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pour les cardinaux un cérémonial particulier, et qu'un cardinal ne recevait pas l'extrême-onction et le viatique comme un autre homme. Le curé de r Versailles alla aux informations, et pendant ce temps du Bois mourut, le 19 augufte 1723. Nous rîmes de fa mort comme de fon ministère : tel était le goût des Français, accoutumés à rire de tout. (g)

Le duc d'Orléans prit alors le titre de premier miniftre, parce que le roi étant majeur, il n'y avait plus de régence; mais il fuivit bientôt fon cardinal. C'était un prince à qui on ne pouvait reprocher que fon goût ardent pour les plaifirs et pour les nouveautés.

De toute la race de Henri IV, Philippe d'Orléans fut celui qui lui reffembla le plus ; il en avait la valeur, la bonté, l'indulgence, la gaieté, la facilité, la franchife, avec un efprit plus cultivé. Sa phyfionomie, incomparablement plus gracieuse, était cependant celle de Henri IV. 11 fe plaifait quelquefois à mettre une fraife, et c'était alors Henri IV embelli.

Il avait alors un fingulier projet, dont sa mort fubite fauva la France. C'était de rappeler Lafs, réfugié et oublié dans Venife, et de faire revivre fon fyftême, dont il comptait rectifier les abus, et augmenter les avantages. Rien ne put jamais le détacher de l'idée d'une banque générale, chargée de payer

(g) Le régent, en 1722, avait fait le cardinal du Bois premier miniftre. Où le compilateur des mémoires de Maintenon a-t-il pris que Louis XIV, ayant donné un petit bénéfice, en 1692, à cet abbé du Bois, alors obscur, avait dit de lui: Il ne s'attache point aux femmes qu'il aime; s'il boit il no s'enivre pas; et s'il joue il ne perd jamais? Voilà de fingulières raifons pour donner un bénéfice. Peut-on faire parler ainfi Louis XIV? et ce monarque jetait-il la vue fur l'abbé du Bois? D'ailleurs l'abbé du Bois n'était ni joueur ni buveur.

toutes les dettes de l'Etat. L'exemple de Venise, de la Hollande, de l'Angleterre, lui fesait illusion. Son fecrétaire Melon, esprit systématique, très-éclairé, mais chimérique, lui avait infpiré ce deffein, et l'y confirmait de jour en jour. Il oubliait la différence établie par la nature entre le génie des Français et des peuples qu'on voulait imiter; combien de temps il faut pour faire réuffir de tels établissemens; que la nation était alors plus révoltée contre le fyftême de Lafs qu'elle n'en avait été d'abord enivrée; et que Lafs, revenant une feconde fois bouleverser la France avec des billets, trouverait des ennemis plus en garde, plus acharnés et plus puiffans qu'il n'en avait eu à combattre dans fes premiers preftiges.

La contemplation continuelle de cette grande entreprise qui féduifait le duc d'Orléans, et celle des orages qu'il allait exciter, allumèrent fon fang. Les plaisirs de la table et de l'amour dérangèrent fa fanté davantage. Il fut averti par une légère attaque d'apoplexie qu'il négligea, et qui lui en attira une feconde, le 2 décembre 1723, à Versailles. Il mourut au moment qu'il en fut frappé.

Son fils, le duc de Chartres, d'un caractère faible et bizarre, plus fait pour une cellule à Sainte-Geneviève, où il a fini fes jours, que pour le ministère, ne demanda pas la place de son père. Le duc de Bourbon, arrière-petit-fils du grand Condé, la demanda fur le champ au jeune roi majeur. Le roi était avec Fleuri, ancien évêque de Fréjus, fon précepteur. Il confulta par un regard ce vieillard ambitieux et circonfpect, qui n'ofa pas s'oppofer par un figne de tête à la demande du prince.

La patente de premier miniftre était déjà dreffée par le fecrétaire d'Etat la Vrillière, et le duc de Bourbon fut le maître du royaume en deux minutes.

Le fort des princes de Condé a toujours été d'être opprimés par des prêtres. Le premier prince de Condé, Louis, oncle de Henri IV, fut toute fa vie perfécuté par les prêtres de Rome et de la France, affaffiné fur le champ de bataille immédiatement après la perte de la journée de Jarnac.

Le fecond, Henri, coufin germain de Henri IV, plus poursuivi encore par les prêtres de la ligue, empoisonné dans Saint-Jean d'Angeli.

