esprit de contradiction

L'aura fait flotter d'autre sorte.

Cet homme se railloit assez hors de saison.
Quant à l'humeur contredisante,

Je ne sais s'il avoit raison;

Mais

que cette humeur soit, ou non
Le défaut du sexe et sa pente,
Quiconque avec elle naîtra,
Sans faute avec elle mourra

Et jusqu'au bout contredira,

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OBSERVATIONS DIVERSES.

Cette jolie pièce de vers est moins un apologue qu'un conte ou fabliau. On en a mêlé quelques-uns parmi les fables ; mais ces apologues de contrebande n'ont rien ici dont la morale et la religion puissent s'offenser. Avec l'innocence de l'apologue, ils en ont aussi la grace. Conteur ou fabuliste, La Fontaine est toujours l'écrivain sans rivaux et sans successeurs.

(1) Je ne suis pas de ceux qui disent, etc. Existe-t-il quelque part exorde où une plus fine plaisanterie soit déguisée sous un air de bonne-foi plus ingénue? La naïveté du poète est telle, qu'elle se communique à son lecteur, et laisse son opinion indécise sur le jugement à porter d'un sexe dont on dit et tant de bien et tant de mal.

(2) Et ce sexe vaut bien, etc. Avoit-il sous les yeux ce vieux fabliau de Constant Duhamel, où on lit: «Je dis que les damos

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