Page images
PDF
EPUB

Rodrigue raconte au roi la victoire qu'il vient de remporter sur les Maures.

D. RODRIGUE.

Sire, vous avez su qu'en ce danger pressant,
Qui jeta dans la ville un effroi si puissant,
Une troupe d'amis chez mon père assemblée
Sollicita mon âme encor toute troublée-
Mais, sire, pardonnez à ma témérité,
Si j'osai l'employer sans votre autorité;
Le péril approchait; leur brigade était prête:
Me montrant à la cour, je hasardais ma tête;
Et, s'il fallait la perdre, il m'était bien plus doux
De sortir de la vie en combattant pour vous.

[ocr errors][merged small]

J'excuse ta chaleur à venger ton offense;
Et l'état défendu me parle en ta défense:
Crois que
dorénavant Chimène a beau parler,
Je ne l'écoute plus que pour la consoler.
Mais poursuis.

D. RODRIGUE.

Sous moi donc cette troupe s'avance,

Et porte sur le front une mâle assurance.

Nous partîmes cinq cents; mais, par un prompt renfort,
Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port,
Tant, à nous voir marcher avec un tel visage,
Les plus épouvantés reprenaient de courage!
J'en cache les deux tiers, aussitôt qu'arrivés,
Dans le fond des vaisseaux qui lors furent trouvés :
Le reste, dont le nombre augmentait à toute heure,
Brûlant d'impatience, autour de moi demeure,
Se couche contre terre, et, sans faire aucun bruit,
Passe une bonne part d'une si belle nuit.

Par mon commandement la garde en fait de même,
Et, se tenant cachée, aide à mon stratagème;
Et je feins hardiment d'avoir reçu de vous

L'ordre qu'on me voit suivre et que je donne à tous.

Cette obscure clarté qui tombe des étoiles
Enfin avec le flux nous fit voir trente voiles;
L'onde s'enfle dessous, et d'un commun effort
Les Maures et la mer montent jusques au port.
On les laisse passer; tout leur paraît tranquille;
Point de soldats au port, point aux murs de la ville.
Notre profond silence abusant leurs esprits,
Ils n'osent plus douter de nous avoir surpris;
Ils abordent sans peur, ils ancrent, ils descendent,
Et courent se livrer aux mains qui les attendent.
Nous nous levons alors, et tous en même temps
Poussons jusques au ciel mille cris éclatants;
Les nôtres, à ces cris, de nos vaisseaux répondent;
Ils paraissent armés, les Maures se confondent,
L'épouvante les prend à demi descendus ;

Avant que de combattre ils s'estiment perdus.
Ils couraient au pillage, et rencontrent la guerre ;
Nous les pressons sur l'eau, nous les pressons sur terre,
Et nous faisons courir des ruisseaux de leur sang,

Avant qu'aucun résiste ou reprenne son rang.
Mais bientôt, malgré nous, leurs princes les rallient,
Leur courage renaît, et leurs terreurs s'oublient:
La honte de mourir sans avoir combattu
Arrête leur désordre, et leur rend leur vertu.
Contre nous, de pied ferme, ils tirent leurs épées,
Des plus braves soldats les trames sont coupées;
Et la terre, et le fleuve, et leur flotte, et le port,
Sont des champs de carnage où triomphe la mort.
Ô combien d'actions, combien d'exploits célèbres
Sont demeurés sans gloire au milieu des ténèbres,
Où chacun, seul témoin des grands coups qu'il donnait,
Ne pouvait discerner où le sort inclinait!

J'allais de tous côtés encourager les nôtres,

Faire avancer les uns, et soutenir les autres,

Ranger ceux qui venaient, les pousser à leur tour;
Et ne l'ai pu savoir jusques au point du jour.

Mais enfin sa clarté montre notre avantage;
Le Maure voit sa perte, et perd soudain courage;
Et, voyant un renfort qui nous vient secourir,
L'ardeur de vaincre cède à la peur de mourir.
Ils gagnent leurs vaisseaux, ils en coupent les câbles,
Poussent jusques aux cieux des cris épouvantables,
Font retraite en tumulte, et sans considérer
Si leurs rois avec eux peuvent se retirer.
Pour souffrir ce devoir, leur frayeur est trop forte;
Le flux les apporta, le reflux les remporte;
Cependant que leurs rois, engagés parmi nous,
Et quelque peu des leurs, tout percés de nos coups,
Disputent vaillamment et vendent bien leur vie.
À

se rendre moi-même en vain je les convie; Le cimeterre au poing ils ne m'écoutent pas : Mais voyant à leurs pieds tomber tous leurs soldats, Et que seuls désormais en vain ils se défendent, Ils demandent le chef; je me nomme, ils se rendent. Je vous les envoyai tous deux en même temps; Et le combat cessa faute de combattants.

