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plus tendu, plus grave et plus éloquent, sur O'Connell et la Jeune Irlande, ou sur la Vie

des noirs en Amérique,

Case de l'Oncle Tom,

à l'occasion de la

respirent cet incom

pressible amour de la liberté qui semble avoir été la seule passion de M. John Lemoinne. «< Comme tous les grands problèmes de ce monde, s'écriait-il dans un de ces articles, daté de 1852, le problème de l'esclavage sera résolu par le fer et le feu, et Spartacus ramassera encore son droit de cité dans la poussière et dans la cendre des batailles. C'est le prix de toutes les grandes initiations. » Je les préfère à meilleur marché! Non moins remarquables, pour d'autres qualités, sont les travaux qu'il consacra, dans le même recueil, à la rivalité des Anglais et des Russes dans l'Asie centrale : grande question, pleine encore d'obscurités redoutables, et dont il a bien vu, l'un des

premiers chez nous, l'importance future. Bizarrerie des choses humaines! Tous ces articles étaient signés; le nom de John Lemoinne s'y lisait en toutes lettres au bas de la dernière page; ceux des Débats étaient anonymes; et c'étaient eux pourtant qui allaient faire la réputation de leur auteur!

Vous ne vous attendez pas, Messieurs, que je vous raconte, à ce propos, l'histoire du Journal des Débats, et encore moins celle de la presse française depuis plus de cent ans. Trop vaste ou trop ambitieux pour moi, le dessein en passerait mes forces; et que serait-ce si, pour vous retracer l'étonnante fortune du « quatrième pouvoir », j'essayais de remonter jusqu'à ses premiers commencements? Vive Renaudot! cet habile homme, le fondateur de la Gazette de France, et l'inventeur des bureaux de placement! Mais, à l'abri de ce nom fameux, nos jour

nalistes se sont eux-mêmes assez loués l'an dernier pour n'avoir pas besoin du tribut de mon admiration. Peut-être aussi que je les louerais mal.

La presse a fait beaucoup de bien, elle en fait même tous les jours encore; et je commencerais par le déclarer. Je dirais d'elle ce qu'Ésope le Phrygien disait de la langue à son maître Xanthus : « Eh! qu'y a-t-il de meilleur que la langue? C'est le lien de la vie civile, la clef des sciences, l'organe de la vérité et de la raison : par elle on bâtit les villes et on les police, on instruit, on persuade, on règne dans les assemblées... » On fait plus, Messieurs, et on fait mieux! On inquiète l'égoïsme; on dénonce l'injustice; on nous rappelle au sentiment de la solidarité qui nous lie! La liberté de tout dire n'est-elle pas le plus sûr moyen que les hommes aient trouvé d'ôter à quel

ques-uns d'entre eux la licence de tout faire? Mais, pour être sincère, j'ajouterais avec le fabuliste, que la langue est aussi « la mère de tous les débats, la nourrice des procès, la source des divisions et des guerres. Si l'on dit qu'elle est l'organe de la vérité, c'est aussi celui de l'erreur et, qui pis est, de la calomnie par elle on détruit les villes, on persuade de méchantes choses... » Et nos journalistes, qui ont bien plus d'esprit que Xanthus, ne s'en fâcheraient sans doute point je ne me ferais pas une affaire avec eux pour cela! Ils me remercieraient encore, bien loin de m'en garder rancune, si je regrettais avec eux ce qu'ils dépensent quotidiennement, ce qu'ils dissipent, ce qu'ils gaspillent de verve, d'esprit, de talent inutiles. Combien de poètes, et d'auteurs dramatiques, et de romanciers, la presse, depuis cinquante ans, n'a-t-elle pas dévorés!

Et quel reproche en effet lui pourrais-je adresser qui la flattât plus délicieusement. Mais si je prétendais lui contester le titre qu'elle s'arroge de représenter le pouvoir de l'esprit; si j'entreprenais de lui faire voir que, toutes les idées dont nous vivons aujourd'hui, qui forment en quelque manière la substance de l'intelligence contemporaine, nous étant venues des Kant et des Hegel, des Comte et des Darwin, des Claude Bernard et des Pasteur, des Taine et des Renan, la presse, après avoir souvent commencé par les railler, n'a rien fait, ou peu de chose, pour les répandre ou pour les développer; si je tentais enfin de lui prouver que tous ses << organes » ensemble, et toutes ses forces conjurées, très capables, trop capables, de renverser un ministère, et un gou

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vernement, s'il le faut, ne le sont pas,

hélas! d'empêcher la foule de déserter les

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