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Un asile où, coulant des jours dignes d'envie,
Nos bons amis, libres, heureux,
Aimèrent d'autant plus la vie,

Qu'ils se la devaient tous les deux.

Le Danseur de corde et le Balancier.

Sur la corde tendue un jeune voltigeur
Apprenait à danser; et déjà son adresse,
Ses tours de force, de souplesse,

Faisaient venir maint spectateur.

Sur son étroit chemin on le voit qui s'avance,
Le balancier en main, l'air libre, le corps droit,
Hardi, léger autant qu'adroit ;

Il s'élève, descend, va, vient, plus haut s'élance,
Retombe, remonte en cadence,

Et, semblable à certains oiseaux
Qui rasent, en volant, la surface des eaux,
Son pied touche, sans qu'on le voie,
À la corde qui plie et dans l'air le renvoie.
Notre jeune danseur, tout fier de son talent,
Dit un jour: " À quoi bon ce balancier pesant,
Qui me fatigue et m'embarrasse ?

Si je dansais sans lui, j'aurais bien plus de grâce,
De force et de légèreté."

Aussitôt fait que dit. Le balancier jeté,

Notre étourdi chancelle, étend les bras et tombe.
Il se casse le nez, et tout le monde en rit.

Jeunes gens, jeunes gens, ne vous a-t-on pas dit
Que sans règle et sans frein tôt ou tard on succombe?
La vertu, la raison, les lois, l'autorité,

Dans vos désirs fougueux vous causent quelque peine:
C'est le balancier qui vous gêne,

Mais qui fait votre sûreté.

La Mort.

La mort, reine du monde, assembla, certain jour,
Dans les enfers toute sa cour.

Elle voulait choisir un bon premier ministre
Qui rendît ses États encor plus florissants.
Pour remplir cet emploi sinistre,

Du fond du noir Tartare avancent à pas
La Fièvre, la Goutte et la Guerre.
C'étaient trois sujets excellents;
Tout l'enfer et toute la terre

Rendaient justice à leurs talents.

lents

La Mort leur fit accueil. La Peste vint ensuite.
On ne pouvait nier qu'elle n'eût du mérite,
Nul n'osait lui rien disputer;
Lorsque d'un médecin arriva la visite,
Et l'on ne sut alors qui devait l'emporter.
La Mort même était en balance:
Mais les Vices étant venus,

Dès ce moment la Mort n'hésita plus;
Elle choisit l'Intempérance.

La Chenille.

Un jour, causant entre eux, différents animaux Louaient beaucoup le ver à soie.

"Quel talent," disaient-ils," cet insecte déploie En composant ses fils si doux, si fins, si beaux, Qui de l'homme font la richesse!"

Tous vantaient son travail, exaltaient son adresse.
Une chenille seule y trouvait des défauts,
Aux animaux surpris en faisait la critique;
Disait des mais et puis des si.

Un renard s'écria: "Messieurs, cela s'explique ;
C'est que madame file aussi.'

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LOUIS RACINE.

FRAGMENT DU POËME DE LA RELIGION.

LES CIEUX, LA MER ET LA TERRE.

Oui, c'est un Dieu caché que le Dieu qu'il faut croire;
Mais, tout caché qu'il est, pour révéler sa gloire,
Quels témoins éclatants devant moi rassemblés !
Répondez, cieux et mers; et vous, terre, parlez!
Quel bras put vous suspendre, innombrables étoiles ?
Nuit brillante, dis-nous qui t'a donné tes voiles?
O cieux! que de grandeur et quelle majesté !
J'y reconnais un maître à qui rien n'a coûté,
Et qui dans vos déserts a semé la lumière,
Ainsi que dans les champs il sème la poussière.
Toi qu'annonce l'aurore, admirable flambeau,
Astre toujours le même, astre toujours nouveau,
Par quel ordre, ô soleil! viens-tu du sein de l'onde
Nous rendre les rayons de ta clarté féconde?

