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Se noya dès le port, allant à l'Amérique ;
L'autre, afin de monter aux grandes dignités,
Dans les emplois de Mars servant la république,
Par un coup imprévu vit ses jours emportés ;
Le troisième tomba d'un arbre

Que lui-même il voulut enter;

Et, pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre
Ce que je viens de raconter.

Les Voleurs et l'Âne.

Pour un âne enlevé deux voleurs se battaient :
L'un voulait le garder, l'autre le voulait vendre.
Tandis que coups de poing trottaient,

Et que nos champions songeaient à se défendre,
Arrive un troisième larron

Qui saisit maître aliborona.

Parole de Socrate.

Socrate un jour faisant bâtir,

Chacun censurait son ouvrage :

L'un trouvait les dedans, pour ne lui point mentir,
Indignes d'un tel personnage;

L'autre blâmait la face, et tous étaient d'avis
Que les appartements en étaient trop petits.
Quelle maison pour lui! l'on y tournait à peine.
"Plût au ciel que de vrais amis,

Telle qu'elle est," dit-il, "elle pût être pleine!"

Le bon Socrate avait raison

De trouver pour ceux-là trop grande sa maison.
Chacun se dit ami; mais fou qui s'y repose:
Rien n'est plus commun que ce nom,
Rien n'est plus rare que la chose.

a Aliboron. Expression comique que La Fontaine a prise de Rabelais pour désigner un âne.

289

BOILEAU.

[Voyez dans l'Introduction les remarques sur l'ordre chronologique de nos extraits du dix-septième siècle.]

FRAGMENTS DE LA SATIRE DE L'HOMME.

De tous les animaux qui s'élèvent dans l'air,
Qui marchent sur la terre ou nagent dans la mer,
De Paris au Pérou, du Japon jusqu'à Rome,
Le plus sot animal, à mon avis, c'est l'homme.
Quoi! dira-t-on d'abord, un ver, une fourmi,
Un insecte rampant qui ne vit qu'à demi,
Un taureau qui rumine, une chèvre qui broute,
Ont l'esprit mieux tourné que n'a l'homme! Oui, sans doute.
Ce discours te surprend, docteur, je l'aperçoi.
L'homme de la nature est le chef et le roi:

Bois, prés, champs, animaux, tout est pour son usage,
Et lui seul a, dis-tu, la raison en partage.

Il est vrai, de tout temps la raison fut son lot;
Mais de là je conclus que l'homme est le plus sot.
Ces propos, diras-tu, sont bons dans la satire,
Pour égayer d'abord un lecteur qui veut rire;
Mais il faut les prouver. En forme. J'y consens.
Réponds-moi donc, docteur, et mets-toi sur les bancs.
Qu'est-ce que la sagesse? Une égalité d'âme,

Que rien ne peut troubler, qu'aucun désir n'enflamme,
Qui marche, en ses conseils, à pas plus mesurés
Qu'un doyen, au palais, ne monte les degrés.

Or cette égalité dont se forme le sage,

Qui jamais moins que l'homme en a connu l'usage?
La fourmi, tous les ans, traversant les guérets,
Grossit ses magasins des trésors de Cérès;
Et dès que l'aquilon, ramenant la froidure,
Vient de ses noirs frimas attrister la nature,

a Cette satire est tout à fait dans le goût de Perse et marque un philosophe chagrin qui ne peut souffrir les vices des hommes.

Cet animal, tapi dans son obscurité,

Jouit, l'hiver, des biens conquis durant l'étéa.
Mais on ne la voit point, d'une humeur inconstante,
Paresseuse au printemps, en hiver diligente,
Affronter en plein champ les fureurs de janvier,
Ou demeurer oisive au retour du bélier.

Mais l'homme, sans arrêt dans sa course insensée,
Voltige incessamment de pensée en pensée:
Son cœur, toujours flottant entre mille embarras,
Ne sait ni ce qu'il veut ni ce qu'il ne veut pas;
Ce qu'un jour il abhorre, en l'autre il le souhaite.

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Voilà l'homme, en effet: il va du blanc au noir; Il condamne au matin ses sentiments du soir; Importun à tout autre, à soi-même incommode, Il change à tous moments d'esprit comme de mode: Il tourne au moindre vent, il tombe au moindre choc, Aujourd'hui dans un casque, et demain dans un froc. Cependant, à le voir, plein de vapeurs légères, Soi-même se bercer de ses propres chimères, Lui seul de la nature est la base et l'appui, Et le dixième ciel ne tourne que pour lui.

■ Imitations:

"Parvula (nam exemplo est) magni formica laboris
Ore trahit quodcumque potest, atque addit acervo
Quem struit, haud ignara ac non incauta futuri.
Quæ, simul inversum contristat Aquarius annum,
Non usquam prorepit, et illis utitur ante

Quæsitis sapiens."-
."-HORACE, Sat. I. 1.

