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nité des choses humaines? et si nos cœurs s'endurcissent après un avertissement si sensible, que lui reste-t-il autre chose que de nous frapper nous-mêmes sans miséricorde? Prévenons un coup si funeste, et n'attendons pas toujours des miracles de la grâce. Il n'est rien de plus odieux à la souveraine puissance que de la vouloir forcer par des exemples, et de lui faire une loi de ses grâces et de ses faveurs. Qu'y a-t-il donc, chrétiens, qui puisse nous empêcher de recevoir sans différer ses inspirations? Quoi! le charme de sentir est-il si fort, que nous ne puissions rien prévoir ? les adorateurs des grandeurs humaines seront-ils satisfaits de leur fortune quand ils verront que dans un moment leur gloire passera à leur nom, leurs titres à leurs tombeaux, leurs biens à des ingrats, et leurs dignités peut-être à leurs envieux ? Que si nous sommes assurés qu'il viendra un dernier jour où la mort nous forcera de confesser toutes nos erreurs, pourquoi ne pas mépriser par raison ce qu'il faudra un jour mépriser par force? et quel est notre aveuglement, si, toujours avançant vers notre fin, et plutôt mourants que vivants, nous attendons les derniers soupirs pour prendre les sentiments que la seule pensée de la mort nous devroit inspirer à tous les moments

de notre vie? Commencez aujourd'hui à mépriser les faveurs du monde; et toutes les fois que vous serez dans ces lieux augustes, dans ces superbes palais à qui Madame donnoit un éclat que vos yeux recherchent encore; toutes les fois que, regardant cette grande place qu'elle remplissoit si bien, vous sentirez qu'elle y manque, songez que cette gloire que vous admiriez faisoit son péril en cette vie, et que dans l'autre elle est devenue le sujet d'un examen rigoureux, où rien n'a été capable de la rassurer que cette sincère résignation qu'elle a eue aux ordres de Dieu, et les saintes humiliations de la pénitence.

FIN DE L'ORAISON FUNÈBRE DE LA DUCHESSE D'ORLÉANS.

Bossuet.

ORAISON FUNÈBRE

DE

MARIE-THÉRÈSE D'AUTRICHE,

INFANTE D'ESPAGNE, REINE DE FRANCE ET DE NAVARRE,

Prononcée à Saint-Denis, le premier de Septembre 1683, en présence de monseigneur le Dauphin.

Sine macula enim sunt ante thronum Dei.

Ils sont sans tache devant le trône de Dieu.

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Parole de l'apôtre S. Jean, dans sa Révélation, c. 14, v.5.

MONSEIGNEUR,

Quelle assemblée l'apôtre S. Jean nous fait paroître? Ce grand prophète nous ouvre le ciel, et notre foi y découvre « sur la sainte « montagne de Sion >> dans la partie la plus élevée de la Jérusalem bienheureuse, l'Agneau qui ôte le péché du monde, avec une compagnie

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digne de lui. Ce sont ceux dont il est écrit au commencement de l'Apocalypse: « Il y a dans « l'église de Sardis un petit nombre de fidèles, « pauca nomina, qui n'ont pas souillé leurs vê«tements » (1): ces riches vêtements dont le baptême les a revêtus; vêtements qui ne sont rien moins que Jésus-Christ même, selon ce que dit l'Apôtre « Vous tous qui avez été «baptisés, vous avez été revêtus de Jésus«Christ» (2). Ce petit nombre chéri de Dieu pour son innocence, et remarquable par la ráreté d'un don si exquis, a su conserver ce précieux vêtement et la grâce du baptême. Et quelle sera la récompense d'une si rare fidélité? Ecoutez parler le juste et le saint : « Ils mar«< chent, dit-il, avec moi, revêtus de blanc, « parce qu'ils en sont dignes » (3); dignes par leur innocence de porter dans l'éternité la livrée de l'Agneau sans tache, et de marcher toujours avec lui, puisque jamais ils ne l'ont quitté depuis qu'il les a mis dans sa compagnie :

(1) Habes pauca nomína in Sardis, qui non inquinaverunt vestimenta sua. Aroc. c. 3, v. 27.

(2) Quicumque in Christo baptizati estis, Christum induistis. GALL. c. 3, v. 27.

(3) Ambulabunt mecum in albis, quia digni sunt. APOC. c. 3, v. 4.

àmes pures et innocentes; «< âmes vierges » (1), comme les appelle S. Jean, au même sens que S. Paul disoit à tous les fidèles de Corinthe: « Je vous ai promis, comme une vierge pu« dique, à un seul homme, qui est Jésus« Christ » (2). La vraie chasteté de l'âme, la vraie pudeur chrétienne, est de rougir du péché, de n'avoir d'yeux ni d'amour que pour JésusChrist, et de tenir toujours ses sens épurés de la corruption du siècle. C'est dans cette troupe innocente et pure que la reine a été placée; l'horreur qu'elle a toujours eue du péché lui a mérité cet honneur. La foi, qui pénètre jusqu'aux cieux, nous la fait voir aujourd'hui dans cette bienheureuse compagnie. Il me semble que je reconnois cette modestie, cette paix, ce recueillement que nous lui voyions devant les autels, qui inspiroit du respect pour Dieu et pour elle: Dieu ajoute à ces saintes dispositions le transport d'une joie céleste. La mort ne l'a point changée, si ce n'est qu'une immortelle beauté à pris la place d'une beauté changeante

(1) Virgines enim sunt. Hi sequntur Agnum quocumquè ierit. APOC. c. 14, v. 4.

(2) Despondi vos uni viro virginem castam exhibere Christo. 2 COR. c. II, V. 2.

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