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malgré le roi de Pruffe qui, lui fefait la guerre, malgré l'électeur palatin qui lui refufait fa voix, et malgré une armée française qui n'était pas loin de Francfort, et qui pouvait empêcher l'élection : c'etait cette même armée commandée d'abord par le maréchal de Maillebois, et qui paffa, au commencement de mai 1745, fous les ordres du prince de Conti. Mais on en avait tiré vingt mille hommes pour l'armée de Fontenoi. Le prince ne put empêcher la jonction de toutes les troupes que la reine de Hongrie avait dans cette partie de l'Allemagne, et qui, vinrent couvrir Francfort, où l'élection fe fit, comme en pleine paix..

Ainfi la France manqua le grand objet de la Election de guerre, qui était d'ôter le trône impérial à la maison François 1. d'Autriche. L'élection fe fit le 13 feptembre 1745. Le roi de Pruffe fit protefter de nullité par fes ambaffadeurs; l'électeur palatin, dont l'armée autrichienne avait ravagé les terres, protesta de même : les ambaffadeurs électoraux de ces deux princes fe retirèrent de Francfort; mais l'élection ne fut pas. moins faite dans les formes, car il eft dit dans la bulle d'or, que fi des électeurs ou leurs ambaffadeurs fe retirent du lieu de l'élection, avant que le roi des Romains, futur empereur foit élu, ils feront privés cette fois de leur droit de fuffrage, comme étant cenfès l'avoir abandonné.

La reine de Hongrie, désormais impératrice, vint à Francfort jouir de fon triomphe et du couronnement de fon époux. Elle vit, du haut d'un balcon, la cérémonie de l'entrée; elle fut la première à crier vivat; et tout le peuple lui répondit par des acclamations de joie et de tendreffe. Ce fut le plus Précis du Siècle de Louis XV. K

25 octobre. beau jour de fa vie. Elle alla voir enfuite fon armée, rangée en bataille auprès de Heidelberg, au nombre de foixante mille hommes. L'empereur, fon époux, la reçut, l'épée à la main, à la tête de l'armée. Elle paffa entre les lignes, faluant tout le monde, dîna fous une tente, et fit diftribuer un florin à chaque foldat.

C'était la deftinée de cette princeffe et des affaires qui troublaient fon règne, que les événemens heureux fuffent balancés de tous les côtés par des difgrâces. L'empereur Charles VII avait perdu la Bavière, pendant qu'on le couronnait empereur, et la reine de Hongrie perdait une bataille, pendant qu'elle préparait le couronnement de fon époux, 1 octobre. François I. Le roi de Pruffe était encore vainqueur près de la fource de l'Elbe à Sore.

Il y a des temps où une nation conferve conftamment fa fupériorité. C'eft ce qu'on avait vu dans les Suédois fous Charles XII, dans les Anglais fous le duc de Marlborough; c'eft ce qu'on voyait dans les Français en Flandre fous Louis XV et fous le maréchal de Saxe, et dans les Pruffiens fous Frédéric III. L'impératrice perdait donc la Flandre, et avait beaucoup à craindre du roi de Pruffe en Allemagne, pendant qu'elle fefait monter fon mari fur le trône de fon père.

Dans ce temps-là même, lorfque le roi de France, vainqueur dans les Pays-Bas et dans l'Italie, propofait toujours la paix, le roi de Pruffe, victorieux de fon côté, demandait auffi à l'impératrice de Ruffie, Elifabeth, fa médiation. On n'avait point encore vu de vainqueurs faire tant d'avances, et on pourrait

s'en étonner: mais aujourd'hui il est dangereux d'être trop conquérant. Toutes les puiffances de l'Europe prennent les armes tôt ou tard, quand il y en a une qui remue on ne voit que ligues et contreligues foutenues de nombreuses armées. C'est beaucoup de pouvoir garder par la conjoncture des temps une province acquife.

fa média

Au milieu de ces grands embarras, on reçut l'offre inouie d'une médiation à laquelle on ne s'attendait pas; c'était celle du grand seigneur. Son premier visir écrivit à toutes les cours chrétiennes qui étaient en guerre, les exhortant à faire ceffer l'effufion du fang humain, et leur offrant la médiation de fon maître. Le grandUne telle offre n'eut aucune fuite; mais elle devait feigneur offre fervir au moins à faire rentrer en elles-mêmes tant tion. de puiffances chrétiennes qui, ayant commencé la guerre par intérêt, la continuaient par obftination et ne la finirent que par néceffité. Au refte cette médiation du fultan des Turcs était le prix de la paix que le roi de France avait ménagée entre l'empereur d'Allemagne Charles VI et la Porte ottomane, en 1739.

