Il marche vers d'Ailly, dans sa fureur guerrière : Parmi des tourbillons de flamme, de poussière, À travers les blessés, les morts, et les mourants, De leurs coursiers fougueux tous deux pressent les flancs; Tous deux sur l'herbe unie, et de sang colorée, S'élancent loin des rangs, d'une course assurée: Sanglants, couverts de fer, et la lance à la main, D'un choc épouvantable ils se frappent soudain. La terre en retentit, leurs lances sont rompues: Comme en un ciel brûlant deux effroyables nues, Qui, portant le tonnerre et la mort dans leurs flancs, Se heurtent dans les airs, et volent sur les vents: De leur mélange affreux les éclairs rejaillissent; La foudre en est formée, et les mortels frémissent. Mais loin de leurs coursiers, par un subit effort, Ces guerriers malheureux cherchent une autre mort; Déjà brille en leurs mains le fatal cimeterre. La Discorde accourut; le démon de la guerre, La Mort pâle et sanglante, étaient à ses côtés. Malheureux, suspendez vos coups précipités ! Mais un destin funeste enflamme leur courage; Dans le cœur l'un de l'autre ils cherchent un passage, Dans ce cœur ennemi qu'ils ne connaissent pas. Le fer qui les couvrait brille et vole en éclats, Sous les coups redoublés leur cuirasse étincelle ; Leur sang, qui rejaillit, rougit leur main cruelle ; Leur bouclier, leur casque, arrêtant leur effort, Pare encore quelques coups, et repousse la mort. Chacun d'eux, étonné de tant de résistance, Respectait son rival, admirait sa vaillance. Enfin le vieux d'Ailly, par un coup malheureux, Fait tomber à ses pieds ce guerrier généreux. Ses yeux sont pour jamais fermés à la lumière; Son casque auprès de lui roule sur la poussière. D'Ailly voit son visage: ô désespoir! ô cris! Il le voit, il l'embrasse: hélas! c'était son fils. Le père infortuné, les yeux baignés de larmes, Il s'arrache, en tremblant, de ce lieu plein d'horreur; Il renonce à la cour, aux humains, à la gloire; Du héros expirant la jeune et tendre amante, Père, époux malheureux, famille déplorable, Des fureurs de ces temps exemple lamentable, Puisse de ce combat le souvenir affreux Exciter la pitié de nos derniers neveux, Arracher à leurs yeux des larmes salutaires, Et qu'ils n'imitent point les crimes de leurs pères ! FRAGMENT DU FANATISME, TRAGÉDIE. La scène est à la Mecque. Le dialogue entre Mahomet et Zopire, shérif de la Mecque, est un chef-d'œuvre d'éloquence dramatique. Après avoir développé ses vastes desseins et sa profonde politique, Mahomet, ne pouvant corrompre le vertueux Zopire, lui annonce qu'il a dans ses fers les deux enfants que ce vieillard croyait avoir perdus et qu'il va prononcer sur leur sort. Zopire est inexorable. ACTE II. SCÈNE V. ZOPIRE, MAHOMET. ZOPIRE. AH! quel fardeau cruel à ma douleur profonde! MAHOMET. Approche, et puisque enfin le ciel veut nous unir, ZOPIRE. Je rougis pour toi seul, pour toi dont l'artifice MAHOMET. Si j'avais à répondre à d'autres qu'à Zopire, Le glaive et l'Alcoran, dans mes sanglantes mains, Ma voix ferait sur eux les effets du tonnerre, guerre; La Perse encor sanglante, et son trône ébranlé, Il faut un nouveau culte, il faut de nouveaux fers; Chez les Crétois Minos, Numa dans l'Italie, À des peuples sans mœurs, et sans culte, et sans rois, Donnèrent aisément d'insuffisantes lois. Je viens après mille ans changer ces lois grossières : Sous un roi, sous un dieu, je viens la réunir; ZOPIRE. Voilà donc tes desseins! c'est donc toi dont l'audace MAHOMET. Le droit qu'un esprit vaste, et ferme en ses desseins, A sur l'esprit grossier des vulgaires humains. ZOPIRE. Eh quoi! tout factieux, qui pense avec courage, MAHOMET. faire? Oui; je connais ton peuple, il a besoin d'erreur; ZOPIRE. Dis plutôt des brigands. Porte ailleurs tes leçons, l'école des tyrans; Va vanter l'imposture à Médine où tu règnes, |