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Un roi qui la défende; et j'ose me flatter
Que le vengeur du trône a seul droit d'y monter.
Égisthe, jeune encore, et sans expérience,
Étalerait en vain l'orgueil de sa naissance;
N'ayant rien fait pour nous, il n'a rien mérité.
D'un prix bien différent ce trône est acheté.
Le droit de commander n'est plus un avantage
Transmis par la nature, ainsi qu'un héritage;
C'est le fruit des travaux et du sang répandu;
C'est le prix du courage; et je crois qu'il m'est dû.
Souvenez-vous du jour où vous fûtes surprise
Par ces lâches brigands de Pylos et d'Amphryse;
Revoyez votre époux, et vos fils malheureux,
Presque en votre présence assassinés par eux;
Revoyez-moi, madame, arrêtant leur furie,
Chassant vos ennemis, défendant la patrie;
Voyez ces murs enfin par mon bras délivrés ;
Songez que j'ai vengé l'époux que vous pleurez:
Voilà mes droits, madame, et mon rang, et mon titre :
La valeur fit ces droits; le ciel en est l'arbitre.
Que votre fils revienne; il apprendra sous moi
Les leçons de la gloire, et l'art de vivre en roi:
Il verra si mon front soutiendra la couronne.

Le sang d'Alcide est beau, mais n'a rien qui m'étonne.
Je recherche un honneur et plus noble et plus grand :
Je songe
à ressembler au dieu dont il descend:
En un mot, c'est à moi de défendre la mère,
Et de servir au fils et d'exemple et de père.
MÉROPE.

N'affectez point ici des soins si généreux,
Et cessez d'insulter à mon fils malheureux.
Si vous osez marcher sur les traces d'Alcide,
Rendez donc l'héritage au fils d'un Héraclide.
Ce dieu, dont vous seriez l'injuste successeur,
Vengeur de tant d'états n'en fut point ravisseur.

Imitez sa justice ainsi que sa vaillance;
Défendez votre roi; secourez l'innocence;
Découvrez, rendez-moi ce fils que j'ai perdu,
Et méritez sa mère à force de vertu ;
Dans vos murs relevés rappelez votre maître:
Alors jusques à vous je descendrais peut-être.
Je pourrais m'abaisser; mais je ne puis jamais
Devenir la complice et le prix des forfaits.

ACTE V. SCÈNE VI.

Isménie, suivante de Mérope, fait le récit de la mort du tyran.

La victime était prête, et de fleurs couronnée;
L'autel étincelait des flambeaux d'hyménée;
Polyphonte, l'œil fixe, et d'un front inhumain,
Présentait à Mérope une odieuse main;
Le prêtre prononçait les paroles sacrées;
Et la reine, au milieu des femmes éplorées,
S'avançant tristement, tremblante entre mes bras,
Au lieu de l'hyménée invoquait le trépas;

Le peuple observait tout dans un profond silence.
Dans l'enceinte sacrée en ce moment s'avance
Un jeune homme, un héros, semblable aux immortels:
Il court; c'était Égisthe; il s'élance aux autels;

Il monte, il y saisit d'une main assurée

Pour les fêtes des dieux la hache préparée.

Les éclairs sont moins prompts; je l'ai vu de mes yeux,
Je l'ai vu qui frappait ce monstre audacieux.
"Meurs, tyran," disait-il; "dieux, prenez vos victimes."
Érox, qui de son maître a servi tous les crimes,
Érox, qui dans son sang voit ce monstre nager,
Lève une main hardie, et pense le venger.
Égisthe se retourne, enflammé de furie;
À côté de son maître il le jette sans vie.