Le troisième, Henri II, mis en prifon fous le gouvernement du florentin Concini, et depuis toujours tourmenté par le cardinal de Richelieu, quoiqu'il eût marié fon fils à la nièce de ce cardinal.

Le quatrième, qui eft le grand Condé, enfermé à Vincennes et au Havre, pourfuivi hors du royaume par le cardinal Mazarin.

Enfin, celui dont nous parlons, et que nous appelons Monfieur le Duc, fupplanté, chaffé de la cour, et exilé par Fleuri, évêque de Fréjus, qui fut cardinal bientôt après.

Voici comment fe fit cette révolution qui étonna la France, et qui n'était après tout qu'un changement de miniftre, ordinaire dans toutes les cours.

Monfieur le Duc abandonna d'abord tout le département del'Eglife, et le foin de poursuivre les calviniftes et les janfénistes à l'évêque de Fréjus; fe réservant l'administration de tout le refte. Ce partage produifit quelques difficultés entre eux. Le prince était gouverné par un des frères Pâris, nommé du Verney, qui

avait eu la principale part à l'ouvrage inoui de la liquidation des biens de tous les citoyens, après le renversement des chimères de Lafs. Une autre perfonne gouvernait plus gaiement le prince miniftre; c'était la fille du traitant Pléneuf, mariée au marquis de Prie, jeune femme brillante, légère, d'un esprit vif et agréable. Pour Fleuri, âgé alors de foixante et treize ans, il n'était gouverné par perfonne, et il avait fur le roi son élève un afcendant fuprême, fruit de l'autorité d'un précepteur fur fon difciple et de

l'habitude.

Pâris du Verney, étroitement lié avec cette marquife de Prie, réfolut avec elle de mettre le roi entièrement dans la dépendance du prince, et de chaffer le précepteur. Nous avons déjà vu que le duc d'Orléans, régent de France, pour finir fa guerre contre le roi d'Espagne, Philippe V, avait marié l'infante, fille de ce monarque et de la princesse de Parme, âgée alors de cinq ans et demie, au roi de France qui en avait quinze. Il fallait attendre environ dix ans au moins la naissance incertaine d'un dauphin. Madame de Prie et du Verney prirent ce prétexte pour renvoyer l'infante à fon père, et pour faire un véritable mariage du roi de France avec une fœur du duc de Bourbon, trèsbelle et très-capable de donner des enfans, élevée à Fontevraud fous le nom de princeffe de Vermandois.

On commença par renvoyer la femme de cinq ans avant de s'afsurer d'une plus mûre. On la fit partir pour l'Espagne, fans preffentir fon père et fa mère, fans adoucir la dureté d'une telle démarche par la plus légère excufe. On chargea feulement l'abbé de Livry Sanguin, fils d'un premier maître

d'hôtel du roi, miniftre alors en Portugal, de paffer

Espagne pour en inftruire le roi et la reine, pendant que leur enfant était en chemin, reconduite à petites journées. Cet oubli de toute bienféance n'était l'effet d'aucune querelle entre les cours de France et d'Espagne. Il femblait qu'une telle démarche ne pouvait être imputée qu'au caractère de du Verney qui, ayant été garçon cabaretier dans fon enfance, chez fa mère, en Dauphiné; foldat aux gardes dans fa jeunesse, et plongé depuis dans la finance, retint toute fa vie un peu de la dureté de ces trois profeffions. La marquife de Prie ne fongea jamais aux conféquences, et Monfieur le Duc n'était pas politique.

L'infante, qui fut ainfi reconduite, fut depuis reine en Portugal. Elle donna à Jofeph II les enfans qu'on ne voulut pas qu'elle donnât à Louis XV, et n'en fut pas plus heureufe.

Quelques mois après fon renvoi, madame de Prie courut en pofte à Fontevraud effayer fi la princeffe de Vermandois lui convenait, et fi on pouvait s'affurer de gouverner le roi de France par elle. La princesse, encore plus fière que la marquife n'était légère et inconfidérée, la reçut avec une hauteur dédaigneuse, et lui fit fentir qu'elle était indignée que fon frère lui dépêchât une telle ambaffadrice. Cette feule entrevue la priva de la couronne. On la laiffa faire la fière dans fon couvent : elle mourut abbeffe de Beaumont-lès-Tours trois ans après.

Il y avait dans Paris une madame Texier, maîtreffe d'un ancien militaire, nommé Vauchon, veuve d'un caiffier qui avait appartenu à Pléneuf, père de madame de Prie. Elle était retenue pour toujours dans fon lit

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