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masculins faits sur la même mesure; ainsi les vers féminins, dont les vers masculins ont douze syllabes, se composent de treize; les vers féminins, dont les masculins ont dix syllabes, se composent de onze et ainsi de suite.

Les rimes tant masculines que féminines, se divisent en rimes riches et en rimes suffisantes.

La rime riche est formée d'un son parfaitement semblable à celui de la rime correspondante :

C'est en vain qu'au Parnasse un téméraire auteur

Pense de l'art des vers atteindre la hauteur.-BOILEAU. La rime suffisante est celle qui suffit pour flatter agréablement l'oreille :

Travaillez pour la gloire, et qu'un sordide gain

Ne soit jamais l'objet d'un illustre écrivain.-Boileau. Dans les vers terminés par é, ée, és, ées, et er, il est indispensable que la syllabe finale commence par les mêmes lettres d'appui dans les deux vers:

Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée,

Ne peut plaire à l'esprit quand l'oreille est blessée.—

BOILEAU.

L'ignorance toujours est prête à s'admirer. Faites-vous des amis prompts à vous censurer.—Le méme. Cependant si la dernière syllabe de la terminaison en er forme une diphthongue cette règle n'est plus de rigueur :

Un flatteur aussitôt cherche à se récrier:

Chaque vers qu'il entend le fait extasier.-BOILEAU. On ne doit pas faire rimer deux composés du même mot. Espoir avec désespoir, malheureux avec heureux, etc. Cette règle n'est point capricieuse; la parfaite similitude des terminaisons rendrait la rime insipide.

Pourtant un mot peut fort bien rimer avec lui-même, pourvu qu'il soit pris dans deux acceptions différentes :

Tel que vous me voyez, monsieur ici présent

M'a d'un fort grand soufflet fait un petit présent.—

RACINE, Les Plaideurs.

On évite aussi une similitude de sons entre les deux hémistiches d'un vers, et toute répétition choquante de sons, semblables à ceux qui font la rime, ou rimant entr'eux aux

hémistiches. Les vers suivants ne sauraient être regardés comme exacts:

Déjà le camp du roi jette des cris de joie.—

VOLTAIRE, La Henriade.

J'eus un frère, seigneur, illustre et généreux, Digne par sa valeur, du sort le plus heureux.-CRÉbillon. Les rimes sont ou suivies, ou croisées ou mêlées. Elles sont suivies ou plates, comme plusieurs les nomment, quand deux rimes masculines sont alternativement suivies de deux rimes féminines, ou bien deux rimes féminines de deux rimes masculines :

Existence de Dieu.

Consulte Zoroastre et Minos, et Solon,
Et le sage Socrate et le grand Cicéron ;

Ils ont adoré tous un maître, un juge, un père :
Ce système sublime à l'homme est nécessaire ;
C'est le sacré lien de la société,

Le premier fondement de la sainte équité,
Le frein du scélérat, l'espérance du juste.

Si les cieux dépouillés de leur empreinte auguste,
Pouvaient cesser jamais de le manifester,

Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer.
Que le sage l'annonce et que les grands le craignent !
Rois, si vous m'opprimez, si vos grandeurs dédaignent
Les pleurs de l'innocent que vous faites couler,
Mon vengeur est au ciel : apprenez à trembler.—

VOLTAIRE.

Le poëme épique ou didactique, la tragédie, la comédie, la satire et l'épître sont en possession de cette espèce de rime, mais non pas exclusivement.

Les rimes croisées sont celles où une rime masculine est alternativement suivie d'une féminine, ou bien une rime féminine d'une masculine, selon le choix du poète :

À

un père, sur la mort de sa fille.

Ta douleur, Du Perrier, sera donc éternelle !

Et les tristes discours

Que te met en l'esprit l'amitié paternelle

L'augmenteront toujours!

Le malheur de ta fille, au tombeau descendue,

Par un commun trépas,

Est-ce quelque dédale où ta raison perdue
Ne se retrouve pas ?

Je sais de quels appas son enfance était pleine;
Et n'ai pas entrepris,

Injurieux ami, de soulager ta peine

Avecque son mépris.

Mais elle était du monde où les plus belles choses
Ont le pire destin:

Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses,
L'espace d'un matin.

