Page images
PDF
EPUB

à tant de titres, fixer l'attention de l'Académie française, comme étant celle qui représente le mieux, dans ce qu'ils ont de meilleur et de plus aimable, son temps, son sexe et son pays.

I.

Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné, naquit le 5 février 1627; elle-même a fixé cette date par un mot qui résume toute sa vie : « Il y a aujour» d'hui bien des années, ma fille, qu'il vint au monde une créature destinée à vous aimer préférablement à toutes choses.

[ocr errors]

Le lieu de sa naissance est moins certain; on croit cependant que ce fut le vieux château de Bourbilly, manoir de ses ancêtres, où les portraits des Guy, des Amé, des Christophle, bardés de fer, ou couverts de leurs habits armoriés, racontaient à leur petite-fille la gloire des Rabutin, lesquels remontaient à Mayeul, qui était déjà, en 1147, « un seigneur paissant, » et à Jeanne de Montagu, fille légitimée de la maison de Bourgogne, mariée, en 1461, à Hugues de Rabutin.

Le baron de Chantal, grand-père de madame de Sévigné, qui s'était battu dix-huit fois en duel avec un bonheur égal à sa bravoure, fut tué par accident à la chasse. Sa femme, Jeanne Frémiot, que sa haute piété a fait admettre par l'Eglise au nombre des saintes, après l'avoir vu mourir avec autant de courage que de résignation, consacra à Dieu le reste de sa vie, et devint, dix ans plus tard, fondatrice des dames de la Visita

tion.

Le fils de cette sainte, Celse-Bénigne de Rabutin,

avait moins hérité de ses pieux sentiments que de l'impétueux courage de son père. Possédé par cette fureur de duels que ne pouvait arrêter toute la rigueur des édits, il quitta, le jour de Pâques, la sainte table où il communiait avec sa famille, pour aller servir de second au comte de Bouteville. Le cardinal de Richelieu, qu'on ne bravait pas impunément, fit décapiter le comte et disgracier le baron de Chantal, qui fut banni de la cour.

L'oisiveté de l'exil ne pouvait convenir à ce bouillant esprit; il alla rejoindre le marquis de Toiras, gouverneur de l'île de Ré, que les Anglais menacaient d'une descente : il se battit avec la valeur obstinée qui lui était habituelle, eut trois chevaux tués sous lui, et périt de la main de l'officier qui commandait cette expédition.

Marie de Chantal n'avait encore que cinq mois et demi quand elle perdit ce père qu'elle ne devait pas connaître. Peu d'années après, sa mère lui fut enlevée; elle demeura sous la tutelle de son aïeul maternel, et ensuite sous celle de son oncle, l'abbé de Coulanges, qu'elle a immortalisé par le nom de Bien

bon.

La jeune Marie annonçait un esprit peu commun, une mémoire heureuse, une vive et prompte intelligence; on cultiva avec soin ces brillantes dispositions; elle apprit le latin, l'italien, l'espagnol; Ménage et Chapelain furent ses maîtres, et peut-être cette éducation, où ne se faisait pas sentir l'influence d'une femme, a-t-elle contribué à ce tour libre et hardi de son esprit et de son style, dont on est parfois

étonné.

Elle n'avait que dix-sept ans quand elle épousa Henri de Sévigné. Jeune, brave, bien fait, bon gentilhomme, ce mari lui fit espérer peut-être un bon-· heur qu'elle fut loin de trouver près de lui. Elle était de ces âmes droites qui ont besoin de sentir leurs affections d'accord avec leurs devoirs, et dut souffrir de ne pouvoir estimer ce qu'elle aimait; lui, au rebours, estimait sa femme et ne l'aimait point, tout en convenant qu'elle pouvait paraître fort agréable à tout autre.

Qu'on ne soit point étonné qu'avec tant de moyens de charmer, madame de Sévigné n'ait pu plaire à son mari; le marquis, tout jeune encore, se trouvait jeté dans la société de ces petits-maîtres, dont les bruyantes et grossières folies avaient succédé, par une sorte de réaction fréquente, au ton guindé que les mœurs timorées du feu roi, la galanterie espagnole, mise à la mode par la reine Anne d'Autriche, et le goût du grand cardinal pour les raffinements de métaphysique amoureuse, avaient imposé à la cour de Louis XIII. L'hôtel de Rambouillet seul conservait la tradition de ces adorations respectueuses, de ce servage avoué, reste de notre ancienne chevalerie, auquel s'étaient long-temps soumis (notre histoire en fait foi ) les plus fiers et les moins doucereux de nos pères: « Je portais ces couleurs en l'honneur d'une dame dont j'étais le serviteur, quand je me trouvais de loisir, » dit quel que part le brave Montluc.