Le tyran se relève : il blesse le héros;

De leur sang confondu j'ai vu couler les flots.
Déjà la garde accourt avec des cris de rage.
Sa mère... Ah! que l'amour inspire de courage!
Quel transport animait ses efforts et ses pas!
Sa mère... Elle s'élance au milieu des soldats.
"C'est mon fils! arrêtez, cessez, troupe inhumaine !
C'est mon fils, déchirez sa mère, et votre reine,
Ce sein qui l'a nourri, ces flancs qui l'ont porté!"
À ces cris douloureux le peuple est agité;
Une foule d'amis que son danger excite,
Entre elle et ces soldats vole et se précipite.
Vous eussiez vu soudain les autels renversés,
Dans des ruisseaux de sang leurs débris dispersés;
Les enfants écrasés dans les bras de leurs mères;
Les frères méconnus immolés par leurs frères;
Soldats, prêtres, amis, l'un sur l'autre expirants:
On marche, on est porté sur les corps des mourants,
On veut fuir, on revient; et la foule pressée
D'un bout du temple à l'autre est vingt fois repoussée,
De ces flots confondus le flux impétueux
Roule, et dérobe Égisthe et la reine à mes yeux.
Parmi les combattants je vole ensanglantée;
J'interroge à grands cris la foule épouvantée.
Tout ce qu'on me répond redouble mon horreur.
On s'écrie: "Il est mort, il tombe, il est vainqueur."

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FLORIAN.

FABLES.

Le Calife.

AUTREFOIS dans Bagdad le calife Almamon
Fit bâtir un palais plus beau, plus magnifique,
Que ne le fut jamais celui de Salomon.

Cent colonnes d'albâtre en formaient le portique;
L'or, le jaspe, l'azur, décoraient le parvis ;
Dans les appartements embellis de sculpture,
Sous des lambris de cèdre, on voyait réunis
Et les trésors du luxe et ceux de la nature,
Les fleurs, les diamants, les parfums, la verdure,
Les myrtes odorants, les chefs-d'œuvre de l'art,
Et les fontaines jaillissantes

Roulant leurs ondes bondissantes

À côté des lits de brocard.

Près de ce beau palais, juste devant l'entrée,
Une étroite chaumière, antique et délabrée,
D'un pauvre tisserand était l'humble réduit.
Là, content du petit produit

D'un grand travail, sans dette et sans soucis pénibles,
Le bon vieillard, libre, oublié,
Coulait des jours doux et paisibles,

Point envieux, point envié.

J'ai déjà dit que sa retraite

Masquait le devant du palais.

Le visir veut d'abord, sans forme de procès,
Qu'on abatte la maisonnette;

Mais le calife veut que d'abord on l'achète.

Il fallut obéir: on va chez l'ouvrier,

On lui porte de l'or. "Non, gardez votre somme,” Répond doucement le pauvre homme;

"Je n'ai besoin de rien avec mon atelier:

Et, quant à ma maison, je ne puis m'en défaire; C'est là que je suis né, c'est là qu'est mort mon père,

Je prétends y mourir aussi.

Le calife, s'il veut, peut me chasser d'ici,
Il peut détruire ma chaumière:

Mais, s'il le fait, il me verra

Venir, chaque matin, sur la dernière pierre
M'asseoir et pleurer ma misère.

Je connais Almamon, son cœur en gémira.”
Cet insolent discours excita la colère
Du visir, qui voulait punir ce téméraire
Et sur-le-champ raser sa chétive maison.
Mais le calife lui dit: "Non,

J'ordonne qu'à mes frais elle soit réparée;
Ma gloire tient à sa durée :

Je veux que nos neveux, en la considérant,
Y trouvent de mon règne un monument auguste;
En voyant le palais ils diront: 'Il fut grand;'
En voyant la chaumière ils diront: 'Il fut juste.""

Les deux Jardiniers.

Deux frères jardiniers avaient par héritage
Un jardin dont chacun cultivait la moitié;
Liés d'une étroite amitié,

Ensemble ils faisaient leur ménage.
L'un d'eux, appelé Jean, bel esprit, beau parleur,
Se croyait un très-grand docteur;

Et monsieur Jean passait sa vie
À lire l'almanach, à regarder le temps
Et la girouette et les vents.

Bientôt, donnant l'essor à son rare génie,

Il voulut découvrir comment d'un pois tout seul
Des milliers de pois peuvent sortir si vite;

Pourquoi la graine du tilleul,

Qui produit un grand arbre, est pourtant plus petite

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