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L'enragé qu'il était, né roi d'une province
Qu'il pouvait gouverner en bon et sage prince,
S'en alla follement, et pensant être dieu,
Courir comme un bandit qui n'a ni feu ni lieu;
Et, traînant avec soi les horreurs de la guerre,
De sa vaste folie emplir toute la terre:

Heureux, si de son temps, pour cent bonnes raisons,
La Macédoine eût eu des Petites-Maisonsa,
Et qu'un sage tuteur l'eût en cette demeure,
Par avis de parents, enfermé de bonne heure1!

FRAGMENTS DE L'ÉPÎTRE AU ROI SUR
LES CONQUÊTES ©.

Oui, grand roi, laissons là les siéges, les batailles;
Qu'un autre aille en rimant renverser des murailles,
Et souvent, sur tes pas marchant sans ton aveu,
S'aille couvrir de sang, de poussière et de feu.
À quoi bon, d'une muse au carnage animée,
Échauffer ta valeur déjà trop allumée?

a "C'est un hôpital de Paris, où l'on enferme les fous."BOILEAU.

b On dit que Charles XII, indigné, arracha ce feuillet des œuvres de Boileau.-Il est évident que l'intention de Boileau est de censurer les guerres de Louis XIV, surtout celle de Hollande qui devait coûter et a coûté si cher à la France!

C 4 'Après le traité d'Aix-la-Chapelle, en 1668, Colbert voulut éteindre dans l'âme de Louis XIV le funeste goût des conquêtes. Ce fut pour seconder les vues pacifiques du ministre, que Boileau composa cette épître, dont le but était d'inviter le prince à chercher sa propre grandeur dans le bonheur des peuples, dans la sagesse des lois, dans l'activité de l'industrie, dans le progrès des arts, dans la répression des désordres, dans la diminution des impôts. Le monarque lut l'épître, l'admira et fit la guerre ; mais le poëte qui avait donné à des idées grandes et utiles une expression digne d'elles avait fait un bel ouvrage et une belle action."-TISSOT.

Jouissons à loisir du fruit de tes bienfaits,

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Et ne nous lassons point des douceurs de la paix.
Pourquoi ces éléphants, ces armes, ce bagage,
Et ces vaisseaux tout prêts à quitter le rivage?"
Disait au roi Pyrrhus un sage confident,
Conseiller très-sensé d'un roi très-imprudent.

[pelle."

[belle.

"Je vais," lui dit ce prince, " à Rome, où l'on m'ap-"Quoi faire?"-"L'assiéger."-" L'entreprise est fort Et digne seulement d'Alexandre ou de vous; Mais, Rome prise enfin, seigneur, où courrons-nous?" "Du reste des Latins la conquête est facile." "Sans doute, on peut les vaincre : est-ce tout ?"—“ La De là nous tend les bras, et bientôt, sans effort, [Sicile Syracuse reçoit nos vaisseaux dans son port." [prise, -"Bornez-vous là vos pas ?"-" Dès que nous l'aurons Il ne faut qu'un bon vent, et Carthage est conquise. Les chemins sont ouverts: qui peut nous arrêter ?” -“Je vous entends, seigneur : nous allons tout dompter; Nous allons traverser les sables de Libye,

Asservir, en passant, l'Égypte, l'Arabie,

Courir delà le Gange, en de nouveaux pays,
Faire trembler le Scythe aux bords du Tanaïs,
Et ranger sous nos lois tout ce vaste hémisphère.
Mais, de retour enfin, que prétendez-vous faire ?”
"Alors, cher Cinéas, victorieux, contents,

Nous pourrons rire à l'aise et prendre du bon temps."
-"Hé, seigneur, dès ce jour, sans sortir de l'Épire,
Du matin jusqu'au soir qui vous défend de rire?"
Le conseil était sage et facile à goûter:
Pyrrhus vivait heureux s'il eût pu l'écouter.
Mais à l'ambition d'opposer la prudence,
C'est aux prélats de cour prêcher la résidence.

Ce n'est pas que mon cœur, du travail ennemi,
Approuve un fainéant sur le trône endormi;

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Mais, quelques vains lauriers que promette la guerre,
On peut être héros sans ravager la terre.

Il est plus d'une gloire. En vain aux conquérants
L'erreur, parmi les rois, donne les premiers rangs;
Entre les grands héros, ce sont les plus vulgaires.
Chaque siècle est fécond en heureux téméraires;
Chaque climat produit des favoris de Mars;

La Seine a des Bourbons, le Tibre a des Césars:
On a vu mille fois des fanges Méotides
Sortir des conquérants, goths, vandales, gépidesa.
Mais un roi vraiment roi, qui, sage en ses projets,
Sache en un calme heureux maintenir ses sujets,
Qui du bonheur public ait cimenté sa gloire,
Il faut, pour le trouver, courir toute l'histoire.
La terre compte peu de ces rois bienfaisants:
Le Ciel à les former se prépare longtemps.
Tel fut cet empereurb sous qui Rome adorée
Vit renaître les jours de Saturne et de Rhée,
Qui rendit de son joug l'univers amoureux,

a Dans le prologue de la Toison d'or, tragédie lyrique composée par Corneille à l'occasion du mariage de Louis XIV et de la paix avec l'Espagne, la France et la Victoire personnifiées paraissent sur le théâtre, et voici ce que la première répond à la seconde :

LA FRANCE.