[ocr errors]

Le marquis de Sévigné, brusque, étourdi, sans lettres, gâté par ses compagnons de plaisir, et par Ninon, qui lui enseigna sans doute à ériger en principes les désordres auxquels il se livrait par entraîne

ment ou par insouciance, ne pouvait guère s'accommoder d'une précieuse telle que sa femme : « Il aima partout, dit Bussy, et n'aima jamais rien de si ai» mable qu'elle.

[ocr errors]

>>

Dans le cours de ses folies, le chevalier d'Albret, qu'il avait supplanté près d'une madame de Gondran, dont il était amoureux, lui chercha querelle; il se battit, fut blessé et il mourut le lendemain, désespéré de quitter le monde dans la fleur de sa jeunesse, laissant à sa veuve deux enfants en bas âge, une fortune en désordre et un abîme de dettes.

Se trouver seule à vingt-quatre ans en face de la vie avec un tel fardeau, c'était pour abattre un courage ordinaire, mais non celui de madame de Sévigné. Elle avait fait du mariage une triste épreuve, qu'elle n'était pas tentée de renouveler. Déçue dans sa première affection, tout ce qui y ressemblait dut lui inspirer cette défiance craintive qui perce parfois dans ses lettres. « Je sais de quoi votre amité m'a gardé, » écrit-elle à sa fille, mais quand ce serait de feu et d'eau, elle ne me serait pas plus chère. Il y a des temps où j'admire qu'on veuille seulement laisser entrevoir qu'on ait été capable d'approcher à neuf » cents lieues d'un cap. »

[ocr errors]

Elle tourna toutes ses pensées sur ses enfants. Assurer leur avenir et rétablir leur fortune, lui parut une tâche suffisante pour remplir toute sa vie; l'abbé de Coulanges l'aida à l'accomplir, et dès ce moment ne la quitta plus; car là où madame de Sévigné se défiait de ses propres forces, elle s'entendait merveilleusement à employer celles des autres : « Je n'ai pas beaucoup de lumières, mais je suis sage et docile, ».

[ocr errors]

disait-elle. Elle aurait dù ajouter aimable et reconnaissante; ce qui faisait qu'on avait plaisir à la servir, et que le zèle de ses amis ne se fatiguait point.

Quand, avec le secours du Bien-bon, elle eut gagné des procès, remis ses terres en bon état et payé ses dettes, elle se redonna à ce monde brillant et poli qui était fait pour elle, comme elle était faite pour lui. C'est alors que ses amis, la voyant arriver dans le fond de son carrosse tout ouvert, entourée de ses deux beaux enfants, la comparaient à Latone entre le jeune Apollon et la petite Diane, « tant il éclatait d'agré» ment et de beauté dans la mère et les enfants. >>

Mais, pour peindre ce qu'elle était à cette époque, je ne puis mieux faire que d'emprunter quelques touches au portrait que lui adressa, sous le nom d'un inconnu, son amie madame de la Fayette.

On peut s'en fier pour la finesse de l'observation à l'auteur de la Princesse de Clèves, et pour la fidélité de la peinture, à la femme qui, la première, a fait dire d'elle qu'elle était vraie'.

>>

[ocr errors]

Sachez, Madame, si, par hasard, vous ne le savez pas, que votre esprit pare et embellit si fort votre » personne, qu'il n'y en a point sur la terre d'aussi charmante, lorsque vous êtes animée dans une conversation d'où la contrainte est bannie. Tout ce que vous dites a un tel charme, et vous sied si bien » que.... quoiqu'il semble que l'esprit ne dût toucher que les oreilles, il est pourtant certain que le vôtre éblouit les yeux; et que, quand on vous écoute, on ne voit plus qu'il manque quelque chose

[ocr errors]

})

>>

[ocr errors]

1 La Rochefoucauld avait créé ce mot pour elle.

« PreviousContinue »