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Faites donc tomber votre choix

Sur le guerrier le plus terrible,

Le plus craint après vous des hôtes de ces bois.
Votre fils saura tout, s'il sait être invincible."
L'ours fut de cet avis: il ajouta pourtant
Qu'il fallait un guerrier prudent,

Un animal de poids, de qui l'expérience
Du jeune lionceau sût régler la vaillance
Et mettre à profit ses exploits.
Après l'ours, le renard s'explique,
Et soutient que la politique

Est le premier talent des rois;

Qu'il faut donc un Mentor d'une finesse extrême
Pour instruire le prince et pour le bien former.
'Ainsi chacun, sans se nommer,
Clairement s'indiqua soi-même:

De semblables conseils sont communs à la cour.
Enfin le chien parle à son tour:

"Sire," dit-il, "je sais qu'il faut faire la guerre,
Mais je crois qu'un bon roi ne la fait qu'à regret ;
L'art de tromper ne me plaît guère:

Je connais un plus beau secret

Pour rendre heureux l'état, pour en être le père,
Pour tenir ses sujets, sans trop les alarmer,
Dans une dépendance entière;

Ce secret, c'est de les aimer.

Voilà pour bien régner la science suprême;
Et si vous désirez la voir dans votre fils,
Sire, montrez-la-lui vous-même."

Tout le conseil resta muet à cet avis.

Le lion court au chien: "Ami, je te confie

Le bonheur de l'état et celui de ma vie ;

Prends mon fils, sois son maître, et, loin de tout flatteur, S'il se peut, va former son cœur."

Il dit, et le chien part avec le jeune prince.

D'abord à son pupille il persuade bien

Qu'il n'est point lionceau, qu'il n'est qu'un pauvre chien. Son parent éloigné. De province en province

Il le fait voyager, montrant à ses regards

Les abus du pouvoir, des peuples la misère,

Les lièvres, les lapins mangés par les renards,

Les moutons par les loups, les cerfs par la panthère,
Partout le faible terrassé,

Le bœuf travaillant sans salaire,

Et le singe récompensé.

Le jeune lionceau frémissait de colère:
"Mon père," disait-il, " de pareils attentats

Sont-ils connus du roi?" "Comment pourraient-ils l'être?"
Disait le chien: "les grands approchent seuls du maître,
Et les mangés ne parlent pas."

Ainsi, sans raisonner de vertu, de prudence
Notre jeune lion devenait tous les jours
Vertueux et prudent; car c'est l'expérience
Qui corrige, et non les discours.
À cette bonne école il acquit avec l'âge
Sagesse, esprit, force et raison.
Que lui fallait-il davantage?
Il ignorait pourtant encor qu'il fût lion;
Lorsqu'un jour qu'il parlait de sa reconnaissance
À son maître, à son bienfaiteur,

Un tigre furieux, d'une énorme grandeur,
Paraissant tout à coup, contre le chien s'avance.
Le lionceau plus prompt s'élance,

Il hérisse ses crins, il rugit de fureur,

Bat ses flancs de sa queue, et ses griffes sanglantes
Ont bientôt dispersé les entrailles fumantes

De son redoutable ennemi.

À peine il est vainqueur qu'il court à son ami:
"Oh! quel bonheur pour moi d'avoir sauvé ta vie!
Mais quel est mon étonnement!

Sais-tu que l'amitié, dans cet heureux moment,
M'a donné d'un lion la force et la furie?"

"Vous l'êtes, mon cher fils, oui, vous êtes mon roi," Dit le chien tout baigné de larmes.

"Le voilà donc venu, ce moment plein de charmes,
Où, vous rendant enfin tout ce que je vous doi,
Je peux vous dévoiler un important mystère !
Retournons à la cour, mes travaux sont finis.
Cher prince, malgré moi, cependant je gémis,
Je pleure, pardonnez, tout l'état trouve un père,
Et moi je vais perdre mon fils."

Le Lapin et la Sarcelle.

Unis dès leurs jeunes ans
D'une amitié fraternelle,

Un lapin, une sarcelle

Vivaient heureux et contents.

Le terrier du lapin était sur la lisière
D'un parc bordé d'une rivière.

Soir et matin nos bons amis,

Profitant de ce voisinage,

Tantôt au bord de l'eau, tantôt sous le feuillage,
L'un chez l'autre étaient réunis.