La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles ;
On a beau la prier,

La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles,
Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
Est sujet à ses lois;

Et la garde qui veille aux barrières du Louvre

N'en défend pas nos rois.-Malherbe.

Les rimes mêlées sont disposées selon le goût du versificateur; tantôt ce sont deux rimes masculines entre deux rimes féminines; tantôt une rime féminine entre deux rimes masculines précédées et suivies elles-mêmes de deux rimes féminines, etc.: Le Nil a vu sur ses rivages

Les noirs habitants des déserts
Insulter par leurs cris sauvages
L'astre éclatant de l'univers.
Cris impuissants, fureurs bizarres !
Tandis que ces monstres barbares
Poussaient d'insolentes clameurs,
Le dieu, poursuivant sa carrière,
Versait des torrents de lumière
Sur ses obscurs blasphémateurs.—

LE FRANC DE POMPIGNAN.

On observe généralement aujourd'hui de mêler les rimes masculines et féminines, de manière que deux différentes

rimes de même espèce ne se trouvent jamais ensemble dans une même suite de vers; c'est-à-dire, qu'une rime masculine ne peut être suivie que de la rime masculine qui y répond, ou d'une rime féminine.

Les odes, les chansons, les fables, et généralement toutes les pièces que l'on nomme fugitives, se composent ordinairement en rimes mêlées.

Pour ne pas lasser l'oreille par les mêmes sons, il faut éviter, dans les rimes suivies, de faire rimer deux vers féminins avec deux vers féminins, quand ils ne sont séparés que par deux vers masculins; ou deux vers masculins avec deux vers masculins, quand ils ne sont séparés que par deux vers féminins, comme dans ces vers de la Henriade de Voltaire :

Soudain Potier se lève, et demande audience.
Sa rigide vertu fesait son éloquence.

Dans ce temps malheureux, par le crime infecté,
Potier fut toujours juste, et pourtant respecté.
Souvent on l'avait vu, par sa mâle constance,
De leurs emportements réprimer la licence,
Et, conservant sur eux sa vieille autorité,
Leur montrer la justice avec impunité.

Il faut encore éviter de donner la même consonnance aux rimes masculines et féminines qui se suivent, comme dans ces vers également tirés de la Henriade:

Tels des antres du Nord échappés sur la terre,
Précédés par les vents, et suivis du tonnerre,
D'un tourbillon de poudre obscurcissant les airs,
Les orages fougueux parcourent l'univers.

Les vers libres sont de toutes mesures, ils dépendent absolument de l'idée du poète. Ces vers sont réservés au conte, à la fable, aux opéras, aux cantates, aux pièces badines, etc.

On appelle bouts-rimés, des rimes souvent très-bizarres, données pour faire des vers dont le sujet est ordinairement à volontéa.

Les habiles professeurs qui, en Angleterre, s'appliquent à faire naître le goût de la poésie française, se servent souvent de ce genre d'exercice pour enseigner à leurs élèves la structure des vers français.

Entr'autres compositions, que nous avons actuellement sous les

DU CHOIX DES EXPRESSIONS.

Si l'on en excepte la poésie familière, les expressions suivantes : car, c'est pourquoi, afin que, pourvu que, parce que, de manière que, de même que, à moins que, non seulement, en effet, d'ailleurs, pour ainsi dire, outre que, or, donc, lequel, laquelle, sont trop languissantes, trop prosaïques pour trouver place dans les vers.

Quelques termes au contraire semblent particulièrement appartenir à la poésie, tels sont les suivants :

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yeux, nous choisissons, comme preuve de l'heureux résultat des efforts d'un bon maître, les vers suivants, composés par un jeune anglais, élève du collége de Kensington (Kensington Proprietary and Collegiate Grammar School).

abeille.

soins.

veille.

besoins.

fidèle.

chien.

zèle.

Bouts-rimés.

J'aime à voir la petite abeille
S'occuper de ses humbles soins,
Ou la fourmi qui toujours veille,
Et toujours prévoit* ses besoins ;
Surtout de l'homme ami fidèle,
Je t'admire, généreux chien,

Toi, dont l'ardent et noble zèle

bien. Te fait vivre ou mourir pour protéger son bien.

* Haud ignara ac non incauta futuri.-HORACE. (Voyez la page 290.)

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