Je ne suis pas de ceux qui font leur volupté Des embarras charmants de la paternité,
Pauvres dans l'opulence, et dont la vertu brille À se gêner quinze ans pour doter leur famille......
Jamais le bon plaisir de madame Bonnard
Pour danser jusqu'au jour, ne me fait coucher tard, Ne gonfle mon budjet par des frais de toilette; Et jamais ma dépense excédant ma recette, Ne me force à bâtir un espoir mal fondé Sur le terrain mouvant du tiers consolidé.
Aussi, sans trouble aucun, couché près de ma caisse, Je m'éveille à la hausse ou m'endors à la baisse.
À deux heures je dîne: on en digère mieux. Je fais quatre repas comme nos bons aïeux, Et n'attends pas à jeun, quand la faim me talonne, Que ma fille soit prête ou que ma femme ordonne. Dans mon gouvernement despotisme complet: Je rentre quand je veux, je sors quand il me plaît; Je dispose de moi, je m'appartiens, je m'aime, Et sans rivalité je jouis de moi-même. Célibat! célibat! le lien conjugal
A ton indépendance offre-t-il rien d'égal!
Je me tiens trop heureux, et j'estime qu'en somme Il n'est pas de bourgeois, récemment gentilhomme, De général vainqueur, de poète applaudi,
De gros capitaliste à la bourse arrondi,
Plus libre, plus content, plus heureux sur la terre, Pas même d'empereur, s'il n'est célibataire.
Et je te soutiens, moi, que le sort le plus doux, L'état le plus divin, c'est celui d'un époux Qui longtemps enterré dans un triste veuvage, Rentre au lien chéri dont tu fuis l'esclavage. Il aime, il ressuscite, il sort de son tombeau ; Ma femme a de mes jours rallumé le flambeau.
Non, je ne vivais plus: le cœur froid, l'humeur triste, Je végétais, mon cher, et maintenant j'existe.
Que de soins! quels égards! quels charmants entretiens! Des défauts, elle en a; mais n'as-tu pas les tiens? Tu crains pour mes amis les travers de son âge? J'ai deux fois plus d'amis qu'avant mon mariage. Ma caisse dans ses mains fait jaser les railleurs ! Je brave leurs discours; je suis riche, et d'ailleurs Une bonne action que j'apprends en cachette Compense bien pour moi les rubans qu'elle achète. Hortense a l'humeur vive; et moi ne l'ai-je pas? Nous nous fâchons parfois; mais qu'elle fasse un pas, Contre tout mon courroux sa grâce est la plus forte. Je n'ai pas de chagrin que sa gaîté n'emporte.
Suis-je seul? elle accourt; suis-je un peu las? sa main, M'offrant un doux appui, m'abrège le chemin. J'ai quelqu'un qui me plaint quand je maudis ma goutte; Quand je veux raconter, j'ai quelqu'un qui m'écoute. Je suis tout glorieux de ses jeunes attraits;
Ses regards sont si vifs! son visage est si frais !... Quand cet astre à mes yeux luit dans la matinée, Il rend mon front serein pour toute la journée; Je ne me souviens plus des outrages du tems: J'aime, je suis aimé, je renais, j'ai vingt ans.
Je veux fêter le jour qui nous rassemble; Au bonheur des maris nous trinquerons ensemble, Oh! je t'y forcerai. Tu soupes, me dis-tu ? Admire dans ma femme un effort de vertu:
Les soupers sont proscrits, et vraiment c'est dommage, Je veux qu'elle ait l'honneur d'en ramener l'usage; Rien n'est tel pour causer que le repas du soir. À table entre nous deux elle viendra s'asseoir.
Bientôt, cher receveur, vous la verrez paraître, Et vous accepterez quand vous l'allez connaître. Oui, vous que rien n'émeut, vous aurez votre tour: Bonnard, monsieur Bonnard, vous lui ferez la cour.
HYMNE DE L'ENFANT À SON RÉVEIL.
Ô PÈRE qu'adore mon père ! Toi qu'on ne nomme qu'à genoux! Toi dont le nom terrible et doux Fait courber le front de ma mère ! On dit que ce brillant soleil N'est qu'un jouet de ta puissance; Que sous tes pieds il se balance Comme une lampe de vermeil.
On dit que c'est toi qui fais naître Les petits oiseaux dans les champs, Et qui donne aux petits enfants Une âme aussi pour te connaître ! On dit que c'est toi qui produis Les fleurs dont le jardin se pare, Et que, sans toi, toujours avare, Le verger n'aurait point de fruits.
Aux dons que ta bonté mesure Tout l'univers est convié; Nul insecte n'est oublié
L'alouette a la graine amère Que laisse envoler le glaneur, Le passereau suit le vanneur, Et l'enfant s'attache à sa mère.
Et pour obtenir chaque don Que chaque jour tu fais éclore, À midi, le soir, à l'aurore, Que faut-il? prononcer ton nom!
Ô Dieu! ma bouche balbutie Ce nom des anges redouté. Un enfant même est écouté Dans le chœur qui te glorifie!
On dit qu'il aime à recevoir Les vœux présentés par l'enfance, À cause de cette innocence Que nous avons sans le savoir.
On dit que leurs humbles louanges À son oreille montent mieux,
Que les anges peuplent les cieux, Et que nous ressemblons aux anges!
Ah! puisqu'il entend de si loin Les vœux que notre bouche adresse, Je veux lui demander sans cesse Ce dont les autres ont besoin.
Mon Dieu, donne l'onde aux fontaines, Donne la plume aux passereaux,
Et la laine aux petits agneaux, Et l'ombre et la rosée aux plaines.
Donne au malade la santé,
Au mendiant le pain qu'il pleure,
À l'orphelin une demeure, Au prisonnier la liberté.
Donne une famille nombreuse Au père qui craint le Seigneur; Donne à moi sagesse et bonheur, Pour que ma mère soit heureuse!
Mets dans mon âme la justice, Sur mes lèvres la vérité, Qu'avec crainte et docilité
Ta parole en mon cœur mûrisse !
Qu'entends-je? autour de moi l'airain sacré résonne! Quelle foule pieuse en pleurant m'environne? Pour qui ce chant funèbre et ce pâle flambeau ? Ô mort! est-ce ta voix qui frappe mon oreille Pour la dernière fois? Eh quoi! je me réveille Sur le bord du tombeau !
Ô toi! d'un feu divin précieuse étincelle, De ce corps périssable habitante immortelle, Dissipe ces terreurs: la mort vient t'affranchir! Prends ton vol, ô mon âme! et dépouille tes chaînes. Déposer le fardeau des misères humaines,
Oui, le temps a cessé de mesurer mes heures. Messagers rayonnants des célestes demeures, Dans quels palais nouveaux allez-vous me ravir? Déjà, déjà je nage en des flots de lumière; L'espace devant moi s'agrandit, et la terre Sous mes pieds semble fuir!
Mais qu'entends-je? Au moment où mon âme s'éveille, Des soupirs, des sanglots, ont frappé mon oreille!
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