Je triomphe aujourd'hui du plus juste courroux Soyons amis, Cinna; c'est moi qui t'en convie : a Ce que dit Auguste est admirable, c'est là ce qui fit verser des larmes au grand Condé, larmes qui n'appartiennent qu'à de belles âmes. Voltaire a dit : "Le grand Condé pleurant aux vers du grand Corneille." De toutes les tragédies de Corneille, celle-ci fit le plus d'effet à la cour où tous les esprits étaient encore remplis des idées et des passions politiques. Il n'y a rien de pareil dans tout le théâtre grec, même dans le majestueux Sophocle; il a fallu un Auguste, un Sénèque et un Corneille pour enfanter de pareilles beautés.— TISSOT. 69 RACINE. FRAGMENTS DE BRITANNICUS, TRAGÉDIE. Néron, fils de Domitius Ænobarbus et d'Agrippine, fut adopté par l'empereur Claude lorsque ce dernier eut épousé en secondes noces Agrippine. Dès lors Agrippine destina Néron à l'Empire, elle lui fit épouser Octavie, fille de Claude, et lui donna pour instituteurs Burrhus et Sénèque, les deux hommes les plus capables de le former à la vertu et d'orner son esprit. Néron monta sur le trône l'an 54 de J.-C., à l'âge de dix-sept ans, au préjudice de Britannicus, fils de Claude même et de Messaline. Son règne fut d'abord heureux; il se montrait juste, libéral, affable, et son cœur paraissait sensible à la pitié, mais il ne continua pas longtemps comme il avait commencé. Bientôt il secoua le joug d'Agrippine, et craignant qu'elle ne lui ôtât le trône pour le donner à Britannicus, à qui il appartenait, il fit empoisonner ce jeune prince dans un repas. Ce premier crime de Néron fait le sujet d'une des plus belles tragédies de Racine. Personnages. NÉRON, empereur romain, fils d'Agrippine. AGRIPPINE, veuve de Domitius Ænobarbus, père de Néron, et en secondes noces, veuve de l'empereur Claude. BURRHUS, gouverneur de Néron. NARCISSE, gouverneur de Britannicus. La scène est à Rome, dans une chambre du palais de Néron. ACTE IV. SCÈNE II. AGRIPPINE, NÉRON. AGRIPPINE, après avoir dévoilé à Néron les moyens dont elle s'est servie pour lui assurer l'Empire, lui reproche son ingratitude et les procédés injustes dont il s'est déjà rendu coupable à son égard: Du fruit de tant de soins à peine jouissant, En avez-vous six mois paru reconnaissant, Que, lassé d'un respect qui vous gênait peut-être, science. J'ai vu Burrhus, Sénèque, aigrissant vos soupçons, Et de tous vos plaisirs flatteurs respectueux. Ils se flattent tous deux du choix de votre mère : NÉRON. Je me souviens toujours que je vous dois l'empire, Aussi bien ces soupçons, ces plaintes assidues, a Racine a voulu dire amenée par force à la cour, et il a dit tout le contraire: car enlevée à la cour ne peut signifier autre chose que ravie à la cour.-GEOFFROI. b Pallas, affranchi de Claude. C'est lui qui conseilla à son maître d'épouser Agrippine et d'adopter Néron. Quel crime a donc commis ce fils tant condamné? Vous le fortifiez du parti de Junie; Et la main de Pallas trame tous ces complots; AGRIPPINE. Moi! le faire empereur? Ingrat! l'avez-vous cru? Mais des crimes pour vous commis à votre vuea, Vous ne me trompez point; je vois tous vos détours: Dès vos plus jeunes ans, mes soins et mes tendresses Aurait dû dans son cours arrêter ma bonté. Que je suis malheureuse, et par quelle infortune NÉRON. Hé bien donc! prononcez-Que voulez-vous qu'on fasse? AGRIPPINE. De mes accusateurs qu'on punisse l'audace; "C'est une faute bien grave commise par la colère, que cet aveu et ce reproche qui associent Néron aux crimes de sa mère. En l'entendant, Néron se dit tout bas à lui-même: "Il faut qu'elle meure, afin qu'elle n'aille pas, comme elle en est capable, déclarer au peuple ma complicité dans les attentats par lesquels une mère, plus ambitieuse encore pour elle que pour moi, m'a fait monter au pouvoir suprême.-TISSOT. |