"Les vers que Boileau a imités d'Horace sont supérieurs à l'original; on regrette pourtant, dans les vers français, ce trait sur la fourmi: Haud ignara ac non incauta futuri, qui n'est ignorante ni imprévoyante de l'avenir."-TISSOT.

b"............quid, mea cum pugnat sententia secum;

Quod petiit, spernit; repetit quod nuper omisit;

Estuat, et vitæ disconvenit ordine toto;

Diruit, ædificat, mutat quadrata rotundis?"-HORACE, Ep. I. 1.

De tous les animaux il est, dit-il, le maître.-
Qui pourrait le nier? poursuis-tu.-Moi, peut-être.
Mais, sans examiner si, vers les antres sourds,

L'ours a peur du
passant, ou le passant de l'oursa;
Et si, sur un édit des pâtres de Nubie,
Les lions de Barca videraient la Libye;
Ce maître prétendu, qui leur donne des lois;
Ce roi des animaux, combien a-t-il de rois!
L'ambition, l'amour, l'avarice, la haine,

Tiennent, comme un forçat, son esprit à la chaîne.
Le sommeil sur ses yeux commence à s'épancher":
Debout! dit l'Avarice; il est temps de marcher.—
Hé! laissez-moi.-Debout!-Un moment.-Tu répli-
À peine le soleil fait ouvrir les boutiques.
[ques!-

a Il serait possible que ces deux vers et la fable des Abeilles, de Mandeville, eussent donné naissance à la fable du Marseillais et du Lion, où l'on trouve ces vers si plaisants:

"Un jour un Marseillois, trafiquant en Afrique,
Aborda le rivage où fut jadis Utique;

Comme il se promenait dans le fond d'un vallon,
Il trouva nez à nez un énorme lion,
À la longue crinière, à la gueule enflammée,
Terrible, et tout semblable au lion de Némée.
Le plus horrible effroi saisit le voyageur.
Il n'était pas Hercule, et tout transi de peur,
Il se mit à genoux et demanda la vie.
Le monarque des bois, d'une voix radoucie,
Mais qui faisait encor trembler le Provençal,
Lui dit en bon français: Ridicule animal,

Tu veux donc qu'aujourd'hui de souper je me passe ?
Écoute, j'ai dîné, je veux te faire grâce,

Si tu peux me prouver qu'il est contre les lois

Que le soir un lion soupe d'un Marseillois." "-VOLTAIRE.

b Imitation:

"Mane, piger, stertis: surge, inquit Avaritia. Eia,

Surge. Negas; instat: Surge, inquit. Non queo. Surge:
En quid agam? Rogitas? en, saperdam advehe Ponto.
Castoreum, stupas, ebenum, thus, lubrica Coa;

Tolle recens primus piper e sitiente camelo;

Verte aliquid; jura..."-PERS. Sat. V.

N'importe, lève-toi.-Pour quoi faire, après tout?-
Pour courir l'Océan, de l'un à l'autre bout,
Chercher jusqu'au Japon la porcelaine et l'ambre,
Rapporter de Goa le poivre et le gingembre.——
Mais j'ai des biens en foule, et je puis m'en passer.—
On n'en peut trop avoir; et, pour en amasser,
Il ne faut épargner ni crime ni parjure;

Il faut souffrir la faim et coucher sur la dure;
Eût-on plus de trésors que n'en perdit Galet",
N'avoir en sa maison ni meubles ni valet;

Parmi les tas de blé vivre de seigle et d'orge;
De peur de perdre un liard, souffrir qu'on vous égorge.—
Et pourquoi cette épargne, enfin ?-L'ignores-tu ?
Afin qu'un héritier, bien nourri, bien vêtu,
Profitant d'un trésor en tes mains inutile,
De son train quelque jour embarrasse la ville.—
Que faire ? Il faut partir: les matelots sont prêts.
Ou, si pour l'entraîner l'argent manque d'attraits,
Bientôt l'ambition et toute son escorte,

Dans le sein du repos, vient le prendre à main-forte,
L'envoie, en furieux, au milieu des hasards,

Se faire estropier sur les pas des Césars;
Et, cherchant sur la brèche une mort indiscrète,
De sa folle valeur embellir la gazette.

Tout beau, dira quelqu'un, raillez plus à propos :

Ce vice fut toujours la vertu des héros.

Quoi donc à votre avis, fut-ce un fou qu'Alexandre? Qui? cet écervelé qui mit l'Asie en cendre?

Ce fougueux l'Angeli, qui, de sang altéré,

Maître du monde entier, s'y trouvait trop serréc?

a Fameux joueur dont il est fait mention dans Regnier.

b L'Angeli, né d'une famille noble mais pauvre, suivit le prince de Condé dans ses campagnes de Flandres comme valet d'écurie. De retour en France, le prince présenta l'Angeli au Roi, qui charmé des saillies de son esprit l'attacha à son service en qualité de fou. "Unus Pellæo juveni non sufficit orbis :

Estuat infelix angusto limite mundi."-Juv. Sat. X.

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