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BÉRANGER.

LES ÉTOILES QUI FILENT.

"BERGER, tu dis que notre étoile
Règle nos jours et brille aux cieux:"
"Oui, mon enfant; mais dans son voile
La nuit la dérobe à nos yeux."
"Berger, sur cet azur tranquille,
De lire on te croit le secret:
Quelle est cette étoile qui file,
Qui file, file et disparaît ?"
"Mon enfant, un mortel expire
Son étoile tombe à l'instant.
Entre amis que la joie inspire,
Celui-ci buvait en chantant.
Heureux, il s'endort immobile
Auprès du vin qu'il célébrait...
-Encore une étoile qui file,
Qui file, file et disparaît.

"Mon enfant, qu'elle est pure et belle ! C'est celle d'un objet charmant.

Fille heureuse, amante fidèle

On l'accorde au plus tendre amant.
Des fleurs ceignent son front nubile,
Et de l'hymen l'autel est prêt...
-Encore une étoile qui file,
Qui file, file et disparaît.

"Mon fils, c'est l'étoile rapide
D'un très-grand seigneur nouveau-né:
Le berceau qu'il a laissé vide
D'or et de pourpre était orné.
Des poisons qu'un flatteur distille
C'était à qui le nourrirait...
-Encore une étoile qui file,
Qui file, file et disparaît.

"Mon enfant, quel éclair sinistre !

C'était l'astre d'un favori,

Qui se croyait un grand ministre
Quand de nos maux il avait ri.
Ceux qui servaient ce dieu fragile
Ont déjà caché son portrait...
-Encore une étoile qui file,
Qui file, file et disparaît.

"Mon fils, quels pleurs seront les nôtres !
D'un riche nous perdons l'appui ;
L'indigence glane chez d'autres,
Mais elle moissonnait chez lui.
Ce soir même, sûr d'un asile,

À

son toit le pauvre accourait... -Encore une étoile qui file,

Qui file, file et disparaît.

"C'est celle d'un puissant monarque!...
Va, mon fils, garde ta candeur;

Et

que ton étoile ne marque
Par l'éclat ni par la grandeur.
Si tu brillais sans être utile,
À ton dernier jour on dirait:
Ce n'est qu'une étoile qui file,
Qui file, file et disparaît."

PICHAT.

LÉONIDAS AUX TROIS CENTS SPARTIATES.

EH bien écoutez donc l'espoir qu'un dieu m'inspire,
Et le but salutaire où notre mort aspire!

Contre ce roi barbare, et qui compte aux combats
Autant de nations que nos rangs de soldats,

Que pourraient tous les Grecs? Puissance inattendue,
Il faut qu'une vertu, même à Sparte inconnue,

Frappe, étonne, confonde un despote orgueilleux.
De notre sang versé va sortir, en ces lieux,
Une leçon sublime; elle enseigne à la Grèce
Le secret de sa force, aux Perses leur faiblesse.
Devant nos corps sanglants on verra le grand roi
Pâlir de sa victoire, et reculer d'effroi ;

Ou, s'il ose franchir le pas des Thermopyles,
Il frémira d'apprendre, en marchant sur nos villes,
Que dix mille après nous y sont prêts pour la mort.
Mais, que dis-je? dix mille! ô généreux transport!
Notre exemple en héros va féconder la Grèce !
Un cri vengeur succède au cri de sa détresse :
Patrie! indépendance! À ce cri tout répond
Des monts de Messénie aux mers de l'Hellespont,
Et cent mille héros, qu'un saint accord anime,
S'arment, en attestant notre mort unanime.
Au bruit de leurs serments, sur ces rochers sacrés,
Réveillez-vous alors, ombres qui m'entourez!
Voyez en fugitif, sur une frêle barque,
L'Hellespont emporter ce superbe monarque,
Et la Grèce, éclipsant ses exploits les plus beaux,
Rassurer son Olympe au pied de nos tombeaux.

