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mène, les seuls, seront toujours ceux de Corneille; la vraie Phèdre toujours celle de Racine; et qui voudra prendre une vue perspective de l'histoire de l'humanité, c'est toujours à nous, Messieurs, qu'il la demandera, c'est au Discours sur l'histoire universelle, c'est à l'Esprit des Lois, c'est à l'Essai sur les

mœurs.

L'unique danger que je redouterais, ce serait donc que notre langue, mal informée de sa propre fortune, en vînt à méconnaître un jour les vraies raisons de son universalité. Oui; si nos écrivains, enragés de modernité, prétendaient rompre sans retour avec une tradition plus de quatre fois séculaire et consacrée par tant de chefs-d'œuvre; s'ils songeaient moins dans leurs écrits aux intérêts de l'humanité qu'à eux-mêmes, et s'ils mettaient les conseils de leur amourpropre au-dessus de la vérité; s'ils s'éver

tuaient enfin à poursuivre une originalité décevante, qui ne s'atteint guère en français qu'aux dépens de la clarté, oui, je conviens qu'alors nous serions au hasard de perdre notre ancien empire, et, pour avoir voulu parler allemand ou norvégien dans la langue de Voltaire et de Bossuet, de Lamartine et de Racine, de Chateaubriand et de George Sand, nous aurions compromis en même temps l'influence et l'action nécessaires du génie français dans le monde. Nos jeunes gens le veulent-ils? et s'ils ne le veulent pas, comment ne voient-ils pas que c'est le prix dont nous paierons certainement leur funeste dédain du passé?

Mais vous êtes là, Messieurs, pour défendre et sauver les écrivains d'eux-mêmes. Institués en effet, par ce grand Cardinal, dont je suis heureux de ramener dans un discours académique l'éloge autrefois obli

gatoire, institués et comme patentés,

« pour rendre le langage français non seulement élégant, mais capable de traiter tous les arts et toutes les sciences », et le faire ainsi succéder dans la royauté du latin, vous n'avez pas failli, depuis votre première origine, à cette noble tâche. Pour vous en acquitter, vous vous êtes gardés d'imiter tant d'autres compagnies, que l'on pourrait nommer, —mortes presque en naissant de n'avoir prétendu former que des sociétés de gens de lettres. Vous avez au contraire libéralement accueilli parmi vous, pour les faire concourir ensemble au perfectionnement de la vie civile, toutes les forces sociales. Les grands seigneurs, dans vos assemblées, ont discuté le sens des mots de Politesse et d'Indépendance avec le fils du notaire Arouet ou celui du greffier Boileau. Vous avez tenu à honneur d'associer à vos travaux des

56 DISCOURS DE M. FERDINAND BRUNETIÈRE.

princes même de l'Église. Et ainsi, sans que vous y eussiez songé peut-être, par un effet du cours insensible des choses, l'égalité académique a été la première que la France ait connue ! C'est ce qui m'a donné, Messieurs, la hardiesse de solliciter vos suffrages; c'est ce qui me rend presque aussi fier, comme citoyen que comme homme de lettres, de les avoir obtenus; et c'est en travaillant pour ma modeste part à la grande œuvre qui est la vôtre que je m'efforcerai de justifier l'honneur de votre choix.

RÉPONSE

DE

M. LE COMTE D'HAUSSONVILLE

DIRECTEUR DE L'ACADÉMIE

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