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Il n'est rien, dit l'Aragne (3), aux cases qui me plaise.
L'autre, tout au rebours, voyant les palais pleins
De ces gens nommés Médecins (4),

Ne crut pas y pouvoir demeurer à son aise.
Elle prend l'autre lot, y plante le piquet (5),
S'étend à son plaisir sur l'orteil (6) d'un pauvre homme,
Disant: Je ne crois pas qu'en ce poste je chomme,
que d'en déloger, et faire mon paquet,

Ni

Jamais Hippocrate me somme.

L'Aragne cependant se campe en un lambris,
Comme si de ces lieux elle eût fait bail à vie,
Travaille à demeurer: voilà sa toile ourdie,
Voilà des Moucherons de pris.

Une servante vient balayer tout l'ouvrage.
Autre toile tissue, autre coup de balai.
Le pauvre bestion (7) tous les jours déménage.
Enfin, après un vain essai,

Il va trouver la Goutte. Elle étoit en campagne,
Plus malheureuse mille fois

Que la plus malheureuse Aragne.

Son hôte la menoit tantôt fendre du bois,
Tantôt fouïr, houer (8). Goutte bien tracassée
Est, dit-on, à demi pansée.

Oh! je ne saurois plus, dit-elle, y résister.
Changeons, ma sœur l'Aragne. Et l'autre d'écouter :
Elle la prend au mot, se glisse en la cabane.
Point de coup de balai qui l'oblige à changer.
La Goutte, d'autre part, va tout droit se loger
Chez un Prélat qu'elle condamne

A jamais du lit ne bouger.

Cataplasmes, Dieu sait! Les gens n'ont point de honte
De faire aller le mal toujours de pis en pis.

L'une et l'autre trouva de la sorte son compte,
Et fit très-sagement de changer de logis.

(Depuis La Fontaine). FRANÇAIS. Fables en chansons, L. II. fab. 32.

NOTES D'HISTOIRE NATURELLE.

L'ARAIGNÉE tend avec beaucoup d'art une espèce de toile qu'elle tire de sa propre substance; elle se place au centre, dont elle fait sa demeure, et s'y tient en embuscade pour y prendre les Mouches, dont elle se nourrit. On distingue des Araignées de diverses espèces; les unes que l'on croit venimeuses, d'autres qui passent pour ne l'être pas. L'Afrique et l'Amérique produisent des Araignées monstrueuses.

GOUTTE, maladie qui attaque ordinairement les vieillards; les personnes oisives ou sédentaires y sont sujettes: elle est quelquefois aussi la punition des excès en tout genre. L'exercice en est un remède ou un préservatif; mais il ne la prévient pas plus qu'il ne la guérit radicalement. Le célèbre Sydenham, qui l'a si bien décrite, quoique trop en philosophe, et.qui étoit le meilleur praticien de son temps, n'a pas laissé d'en être tourmenté pendant trente ans.

OBSERVATIONS DIVERSES.

(1) Quand l'Enfer eut produit la Goutte et l'Araignée. Oa se prête aisément à la fiction que la Goutte est fille de l'Enfer ; mais l'Araignée, pourquoi lui donner une origine aussi odieuse? A travers ces formes ingrates dont s'offense notre délicatesse, les anciens avoient lu mieux que nous l'histoire de sa naissance. Ils supposoient qu'elle avoit été, sous le nom d'Arachné, une jeune

et belle artiste, brodeuse excellente, ayant assez de confiance dans ses talens pour oser défier Minerve elle-même. Un chef-d'oeuvre nouveau venoit d'éclorre sous ses doigts. La superbe déesse s'en vengea, en changeant sa rivale en Araignée: mais en lui ôtant sa première forme, elle n'a pu lui enlever son talent. L'Araignée est encore tout ce qu'elle fut avant sa métamorphose, active, laborieuse, économe, sensible aux attraits de l'harmonie: on l'a vu s'associer aux concerts de plus d'un Orphée solitaire, Ah! si nos injustes dégoûts l'éloignent de nos maisons, laissons-la du moins habiter en paix nos cachots. Souvent les malheureux n'y trouvèrent qu'une Araignée pour compagne et pour amie!