Là, prenant leurs repas, se contant des nouvelles,
Ils n'en trouvaient point de si belles

Que de se répéter qu'ils s'aimeraient toujours.
Ce sujet revenait sans cesse en leurs discours.
Tout était en commun, plaisir, chagrin, souffrance.
Ce qui manquait à l'un, l'autre le regrettait;
Si l'un avait du mal, son ami le sentait;
Si d'un bien au contraire il goûtait l'espérance,
Tous deux en jouissaient d'avance.

Tel était leur destin lorsqu'un jour, jour affreux!
Le lapin, pour dîner venant chez la sarcelle,
Ne la retrouve plus: inquiet, il l'appelle ;
Personne ne répond à ses cris douloureux.
Le lapin, de frayeur l'âme toute saisie,

Va, vient, fait mille tours, cherche dans les roseaux,

S'incline par-dessus les flots,

Et voudrait s'y plonger pour trouver son amie. "Hélas!" s'écriait-il, " m'entends-tu? réponds-moi, Ma sœur, ma compagne chérie;

Ne prolonge pas mon effroi:

Encor quelques moments, c'en est fait de ma vie :
J'aime mieux expirer que de trembler pour toi."
Disant ces mots, il court, il pleure,
Et, s'avançant le long de l'eau,
Arrive enfin près du château
Où le seigneur du lieu demeure.
Là notre désolé lapin

Se trouve au milieu d'un parterre,
Et voit une grande volière

Où mille oiseaux divers volaient sur un bassin.
L'amitié donne du courage:

Notre ami sans rien craindre approche du grillage,
Regarde, et reconnaît...ô tendresse! ô bonheur !
La sarcelle aussitôt il pousse un cri de joie ;
Et, sans perdre de temps à consoler sa sœur,
De ses quatre pieds il s'emploie

À creuser un secret chemin

Pour joindre son amie, et par ce souterrain
Le lapin tout à coup entre dans la volière
Comme un mineur qui prend une place de guerre.
Les oiseaux effrayés se pressent en fuyant.
Lui court à la sarcelle, il l'entraîne à l'instant
Dans son obscur sentier, la conduit sous la terre,
Et, la rendant au jour, il est prêt à mourir
De plaisir.

Quel moment pour tous deux ! Que ne sais-je le peindre,
Comme je saurais le sentir!

Nos bons amis croyaient n'avoir plus rien à craindre ;
Ils n'étaient pas au bout. Le maître du jardin,
En voyant le dégât commis dans sa volière,
Jure d'exterminer jusqu'au dernier lapin:

"Mes fusils, mes furets!" criait-il en colère. Aussitôt fusils et furets

Sont tout prêts.

Les gardes et les chiens vont dans les jeunes tailles,
Fouillant les terriers, les broussailles ;

Tout lapin qui paraît trouve un affreux trépas:
Les rivages du Styx sont bordés de leurs mânes;
Dans le funeste jour de Cannes,

On mit moins de Romains à bas.

La nuit vient; tant de sang n'a point éteint la rage
Du seigneur, qui remet au lendemain matin
La fin de l'horrible carnage.
Pendant ce temps notre lapin,

Tapi sous des roseaux auprès de la sarcelle,
Attendait en tremblant la mort,
Mais conjurait sa sœur de fuir à l'autre bord
Pour ne pas mourir devant elle.

"Je ne te quitte point," lui répondait l'oiseau ;
"Nous séparer serait la mort la plus cruelle.
Ah! si tu pouvais passer l'eau !

Pourquoi pas? Attends-moi"...La sarcelle le quitte,
Et revient traînant un vieux nid

Laissé par des canards; elle l'emplit bien vite
De feuilles de roseau, les presse, les unit
Des pieds, du bec en forme un batelet capable
De supporter un lourd fardeau ;

Puis elle attache à ce vaisseau

Un brin de jonc qui servira de câble.
Cela fait, et le bâtiment

Mis à l'eau, le lapin entre doucement
Dans le léger esquif, s'assied sur son derrière,
Tandis que devant lui la sarcelle nageant
Tire le brin de jonc, et s'en va dirigeant
Cette nef à son cœur si chère.

On aborde, on débarque, et jugez du plaisir !
Non loin du port on va choisir

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