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363

CHÉNIER.

FRAGMENT DE CHARLES IX,

TRAGÉDIE.

[Voyez l'extrait du troisième chant de la Henriade, page 315.]

REMORDS ET DÉSESPOIR DE CHARLES IX.

À ME tromper encor leur perfidie aspire!
Les attentats des rois ne sont pas impunis;
Cruels, à mes tourments soyez du moins unis!
C'est vous qui me coûtez des larmes éternelles.
Mes mains, vous le savez, n'étaient point criminelles ;
Sans crainte et sans remords je contemplais les cieux:
Tout est changé pour moi; le jour m'est odieux.
Où fuir? où me cacher dans l'horreur des ténèbres?
Ô nuit couvre-moi bien de tes voiles funèbres.

..........En ces lieux qui vous a rassemblés?
Attendez un moment, ne marchez pas; tremblez!
Pour qui ces glaives nus? quels sont vos adversaires?
Vous courez immoler, qui? vos amis! vos frères !
Arrêtez! je défends... Mais que vois-je, inhumains?
Quel meurtre abominable ensanglante vos mains?
Moi-même... Ah! qu'ai-je fait? cruel, ingrat, perfide,
Parjure à mes serments, sacrilége, homicide,
J'ai des plus vils tyrans réuni les forfaits,

Et je suis tout couvert du sang de mes sujets.

Ces lieux en sont baignés: sous ces portiques sombres,
Des malheureux proscrits je vois errer les ombres:
Une invisible main s'appesantit sur moi.

Dieu! quel spectre hideux redouble mon effroi !
C'est lui; j'entends sa voix terrible et menaçante:
Coligni!... Voyez-vous cette tête sanglante?
Loin de moi cette tête et ces flancs entr'ouverts!
Il me suit, il me presse, il m'entraîne aux enfers!

Pardon, Dieu tout-puissant, Dieu qui venges les crimes;
Toi, Coligni, vous tous, vous trop chères victimes,
Pardon! si vous étiez témoins de mes douleurs,
À votre meurtrier vous donneriez des pleurs.

Des cruels ont instruit ma bouche à l'imposture;
Leur voix a dans mon âme étouffé la nature;
J'ai trahi la patrie, et l'honneur, et les lois:
Le ciel, en me frappant, donne un exemple aux rois.

REGNARD.

FRAGMENT DU JOUEUR,
COMÉDIE.

DANS le Joueur, Regnard a montré une gaîté intarissable et un grand esprit d'observation; rien de plus heureux que toutes les saillies qu'il met dans la bouche du Joueur et d'Hector son valet ; il est impossible de caractériser avec plus de rapidité et en même temps de vérité, les désordres qui résultent du vice qu'il s'applique à peindre, de marquer de couleurs plus vives les alternatives de fortune et de revers, d'espérance et de désespoir qu'entraîne la passion du jeu.

HECTOR.

LE voici: ses malheurs sur son front sont écrits;
Il a tout le visage et l'air d'un premier pris.

VALÈRE.

Non, l'enfer en courroux et toutes ses furies
N'ont jamais exercé de telles barbaries.

Je te loue, ô destin, de tes coups redoublés;

Je n'ai plus rien à perdre, et tes vœux sont comblés.
Pour assouvir encor la fureur qui t'anime,

Tu ne peux rien sur moi; cherche une autre victime.

Il est sec.

HECTOR, à part.

VALÈRE.

De serpents mon cœur est dévoré,

Tout semble en un moment contre moi conjuré.

[Il prend Hector à la cravate.]

Parle. As-tu jamais vu le sort et son caprice
Accabler un mortel avec plus d'injustice,
Le mieux assassiner? Perdre tous les paris;
Vingt fois le coupe-gorge, et toujours premier pris!
Réponds-moi donc, bourreau!

HECTOR.

Mais ce n'est pas ma faute.

VALÈRE.

As-tu vu, de tes jours, trahison aussi haute?
Sort cruel, ta malice a bien su triompher,
Et tu ne me flattais que pour mieux m'étouffer.
Dans l'état où je suis, je puis tout entreprendre ;
Confus, désespéré, je suis prêt à me pendre.

HECTOR.

Heureusement pour vous, vous n'avez pas un sou
Dont vous puissiez, monsieur, acheter un licou...
Voudriez-vous souper?

VALÈRE.

Que la foudre t'écrase!

Ah! charmante Angélique, en l'ardeur qui m'embrase, vos seules bontés je veux avoir recours.

À

Je n'aimerai que vous; m'aimeriez-vous toujours?
Mon cœur, dans les transports de sa fureur extrême,
N'est point si malheureux, puisqu'enfin il vous aime.
HECTOR, à part.

Notre bourse est à fond, et, par un sort nouveau,
Notre amour recommence à revenir sur l'eau.

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Quel livre voulez-vous lire, en votre chagrin ?

VALÈRE.

Celui qui te viendra le premier sous la main;
Il m'importe peu: prends dans ma bibliothèque.
HECTOR Sort, et rentre tenant un livre.

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Hé! vous n'y pensez pas,

Je n'ai lu de mes jours que dans des almanachs.

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"CHAPITRE SIX. Du Mépris des richesses. La fortune offre aux yeux des brillants mensongers; Tous les biens d'ici-bas sont faux et passagers; Leur possession trouble, et leur perte est légère: Le sage gagne assez quand il peut s'en défaire." Lorsque Sénèque fit ce chapitre éloquent, Il avait, comme vous, perdu tout son argent. VALÈRE, se levant.

Vingt fois le premier pris!
Des mouvements de rage.

Dans mon cœur il s'élève Allons, poursuis, achève.

HECTOR.

"L'or est comme une femme: on n'y saurait toucher
Que le cœur, par amour, ne s'y laisse attacher.
L'un et l'autre, en ce temps, sitôt qu'on les manie,
Sont deux grands rémoras pour la philosophie."

N'ayant plus de maîtresse, et n'ayant pas un sou,
Nous philosopherons maintenant tout le saoul.

VALÈRE.

De mon sort désormais vous serez seule arbitre,
Adorable Angélique...Achève ton chapitre.

HECTOR.

VALÈRE.

"Que faut-il ?..."

Je bénis le sort et ses revers,

Puisqu'un heureux malheur me rengage en vos fers.
Finis donc.

HECTOR.

"Que faut-il à la nature humaine? Moins on a de richesse, et moins on a de peine : C'est posséder les biens que savoir s'en passer." Que ce mot est bien dit, et que c'est bien penser ! Ce Sénèque, monsieur, est un excellent homme. Était-il de Paris?

VALÈRE.

Non, il était de Rome.

Dix fois à carte triple être pris le premier!

HECTOR.

Ah! monsieur, nous mourrons un jour sur un fumier.

Il faut

VALÈRE.

que de mes maux enfin je me délivre ;

J'ai cent moyens tout prêts pour m'empêcher de vivre : La rivière, le feu, le poison et le fer.

HECTOR.

Si vous vouliez, monsieur, chanter un petit air;
Votre maître à chanter est ici : la musique
Peut-être calmerait cette humeur frénétique.

VALÈRE.

Que je chante!

HECTOR.

Monsieur!...

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