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du duc d'Or

régent de France, quoiqu'irréprochable fur les foins Régence de la confervation de fon pupille, fe conduifit comme leans. s'il eût dû lui fuccéder. Il s'unit étroitement avec l'Angleterre, réputée l'ennemie naturelle de la France, et rompit ouvertement avec la branche de Bourbon qui régnait à Madrid: et Philippe V, qui avait renoncé à la couronne de France par la paix, excita, ou plutôt prêta fon nom pour exciter des féditions en France, qui devaient lui donner la régence d'un pays où il ne pouvait régner. Ainfi, après la mort de Louis XIV, toutes les vues, toutes les négociations, toute la politique, changèrent dans fa famille et chez tous les princes.

Le cardinal Albéroni, premier miniftre d'Efpagne, Albéroni. fe mit en tête de boulever fer l'Europe, et fut fur le point d'en venir à bout. Il avait en peu d'années rétabli les finances et les forces de la monarchie espagnole; il forma le projet d'y réunir la Sardaigne, qui était alors à l'empereur, et la Sicile, dont les ducs de Savoie étaient en poffeffion depuis la paix d'Utrecht. Il allait changer la conftitution de l'Angleterre, pour l'empêcher de s'opposer à fes deffeins; et dans la même vue, il était prêt d'exciter en France une guerre civile. Il négociait à la fois avec la Porte ottomane, avec le czar Pierre le grand, et avec Charles XII. Il était prêt d'engager les Turcs à renouveler la guerre contre l'empereur: et Charles XII, réuni avec le czar devait mener lui-même le prétendant en Angleterre, et le rétablir fur le trône de fes pères.

Ce cardinal en même temps foulevait la Bretagne en France; et déjà il fefait filer fecrètement dans

le royaume quelques troupes déguifées en fauxfauniers, conduites par un nommé Colineri, qui devait fe joindre aux révoltés. La confpiration de la ducheffe du Maine, du cardinal de Polignac, et de tant d'autres, était prête d'éclater; le deffein était d'enlever, fi l'on pouvait, le duc d'Orléans, de lui ôter la régence, et de la donner au roi d'Espagne Philippe V. Ainfi le cardinal Albéroni, autrefois curé de village auprès de Parme, allait être à la fois premier miniftre d'Espagne et de France, et donnait à l'Europe entière une face nouvelle.

La fortune fit évanouir tous ces vaftes projets; une fimple courtisane découvrit à Paris la confpiration, qui devint inutile dès qu'elle fut connue. Cette affaire mérite un détail qui fera voir comment les plus faibles refforts font fouvent les grandes destinées.

Le prince de Cellamare, ambaffadeur d'Espagne à Paris, conduifait toute cette intrigue. Il avait avec lui le jeune abbé de Porto-Carrero, qui fefait fon apprentiffage de politique et de plaifir. Une femme publique, nommée Fillon, auparavant fille de joie du plus bas étage, devenue une entremetteufe diftinguée, fourniffait des filles à ce jeune homme. Elle avait long-temps fervi l'abbé du Bois, alors fecrétaire d'Etat pour les affaires étrangères, depuis cardinal et premier miniftre. Il employa la Fillon dans fon nouveau département. Celle-ci fit agir une fille fort adroite, qui vola des papiers importans avec quelques billets de banque dans les poches de l'abbé Carrero, au moment de ces diftractions où perfonne ne pense à ses poches. Les billets de banque lui

demeurèrent, les lettres furent portées au duc d'Orléans; elles donnèrent affez de lumières pour faire connaître la conspiration, mais non affez pour en découvrir tout le plan.

L'abbé Porto-Carrero ayant vu fes papiers difparaître, et ne retrouvant plus la fille, partit fur le champ pour l'Efpagne; on courut après lui, on l'arrêta près de Poitiers. Le plan de la confpiration fut trouvé dans fa valife avec les lettres du prince de Cellamare. Il s'agissait de faire révolter une partie du royaume, et d'exciter une guerre civile; et, ce qui eft très-remarquable, l'ambassadeur, qui ne parle que de mettre le feu aux poudres, et de faire jouer les mines, parle auffi de la miféricorde divine. Et à qui en parlait-il? au cardinal Albéroni, homme auffi pénétré de la miféricorde divine que le cardinal du Bois fon émule.

Albéroni, dans le même temps qu'il voulait bouleverfer la France, voulait mettre le prétendant, fils du roi Jacques, fur le trône d'Angleterre par les mains de Charles XII. Ce héros imprudent fut tué en Norvège, et Albéroni ne fut point décourage. Une partie des projets de ce cardinal commençait déjà à s'effectuer, tant il avait préparé de refforts. La flotte qu'il avait armée defcendit en Sardaigne, dès l'année 1717, et la réduifit en peu de jours fous l'obéiffance d'Espagne : bientôt après elle s'empara de prefque toute la Sicile, en 1718.