1746.

Le roi de Pruffe s'y prit autrement pour avoir la paix et pour garder la Siléfie. Ses troupes battent 15 décembre complètement les Autrichiens et les Saxons aux portes de Dresde; ce fut le vieux prince d'Anhalt qui remporta cette victoire décifive. Il avait fait la guerre cinquante ans. Il était entré le premier dans les lignes des Français au fiége de Turin, en 1707; on le regardait comme le premier officier de l'Europe, pour conduire l'infanterie. Cette grande journée *fut la dernière qui mit le comble à fa gloire militaire,

Le roi de Pruffe fait

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la feule qu'il eût jamais connue. Il ne favait que combattre.

Le roi de Pruffe, habile en plus d'un genre, enferma de tous côtés la ville de Dresde. Il y entre fuivi de dix bataillons et de dix efcadrons, défarme trois régimens de milice qui compofaient la garnison, se rend au palais, où il va voir les deux princes et les trois princesses, enfans du roi de Pologne, qui y étaient demeurés; il les embraffa, il eut pour eux les attentions qu'on devait attendre de l'homme le plus poli de fon fiècle. Il fit ouvrir toutes les boutiques qu'on avait fermées, donna à dîner à tous les miniftres étrangers, fit jouer un opéra italien : on ne s'aperçut pas que la ville était au pouvoir du vainqueur, et la prise de Dresde ne fut fignalée que par les fêtes qu'il y donna.

Ce qu'il y eut de plus étrange, c'est qu'étant encore une entré dans Dresde, le 18, il y fit la paix, le 25, avec paix utile. l'Autriche et la Saxe; et laiffa tout le fardeau au roi de France.

28 décembre 1746.

Marie-Thérèfe renonça encore malgré elle à la Siléfie par cette feconde paix ; et Frédéric ne lui fit d'autre avantage que de reconnaître François I empereur. L'électeur palatin, comme partie contractante dans le traité, le reconnut de même; et il n'en coûta au roi de Pologne, électeur de Saxe, qu'un million d'écus d'Allemagne, qu'il fallut donner au vainqueur avec les intérêts jufqu'au jour du payement.

Le roi de Pruffe retourna dans Berlin jouir paifiblement du fruit de fa victoire; il fut reçu fous des

arcs de triomphe : le peuple jetait fur fes pas des branches de fapin, faute de mieux, en criant: Vive Frédéric le grand! Ce prince, heureux dans fes guerres et dans fes traités, ne s'appliqua plus qu'à faire fleurir les lois et les arts dans fes Etats; et il paffa tout d'un coup du tumulte de la guerre à une vie retirée et philofophique; il s'adonna à la poëfie, à l'éloquence, à l'histoire tout cela était également dans fon caractère. C'eft en quoi il était beaucoup plus fingulier que Charles XII. Il ne le regardait pas comme un grand homme, parce que Charles n'était que héros. On n'eft entré ici dans aucun détail des victoires du roi de Pruffe : il les a écrites lui-même. C'était à Cefar à faire fes commentaires.

Le roi de France, privé une feconde fois de cet important fecours, n'en continua pas moins fes conquêtes. L'objet de la guerre était alors, du côté de la maifon de France, de forcer la reine de Hongrie par fes pertes en Flandre à céder ce qu'elle difputait en Italie, et de contraindre les Etats-Généraux à rentrer au moins dans l'indifférence dont ils étaient fortis.

L'objet de la reine de Hongrie était de fe dédommager fur la France de ce que le roi de Pruffe lui avait ravi; ce projet, reconnu depuis impraticable par la cour d'Angleterre, était alors approuvé et embraffé par elle. Car il y a des temps où tout le monde s'aveugle. L'Empire donné à François I, fit éfpérer que les Cercles fe détermineraient à prendre les armes contre la France; et il n'est rien que la cour de Vienne ne fît pour les y engager.

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