Tous les jours je t'attends, tu reviens tous les jours:
Est-ce moi qui t'appelle et qui règle ton cours?
Et toi dont le courroux veut engloutir la terre,
Mer terrible, en ton lit quelle main te resserre?
Pour forcer ta prison tu fais de vains efforts:
La
rage de tes flots expire sur tes bords.
Fais sentir ta vengeance à ceux dont l'avarice
Sur ton perfide sein va chercher son supplice.
Hélas! prêts à périr, t'adressent-ils leurs vœux?
Ils regardent le ciel, secours des malheureux.
La nature, qui parle, en ce péril extrême,
Leur fait lever les mains vers l'asile suprême:
Hommage que toujours rend un cœur effrayé
Au Dieu que jusqu'alors il avait oublié !
La voix de l'univers à ce Dieu me rappelle;
La terre le publie. "Est-ce moi," me dit-elle,
"Est-ce moi qui produis mes riches ornements?
C'est celui dont la main posa mes fondements.

Si je sers tes besoins, c'est lui qui me l'ordonné,
Les présents qu'il me fait, c'est à toi qu'il les donne.
Je me pare des fleurs qui tombent de sa main:
Il ne sait que l'ouvrir, et m'en remplit le sein.
Pour consoler l'espoir du laboureur avide,
C'est lui qui, dans l'Égypte, où je suis trop aride,
Veut qu'au moment prescrit, le Nil, loin de ses bords,
Répandu sur la plaine, y porte mes trésors."

LES OISEAUX.

Mais pour toi que jamais ces miracles n'étonnent,
Stupide spectateur des biens qui t'environnent,
Ô toi qui follement fais ton dieu du hasard,
Viens me développer ce nid qu'avec tant d'art,
Au même ordre toujours architecte fidèle,
À l'aide de son bec, maçonne l'hirondelle !
Comment, pour élever ce hardi bâtiment,
A-t-elle, en le broyant, arrondi son ciment?
Et pourquoi ces oiseaux, si remplis de prudence,
Ont-ils de leurs enfants su prévoir la naissance?
Que de berceaux pour eux aux arbres suspendus !
Sur le plus doux coton que de lits étendus!
Le père vole au loin, cherchant dans la campagne
Des vivres qu'il apporte à sa tendre compagne ;
Et la tranquille mère, attendant son secours,
Échauffe dans son sein le fruit de leurs amours.
Des ennemis souvent il
repousse la rage;

Et dans de faibles corps s'allumé un grand courage.
Si chèrement aimés, leurs nourrissons un jour
Aux fils qui naîtront d'eux rendront le même amour.
Quand des nouveaux zéphirs l'haleine fortunée
Allumera pour eux le flambeau d'hyménée,
Fidèlement unis par les plus tendres liens,
Ils rempliront les airs de nouveaux citoyens:
Innombrable famille, où bientôt tant de frères
Ne reconnaîtront plus leurs aïeux ni leurs pères.

Ceux qui, de nos hivers redoutant le courroux,
Vont se réfugier dans des climats plus doux,
Ne laisseront jamais la saison rigoureuse
Surprendre parmi nous leur troupe paresseuse.
Dans un sage conseil, par les chefs assemblé,
Du départ général le grand jour est réglé;
Il arrive tout part. Le plus jeune peut-être
Demande, en regardant les lieux qui l'ont vụ naître,
Quand viendra ce printemps par qui tant d'exilés
Dans les champs paternels se verront rappelés.

GILBERT.

ADIEUX À LA VIE.

J'AI révélé mon cœur au Dieu de l'innocence:
Il a vu mes pleurs pénitents;

Il guérit mes remords, il m'arme de constance:
Les malheureux sont ses enfants.

Soyez béni, mon Dieu! vous qui daignez me rendre
L'innocence et son noble orgueil;

Vous qui, pour protéger le repos de ma cendre,
Veillerez près de mon cercueil !

Au banquet de la vie, infortuné convive,
J'apparus un jour, et je meurs:

Je meurs, et sur ma tombe, où lentement j'arrive,
Nul ne viendra verser des pleurs.

Salut, champs que j'aimais, et vous, douce verdure,
Et vous, riant exil des bois !

Ciel, pavillon de l'homme, admirable nature,
Salut pour la dernière fois!

Ah! puissent voir longtemps votre beauté sacrée
Tant d'amis sourds à mes adieux !

Qu'ils meurent pleins de jours, que leur mort soit pleurée,
Qu'un ami leur ferme les yeux!

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