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Compagnons de l'exil, quoi! vous pleurez ma mort!
Vous pleurez! et déjà dans la coupe sacrée
J'ai bu l'oubli des maux, et mon âme enivrée
Entre au céleste port.

LA MORT DE SOCRATE.

Cependant dans son sein son haleine oppressée
Trop faible pour prêter des sons à sa pensée,
Sur sa lèvre entr'ouverte, hélas! venait mourir,
Puis semblait tout à coup palpiter et courir.
Comme, prêt à s'abattre aux rives paternelles,
D'un cygne qui se pose on voit battre les ailes,
Entre les bras d'un songe il semblait endormi.
L'intrépide Cébès", penché sur notre ami,
Rappelant dans ses yeux l'âme qui s'évapore,
Jusqu'au bord du trépas l'interrogeait encore:
"Dors-tu ?” lui disait-il; "la mort, est-ce un sommeil?"
Il recueillit sa force, et dit: "C'est un réveil !"
"Ton œil est-il voilé par des ombres funèbres ?"
"Non; je vois un jour pur poindre dans les ténèbres."
"N'entends-tu pas des cris, des gémissements?" "Non;
J'entends des astres d'or qui murmurent un nom."
"Que sens-tu ?" "Ce que sent la jeune chrysalide,
Quand, livrant à la terre une dépouille aride,
Aux rayons de l'aurore ouvrant ses faibles yeux,
Le souffle du matin la roule dans les cieux!"

"Ne nous trompais-tu pas? réponds: l'âme était-elle ?"... Croyez-en ce sourire, elle était immortelle !"...

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"De ce monde imparfait qu'attends-tu pour sortir?"

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J'attends, comme la nef, un souffle pour partir!" "D'où viendra-t-il?" "Du ciel!" "Encore une parole!" "Non ; laisse en paix mon âme, afin qu'elle s'envole !"

a

Cébès, philosophe thébain, disciple de Socrate, florissait environ 400 ans av. J.-C.

Il dit, ferma les yeux pour la dernière fois,

Et resta quelque temps sans haleine et sans voix.
Un faux rayon de vie, errant par intervalle,
D'une pourpre mourante éclairait son front pâle.
Ainsi, dans un soir pur de l'arrière-saison,
Quand déjà le soleil a quitté l'horizon,
Un rayon oublié des ombres se dégage,

Et colore, en passant, les flancs d'or d'un nuage.
Enfin plus librement il semble respirer;

Et, laissant sur ses traits son doux sourire errer:
"Aux dieux libérateurs,” dit-il, “qu'on sacrifie !
Ils m'ont guéri!" "De quoi?" dit Cébès. "De la vie!"...
Puis un léger soupir de ses lèvres coula,

Aussi doux le vol d'une abeille d'Hybla.

que

Était-ce?...Je ne sais; mais, pleins d'un saint dictame, Nous sentîmes en nous comme une seconde âme!...

STANCES.

Et j'ai dit dans mon cœur: Que faire de la vie?
Irai-je encor, suivant ceux qui m'ont devancé,
Comme l'agneau qui passe où sa mère a passé,
Imiter des mortels l'immortelle folie?

L'un cherche sur les mers les trésors de Memnon,
Et la vague engloutit ses vœux et son navire;
Dans le sein de la gloire où son génie aspire,
L'autre meurt enivré par l'écho d'un vain nom.
Avec nos passions, formant sa vaste trame,

Celui-là fonde un trône, et monte pour tomber;
Dans des piéges plus doux, aimant à succomber,
Celui-ci lit son sort dans les yeux d'une femme.
Le paresseux s'endort dans les bras de la faim;
Le laboureur conduit sa fertile charrue;
Le savant pense et lit, le guerrier frappe et tue;
Le mendiant s'assied sur les bords du chemin.

Où vont-ils cependant? Ils vont où va la feuille,
Que chasse devant lui le souffle des hivers:
Ainsi vont se flétrir dans leurs travaux divers
Ces générations que le temps sème et cueille.

Ils luttaient contre lui, mais le temps a vaincu ;
Comme un fleuve engloutit le sable de ses rives,
Je l'ai vu dévorer leurs ombres fugitives.