(2) Ces cases. Loge, cellule, du latin casa, qui a passé dans l'italien, l'espagnol, etc.

(3) L'Aragne pour Araignée, du grec Arachné, d'où la fable a tissu sa métamorphose d'Arachné en Araignée. Villon avoit dit Iraignée (p. 8.). La langue française est donc aussi mobile que les mœurs de ses habitans.

(4) De ces gens nommés Médecins. Les mêmes dont il va dire : Les gens n'ont point de honte

De faire aller le mal toujours de mal en pis.

Les deux écrivains les plus originaux du siècle de Louis XIV, Molière et La Fontaine, offrent, parmi tant d'autres rapports, celui de n'avoir pas aimé les médecins: mais voyez comme cette prévention prend la teinte de leur caractère! Dans Molière, c'est un stylet sans cesse aiguisé, sans cesse en action; dans La Fontaine, c'est une main légère qui pince en badinant: alors même qu'il paroît sortir de son caractère, on ne peut s'empêcher de s'écrier: le bonhomme !

(5) plante le piquet. S'y établit comme fait le soldat, qui, pour camper, dresse sa tente sur les piquets ou épieux qu'il a plantés en terre.

(6) Orteil. Doigt du pied.

(7) Bestion. Insecte, diminutif de bête, qui s'écrivoit Beste. (8) Fouïr, houer. Vieux mots encore en usage dans l'agriculture : cultiver la terre, la vigne. Villon a dit :

Se vous les eussiez veu fouïr.

(2. Part. Franch. Repües, p. 37.)

FABLE IX.

'Le Loup et la Cicogne.

(Avant La Fontaine). GRECS. Esope, fab. 144. Gabrias, f. 39. Aphtone, fab. 9 et 25. — LATINS. Phèdre, Lib. I. fab. 8. Ano nyme, fab. 8.

Les Loups mangent gloutonnement,

ES

Un Loup donc étant de frairie (1),
Se pressa, dit-on, tellement,

Qu'il en pensa perdre la vie.

Un os lui demeura bien avant au gosier.

De bonheur (2) pour ce Loup qui ne pouvoit crier, Près de là passe une Cicogne.

Il lui fait signe; elle accourt.

Voilà l'opératrice aussitôt en besogne.

Elle retira l'os: puis, pour un si bon tour (3),

Elle demanda son salaire.

Votre salaire? dit le Loup,
Vous riez, ma bonne commère!
Quoi! ce n'est pas encor beaucoup
D'avoir de mon gosier retiré votre cou?
Allez, vous êtes une ingrate,

Ne tombez jamais sous ma patte (4).

(Depuis La Fontaine). FRANÇAIS. Fables en chansons, L. III. fab. 16. Voyez aussi dans les Muses helvétiennes (vol. in-8°. Lausanne, 1775, pag. 235 ). — ĮTAL. Luig. Grillo, fav. 56.

NOTES D'HISTOIRE NATURELLE.

LA CICOGNE est un oiseau de passage qui se retire l'hiver dans les pays chauds; les grandes chaleurs l'en chassent, et elle va habiter des pays plus tempérés. Elle y arrive vers la mi-mars. Ses voyages se font par troupes. Sa couleur est blanche ou noire. Cet Oiseau a quarante-huit pouces depuis le bout du bec jusqu'à l'extrémité des pieds; son bec, d'un rouge pâle tirant sur la couleur de chair, est tout droit et non courbé, à angles et non rond. Sa tendresse pour ses petits est extrême ; il se laisseroit brûler plutôt que de les abandonner. Cet Oiseau détruit les Crapauds, les Serpens et autres animaux malfaiteurs. De-là la reconnoissance qui leur vaut tant d'égards dans certains pays, tels que le Brabant, la Hollande, etc.

OBSERVATIONS DIVERSES.

(1) De frairie. D'un grand repas où l'on se met en frais. (2) De bonheur. On diroit aujourd'hui, par bonheur,

(3) Pour un si bon tour. Ce n'est point là un tour, mais un

service.

(4) Ne tombez jamais sous ma patte. Vadé s'est approprié co vers dans sa fable des Deux Serins.

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