FRAGMENTS D'HORACE,

TRAGÉDIE.

Le sujet de cette tragédie est pris de l'histoire romaine. Trois frères, nommés Horaces (Horatii), combattirent pour Rome contre les trois Curiaces (Curiatii), champions de la ville d'Albe, sous Tullus Hostilius, vers 667 av. J.-C., en présence de l'armée des Romains et de celle des Albains, dont ils devaient régler la destinée. Deux des Horaces ayant été tués au commencement de l'action, le troisième eut recours à la ruse pour remporter la victoire. II prit la fuite, et, voyant les Curiaces blessés, et le suivre à des distances inégales, il revint sur eux, et les vainquit l'un après l'autre. Lorsqu'il rentra dans Rome après la victoire, sa sœur, qui avait été promise en mariage à l'un des Curiaces, dont il portait les

dépouilles en trophée, l'accabla des plus sanglants reproches. Horace indigné la tua d'un coup d'épée. Ce crime ayant excité l'indignation générale, il fut traduit en jugement, et condamné à mort par le tribunal. Horace appela de leur jugement au peuple, qui lui fit grâce en considération de ses services.

Personnages.

LE VIEIL HORACE, chevalier romain.

HORACE, Son fils.

CURIACE, gentilhomme d'Albe, amant de Camille.

VALERE, chevalier romain.

SABINE, femme d'Horace et sœur de Curiace.

CAMILLE, amante de Curiace et sœur d'Horace.

JULIE, dame romaine, confidente de Sabine et de Camille.
FLAVIAN, Soldat de l'armée d'Albe.

La scène est à Rome, dans une salle de la maison d'Horace.

ACTE I. SCÈNE I.

SABINE, JULIE.

Sabine, femme d'Horace et sœur des Curiaces, effrayée, à ce double titre, du combat qui se prépare, dit qu'en un si grand malheur c'est montrer assez de fermeté pour une femme que de commander à ses pleurs. JULIE, dame romaine, lui répond :

C'en est peut-être assez pour une âme commune
Qui du moindre péril se fait une infortune;

Mais de cette faiblesse un grand cœur est honteux;
Il ose espérer tout dans un succès douteux.

Les deux camps sont rangés au pied de nos murailles;
Mais Rome ignore encor comme on perd des batailles.
Loin de trembler pour elle, il lui faut applaudir:
Puisqu'elle va combattre, elle va s'agrandir.
Bannissez, bannissez une frayeur si vaine,
Et concevez des vœux dignes d'une Romaine.

SABINE.

Je suis Romaine, hélas! puisque Horace est Romain; J'en ai reçu le titre en recevant sa main ;

Mais ce nœud me tiendrait en esclave enchaînée,
S'il m'empêchait de voir en quels lieux je suis née.
Albe, où j'ai commencé de respirer le jour,
Albe, mon cher pays, et mon premier amour;
Lorsqu'entre nous et toi je vois la guerre ouverte,
Je crains notre victoire autant que notre perte.
Rome, si tu te plains que c'est là te trahir,
Fais-toi des ennemis que je puisse haïr.

Quand je vois de tes murs leur armée et la nôtre,
Mes trois frères dans l'une, et mon mari dans l'autre,
Puis-je former des vœux, et sans impiété
Importuner le ciel pour ta félicité?

Je sais que ton état, encore en sa naissance,
Ne saurait, sans la guerre, affermir sa puissance;
Je sais qu'il doit s'accroître, et que tes grands destins
Ne le borneront pas chez les peuples latins;
Que les dieux t'ont promis l'empire de la terre,
Et que tu n'en peux voir l'effet que par la guerre:
Bien loin de m'opposer à cette noble ardeur
Qui suit l'arrêt des dieux et court à ta grandeur,
Je voudrais déjà voir tes troupes couronnées,
D'un pas victorieux franchir les Pyrénées.
Va jusqu'en l'Orient pousser tes bataillons;
Va sur les bords du Rhin planter tes pavillons;
Fais trembler sous tes pas les colonnes d'Hercule,
Mais respecte une ville à qui tu dois Romule.
Ingrate, souviens-toi que du sang de ses rois
Tu tiens ton nom, tes murs, et tes premières lois.
Albe est ton origine; arrête, et considère
Que tu portes le fer dans le sein de ta mère.
Tourne ailleurs les efforts de tes bras triomphants;
Sa joie éclatera dans l'heur de ses enfants;
Et, se laissant ravir à l'amour maternelle,

Ses vœux seront pour toi, si tu n'es plus contre elle.

« PreviousContinue »