Ils sont nés, ils sont morts: Seigneur, ont-ils vécu?
Pour moi, je chanterai le maître que j'adore,
Dans le bruit des cités, dans la paix des déserts,
Couché sur le rivage, ou flottant sur les mers,
Au déclin du soleil, au réveil de l'aurore.

La terre m'a crié: Qui donc est le Seigneur?
Celui dont l'âme immense est partout répandue,
Celui dont un seul pas mesure l'étendue,
Celui dont le soleil emprunte sa splendeur;
Celui qui du néant a tiré la matière,
Celui qui sur le vide a fondé l'univers,
Celui qui sans rivage a renfermé les mers;
Celui qui d'un regard a lancé la lumière;

Celui qui ne connaît ni jour ni lendemain,
Celui qui de tout temps de soi-même s'enfante,
Qui vit dans l'avenir comme à l'heure présente,
Et rappelle les temps échappés de sa main.

C'est lui, c'est le Seigneur: que ma langue redise
Les cent noms de sa gloire aux enfants des mortels:
Comme la harpe d'or pendue à ses autels,

Je chanterai pour lui, jusqu'à ce qu'il me brise.

L'AUTOMNE.

Salut, bois couronnés d'un reste de verdure!
Feuillages jaunissants sur les gazons épars!
Salut, derniers beaux jours! le deuil de la nature
Convient à la douleur, et plaît à mes regards.

Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire,
J'aime à revoir encor, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois.
Oui, dans ces jours d'automne où la nature expire,
À ses regards voilés jet rouve plus d'attraits :

C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer pour jamais.
Ainsi, prêt à quitter l'horizon de la vie,
Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui,
Je me retourne encore, et d'un regard d'envie,
Je contemple ses biens dont je n'ai pas joui.

Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,

Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau.
L'air est si parfumé! la lumière est si pure!
Aux regards d'un mourant le soleil est si beau!

Je voudrais maintenant vider jusqu'à la lie
Ce calice mêlé de nectar et de fiel:

Au fond de cette coupe où je buvais la vie,
Peut-être restait-il une goutte de miel!

Peut-être l'avenir me gardait-il encore

Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu!
Peut-être dans la foule, une âme que j'ignore
Aurait compris mon âme et m'aurait répondu !

La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire;
À la vie, au soleil, ce sont-là ses adieux;

Moi, je meurs; et mon âme, au moment qu'elle expire, S'exhale comme un son triste et mélodieux.

382

LA PRIÈRE POUR TOUS.

MA fille, va prier!-Vois, la nuit est venue.

Une planète d'or là-bas perce

la nue;

La brume des coteaux fait trembler le contour;

À peine un char lointain glisse dans l'ombre...Écoute !
Tout rentre et se repose: et l'arbre de la route
Secoue au vent du soir la poussière du jour !

Le crépuscule, ouvrant la nuit qui les recèle,
Fait jaillir chaque étoile en ardente étincelle;
L'occident amincit sa frange de carmin;
La nuit de l'eau dans l'ombre argente la surface:
Sillons, sentiers, buissons, tout se mêle et s'efface;
Le passant inquiet doute de son chemin.

Ô sommeil du berceau! prière de l'enfance!
Voix qui toujours caresse et qui jamais n'offense!
Douce religion, qui s'égaie et qui rit!

Prélude du concert de la nuit solennelle !

Ainsi que
l'oiseau met sa tête sous son aile,
L'enfant dans la prière endort son jeune esprit!
Ma fille, va prier!-D'abord, surtout, pour celle
Qui berça tant de nuits ta couche qui chancelle,
Pour celle qui te prit jeune âme dans le ciel,
Et qui te mit au monde, et depuis, tendre mère,
Faisant pour toi deux parts dans cette vie amère,
Toujours a bu l'absinthe et t'a laissé le miel!

Puis ensuite pour moi! j'en ai plus besoin qu'elle !
Elle est ainsi que toi, bonne, simple et fidèle !
Elle a le cœur limpide et le front satisfait.
Beaucoup ont sa pitié; nul ne lui fait envie ;
Sage et douce, elle prend patiemment la vie ;
Elle souffre le mal sans savoir qui le fait.

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