Si de tels intérêts j'ose un moment descendre,
Amis, je vous dirai quel culte à notre cendre
Vont consacrer l'histoire et la postérité.
Oui, nous nous emparons d'une immortalité
Où nulle gloire humaine encor n'est parvenue;
Et, quand de Sparte enfin l'heure sera venue,
De ses débris sacrés, qui ne se tairont pas,
Les tyrans effrayés détourneront leurs pas.
Alors, des temps fameux levant les voiles sombres,
Le voyageur sur Sparte évoquera nos ombres,
Et de Léonidas et de ses compagnons

Les échos n'auront pas oublié les grands noms.

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TRAITÉ

DE

VERSIFICATION FRANÇAISEa.

L'ART de la versification est dans toutes les langues celui de placer les mots d'après des règles déterminées.

La construction de nos vers français est assujettie à quatre règles. Nos vers doivent être composés d'un certain nombre de syllabes, suivant l'espèce du vers; secondement, nos vers doivent avoir un repos ou une césure; troisièmement, il faut éviter le concours des syllabes qui ne souffrent pas d'élision; enfin il faut rimer.

DE LA MESURE.

C'est le nombre des syllabes qui détermine la mesure du

vers.

Nous avons des vers de douze syllabes ou de six pieds,deux syllabes formant un pied, quelle que soit d'ailleurs la mesure du vers.

Nous avons aussi des vers de dix, de huit, de sept, de six, de cinq, de quatre, de trois et de deux syllabes.

Nota.-Dans le nombre des syllabes on ne comprend pas la dernière syllabe quand elle est féminine, c'est-à-dire, quand elle est terminée par un e muet.

Vers de douze syllabes.

Ni l'or ni la grandeur ne nous rendent heureux.

Ces deux divinités n'accordent à nos vœux

Que des biens peu certains, qu'un plaisir peu tranquille : Des soucis dévorants c'est l'éternel asile.

LA FONTAINE, Philémon et Baucis.

a Ce traité de versification française peut servir de complément à la grammaire de l'éditeur, (voyez l'Appendice de cette grammaire, page 319, DE LA PROSODIE).

Nota.-L'e muet, à la fin d'un mot, rencontrant une voyelle ne compte point comme syllabe :

Le temps est assez long pour quiconque en profite;

Qui travaille et qui pense en étend la limite.-Voltaire. Les vers de douze syllabes sont appelés indifféremment vers alexandrins, hexamètres ou grands vers. On leur donne aussi le nom d'héroïques, parce que, le rhythme étant plein de force et de majesté, on les emploie souvent dans les ouvrages héroïques, tels que la tragédie et l'épopée.

Vers de dix syllabes.

Naissez, mes vers, soulagez mes douleurs,

Et sans effort, coulez avec mes pleurs.-PARNY.

Les vers de dix syllabes se font remarquer par la douceur, la grâce et une aisance pleine d'abandon.

Les autres mesures conviennent à la poésie lyrique, à la fable, etc.

Vers de huit syllabes.

Ce vieillard qui d'un vol agile
Fuit, sans jamais être arrêté,

Le temps, cette image mobile

De l'immobile éternité.-J. B. ROUSSEAU.

Les vers de huit syllabes ont beaucoup de force et de noblesse; ils s'emploient dans les odes, les hymnes, les épîtres, etc.

Vers de sept syllabes,

Au Parnasse, la misère

Longtemps a régné, dit-on.

Quels biens possédait Homère?

Une besace, un bâton.-Béranger.

a Quelques étymologistes font dériver ce mot d'un roman français du douzième siècle, en l'honneur d'Alexandre-le-Grand, roman dans lequel on vit pour la première fois un poète français se servir de cette sorte de vers.

↳ Rhythme, du grec 'Pv0μos (rhuthmos), signifie le nombre, la cadence, la mesure d'un vers. C'est une loi indiquée par la nature pour charler l'oreille. "La prose a son rhythme, ainsi que la poésie."-Académie.

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