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Et qu'un songe fâcheux, dans ces confus mystères,

T'ait fait voir toutes les chimères

Dont tu me fais des vérités.

SOSIE.

Tout aussi peu. Je n'ai point sommeillé,
Et n'en ai même aucune envie.

Je vous parle bien éveillé;

J'étais bien éveillé ce matin, sur ma vie;
Et bien éveillé même était l'autre Sosie,
Quand il m'a si bien étrillé.

AMPHITRYON.

Suis-moi, je t'impose silence.

C'est trop me fatiguer l'esprit ;
Et je suis un vrai fou d'avoir la patience
D'écouter d'un valet les sottises qu'il dit.

SOSIE, à part.

Tous les discours sont des sottises,
Partant d'un homme sans éclat :
Ce seraient paroles exquises

Si c'était un grand qui parlât.

AMPHITRYON.

Entrons sans davantage attendre.

Mais Alcmène paraît avec tous ses appas;
En ce moment sans doute elle ne m'attend pas,
Et mon abord la va surprendre.

254

LA FONTAINE.

Le recueil des chefs-d'œuvre de ce fabuliste immortel est un trésor de leçons et d'exemples pour tous les âges et toutes les conditions de la vie.

FABLES.

La Cigale et la Fourmi.

LA cigale, ayant chanté
Tout l'été,

Se trouva fort dépourvue
Quand la bisea fut venue:
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.

Elle alla crier famine

Chez la fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle.
"Je vous paierai," lui dit-elle,
"Avant l'oût, foi d'animal,
Intérêt et principal."

La fourmi n'est pas prêteuse:

C'est là son moindre défaut.

"Que faisiez-vous au temps chaud?"

Dit-elle à cette emprunteuse.-

"Nuit et jour à tout venant

Je chantais, ne vous déplaise."

"Vous chantiez ! j'en suis fort aise.
Eh bien dansez maintenant."

a Bise, vent du nord. Il se dit poétiquement pour l'hiver. b Avant la moisson, qui se fait au mois d'août, qu'on prononce oût; et ce dernier mot, sous cette forme, dans notre ancien langage, se prend pour la moisson. On disait autrefois un aousteron (ousteron) pour un moissonneur.

2

Le Corbeau et le Renard.

Maîtrea corbeau, sur un arbre perché,

Tenait en son bec un fromage. Maître renard, par l'odeur alléché, Lui tint à peu près ce langage:

“Hé! bonjour, monsieur dub corbeau. Que vous êtes joli! que vous me semblez beau !

Sans mentir, si votre ramage

Se rapporte à votre plumage,

Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois."

À

ces mots le corbeau ne se sent pas Et, pour montrer sa belle voix,

de joie ;

Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le renard s'en saisit, et dit: "Mon bon monsieur,
Apprenez que tout flatteur

Vit aux dépens de celui qui l'écoute:
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute."
Le corbeau, honteux et confus,

Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.

La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le Bœuf.

Une grenouille vit un bœuf

Qui lui sembla de belle taille.

Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille

Pour égaler l'animal en grosseur;

Disant: 66

Regardez bien, ma sœur; Est-ce assez? dites-moi; n'y suis-je point encore?""Nenni."-"M'y voici done?"-"Point du tout."-"M'y voilà ?"

a Maître. On appelait ainsi du temps de La Fontaine tous les hommes qui, n'étant ni prêtres, ni nobles, ni soldats, exerçaient un métier ou un art quelconque.

Du corbeau. Pour le flatter, il lui donne un du comme en ont quelquefois les noms des familles nobles. Voyez la page 136, note c.

"Vous n'en approchez point." La chétive pécore3

S'enfla si bien qu'elle creva.

Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages:
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.

Les deux Mulets.

Deux mulets cheminaient, l'un d'avoine chargé,
L'autre portant l'argent de la gubelle.
Celui-ci, glorieux d'une charge si belle,
N'eût voulu pour beaucoup en être soulagé.
Il marchait d'un pas relevé,
Et faisait sonner sa sonnette;
Quand l'ennemi se présentant,
Comme il en voulait à l'argent,
Sur le mulet du fisce une troupe se jette,
Le saisit au frein, et l'arrête.

Le mulet, en se défendant,

Se sent percer de coups; il gémit, il soupire.
"Est-ce donc là," dit-il, " ce qu'on m'avait promis?
Ce mulet qui me suit du danger se retire;

Et moi, j'y tombe, et je péris!"

"Ami," lui dit son camarade,

"Il n'est pas toujours bon d'avoir un haut emploi:
Si tu n'avais servi qu'un meunier, comme moi,
Tu ne serais pas si malade."

La Génisse, la Chèvre, et la Brebis, en société avec le Lion.

La génisse, la chèvre, et leur sœur la brebis,
Avec un fier lion, seigneur du voisinage,

a Pécore. Un animal, une bête.

b Gabelle, ce mot qui se disait autrefois de l'impôt sur le sel, est dérivé, selon Roquefort, du latin VECTIGAL, péage, droit d'entrée. Fisc (du latin FISCUS, panier). Le trésor du prince, le trésor de l'État.

Firent société, dit-on, au temps jadis,

Et mirent en commun le gain et le dommage.
Dans les lacs de la chèvre un cerf se trouva pris.
Vers ses associés aussitôt elle envoie.

Eux venus, le lion par ses ongles compta;

Et dit: "Nous sommes quatre à partager la proie."
Puis en autant de parts le cerf il dépeça;
Prit pour lui la première en qualité de sire.
"Elle doit être à moi," dit-il ;
C'est que je m'appelle lion:
À cela l'on n'a rien à dire.

"et la raison,

La seconde, par droit, me doit échoir encor:
Ce droit, vous le savez, c'est le droit du plus fort.
Comme le plus vaillant, je prétends la troisième.
Si quelqu'une de vous touche à la quatrième,
Je l'étranglerai tout d'abord."

La Besacea.

Jupiter dit un jour: "Que tout ce qui respire
S'en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur:
Si dans son composé quelqu'un trouve à redire,
Il peut le déclarer sans peur;

Je mettrai remède à la chose.

Venez, singe; parlez le premier, et pour cause:
Voyez ces animaux, faites comparaison

De leurs beautés avec les vôtres.

Êtes-vous satisfait?" "Moi," dit-il; " pourquoi non ?
N'ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres ?
Mon portrait jusqu'ici ne m'a rien reproché:
Mais pour mon frère l'ours, on ne l'a qu'ébauché;
Jamais, s'il me veut croire, il ne se fera peindre."
L'ours venant là-dessus, on crut qu'il s'allait plaindre.
Tant s'en faut: de sa forme il se loua très fort;
Glosa sur l'éléphant, dit qu'on pourrait encor

1 Besace. Espèce de sac ouvert par le milieu, et fermé par les deux bouts, en sorte qu'il forme deux poches.

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