Mais Albéroni n'ayant pu réuffir ni à empêcher les Turcs de confommer leur paix avec l'empereur Charles VI, ni à fufciter des guerres civiles en France

Le régent fait fous le

et en Angleterre, vit à la fois l'empereur, le régent de France et le roi George I, réunis contre lui.

Le régent de France fit la guerre à l'Espagne de nom de Louis concert avec les Anglais, de forte que la première XV la guerre guerre, entreprise fous Louis XV, fut contre fon oncle, pagne, oncle que Louis XIV avait établi au prix de tant de fang; de Louis XV. c'était en effet une guerre civile.

au roi d'Ef

1719.

Le roi d'Espagne avait eu foin de faire peindre les trois fleurs de lis fur tous les drapeaux de fon armée. Le même maréchal de Berwick, qui lui avait gagné des batailles pour affermir fon trône, commandait l'armée française. Le duc de Liria, fon fils, était officier-général dans l'armée efpagnole. Le père exhorta le fils par une lettre pathétique à bien faire fon devoir contre lui-même. L'abbé du Bois, depuis cardinal, enfant de la fortune comme Albéroni, et auffi fingulier que lui par fon caractère, dirigea toute cette entreprise. La Motte-Houdard, de l'académie française, compofa le manifefte qui ne fut figné de perfonne.

. Une flotte anglaife battit celle d'Espagne auprès de Meffine, et alors tous les projets du cardinal Albéroni étant déconcertés, ce miniftre, regardé fix mois auparavant comme le plus grand homme d'Etat, ne paffa plus alors que pour un téméraire et un Chute d'Al-brouillon. Le duc d'Orléans ne voulut donner la béroni. paix à Philippe V, qu'à condition qu'il renverrait fon miniftre; il fut livré par le roi d'Espagne aux troupes françaises, qui le conduifirent fur les frontières d'Italie. (1) Ce même homme étant depuis légat à

(1) C'est au même miniftre que l'Espagne doit la conservation du tribunal de l'inquisition, et de cette foule de prérogatives tyranniques ou

Bologne, et ne pouvant plus entreprendre de bouleverser des royaumes, occupa fon loifir à tenter féditieufes qui, fous le nom d'immunités eccléfiaftiques, ont changé en couvens et en déserts le pays de l'Europe le plus beau et le plus fertile, et ont rendu inutiles cette force d'ame et cette fagacité naturelle qui ont toujours formé le caractère et l'efprit de la nation espagnole.

Macanaz, fifcal du confeil de Caftille, avait présenté un mémoire à Philippe V, fur la néceffité de diminuer les énormes abus de ces immunités eccléfiaftiques. Le cardinal Guidice, grand-inquifiteur et ambaffadeur en France, ayant une copie de ce mémoire qu'un miniftre lui avait confiée, trahit fon prince, et la remit à un inquifiteur. Le faint-office rendit un décret contre le mémoire, et Guidice confirma ce décret par fon approbation.

Cet éxcès d'infolence devait faire détruire l'inquifition, et perdre Guidice. Qu'efpérer pour un pays dans lequel un mémoire présenté au fouverain peut être condamné et flétri par un tribunal, où les avis qu'un citoyen, qu'un miniftre croit devoir donner au prince, font poursuivis comme un crime?

Philippe V défendit la publication du décret. Alors les inquifiteurs déclarent que leur confcience ne leur permet point d'obéir. Guidice offre de fe démettre de fa place de grand-inquifiteur, ne pouvant, disait-il, concilier fon respect pour le roi avec fon devoir; mais il s'arrangea pour faire refuser sa démission par le pape.

Albéroni venait de conclure le mariage de Philippe V avec la princeffe de Parme; il croit qu'il eft de fon intérêt de s'unir avec Guidice. Tous deux déterminent la nouvelle reine à chaffer honteufement la princesse des Urfins; Orri qui gouvernait fous elle eft renvoyé en France. Macanaz eft forcé de s'enfuir, et le petit-fils d'Henri IV soumet fa couronne au saintoffice. Ce fut fous ces auspices qu'Albéroni entra dans le ministère.

Le jefuite Robinet, confeffeur du roi, n'avait pas désapprouvé Macanaz; il avait même dit à fon pénitent que ce ministre n'avançait dans fon mémoire que des principes avoués en France, qu'on pouvait les adopter fans bleffer la confcience; il perdit fa place, et on vit disgracier un jefuite pour n'avoir pas été affez fanatique.

Daubenton, plus digne d'être l'inftrument d'Albéroni, fut appelé pour diriger la confcience de Philippe V.

Le cardinal Guidice fe crut maître de l'Espagne; mais Albéroni, qui avait apprécié fon ambition et fon incapacité, brisa bientôt un appui devenu inutile, et Guidice alla intriguer à Rome contre le roi d'Espagne, de qui il tenait fa fortune.

C'est ainsi que l'Espagne conserva l'inquifition, et les abus ecclésiastiques que l'établiffement d'une nouvelle race de fouverains femblait devoir anéantir; et cette révolution, qui devait rendre ce royaume une des premières puiffances de l'Europe, fut arrêtée par les intrigues de deux prêtres

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