"Ah! Victoire! pour fils n'ai-je que des soldats ?

La gloire qui les couvre, à moi-même funeste,
Sous mes plus beaux succès fait trembler tout le reste.
Ils ne vont aux combats que pour me protéger,
Et n'en sortent vainqueurs que pour me ravager.
S'ils renversent des murs, s'ils gagnent des batailles,
Ils prennent droit par là de ronger mes entrailles ;
Leur retour me punit de mon trop de bonheur,
Et mes bras triomphants me déchirent le cœur.
À vaincre tant de fois mes forces s'affaiblissent:
L'état est florissant, mais les peuples gémissent.

Leurs membres décharnés courbent sous mes hauts faits,
Et la gloire du trône accable les sujets."

b Titus.

Qu'on n'alla jamais voir sans revenir heureux,
Qui soupirait le soir, si sa main fortunée
N'avait par ses bienfaits signalé la journée.
Le cours ne fut pas long d'un empire si doux.

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Pour moi, loin des combats, sur un ton moins terrible, Je dirai les exploits de ton règne paisible;

Je peindrai les plaisirs en foule renaissants,
Les oppresseurs du peuple à leur tour gémissants.
On verra par quels soins ta sage prévoyance
Au fort de la famine entretint l'abondancea;
On verra les abus par ta main réformés,

La licence et l'orgueil en tous lieux réprimés,
Du débris des traitants ton épargne grossie,
Des subsides affreux la rigueur adoucied,
Le soldat, dans la paix, sage et laborieux*;
Nos artisans grossiers rendus industrieux,
Et nos voisins frustrés de ces tributs serviles
Que payait à leur art le luxe de nos villes.
Tantôt je tracerai tes pompeux bâtiments,
Du loisir d'un héros nobles amusements.
J'entends déjà frémir les deux mers étonnées 8
De voir leurs flots unis au pied des Pyrénées.
Déjà de tous côtés la chicane aux abois
S'enfuit au seul aspect de tes nouvelles lois.

a Ce fut en 1663.

b Plusieurs édits donnés pour réformer le luxe.
La chambre de justice.

d Les tailles furent diminuées de quatre millions.
e. Les soldats employés aux travaux publics.
f Établissement en France des manufactures.
Le canal de Languedoc.

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DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

VOLTAIRE.

FRAGMENTS DE LA HENRIADE,
POËME ÉPIQUE.

Le sujet de la Henriade est le siége de Paris, commencé par Henri de Valois (Henri III), et Henri-le-Grand, achevé par ce dernier seul.

À la mort de Charles IX, Henri de Valois, qui lui succéda (1574), trouva la France plongée dans les malheurs de la guerre civile. Deux partis dominants agitaient le pays: l'un était celui des réformés ayant à sa tête Henri-le-Grand, alors roi de Navarre; l'autre celui de la Ligue, faction puissante formée par les princes de Guise, encouragée par les papes, fomentée par l'Espagne, s'accroissant tous les jours par l'artifice des moines, consacrée en apparence par le

a Louis X (roi en 1314), Philippe V (roi en 1316), et Charles IV (roi en 1321), tous trois fils de Philippe IV (roi en 1285), ayant régné successivement et n'ayant point laissé de postérité, la ligne directe des descendants de Hugues Capet (987), se trouva éteinte en 1328. La branche des Valois fut alors appelée au trône de France, et la couronne passa sur la tête de Philippe, fils de Charles de Valois, chef de cette branche, second fils de Philippe III, dit le Hardi (roi en 1270). Voyez la Table chronologique de l'histoire de France, RÉPERTOIRE LITTÉRAIRE, page 356.

b Henri-le-Grand, naquit en 1553, à Pau en Béarn: Antoine de Bourbon, duc de Vendôme, son père, était du sang royal de France, et chef de la branche de Bourbon (ce qui autrefois signifiait bourbeux), ainsi appelée d'un fief de ce nom, qui tomba dans leur maison par un mariage avec l'héritière de Bourbon.

François Ier (roi

• Les Guises étaient originaires de Lorraine. en 1515), voulant récompenser les services et la fidélité de Claude de Lorraine, érigea la terre de Guise en duché-pairie, en 1527. À l'époque dont il est question dans la Henriade cette maison avait pour chefs le duc Henri, surnommé le Balafré, et son frère Charles, duc de Mayenne.

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