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jusqu'à Corneille et Racine pour la poésie, que l'idiome français se forme, que le style et la construction des périodes s'assujettissent aux lois d'une logique saine et lumineuse. Le rhythme poétique est fixé par Malherbe, les règles de la versification française sont reconnues par Boileau, la langue devenant le timbre du génie produit des chefs-d'œuvre littéraires qui immortalisent le siècle de Louis XIV, et portent au loin la gloire du nom français.

Extrait des poésies de MALHERBE.

STANCES.

Paraphrase d'une partie du psaume cxlv, sur la grandeur périssable des rois.

N'espérons plus, mon âme, aux promesses du monde,
Sa lumière est un verre, et sa faveur une onde
Que toujours quelque vent empêche de calmer.
Quittons ces vanités, lassons-nous de les suivre :
C'est Dieu qui nous fait vivre,
C'est Dieu qu'il faut aimer.

En vain, pour satisfaire à nos lâches envies,
Nous passons près des rois tout le temps de nos vies,

A souffrir le mépris et ployer les genoux:

Ce qu'ils peuvent n'est rien; ils sont, comme nous sommes, Véritablement hommes,

Et meurent comme nous.

Ont-ils rendu l'esprit, ce n'est plus que poussière

Que cette majesté si pompeuse, si fière,

Dont l'éclat orgueilleux étonnoit l'univers;

Et, dans ces grands tombeaux où leurs âmes hautaines
Font encore les vaines,

Ils sont mangés des vers.

Là, se perdent ces noms de maîtres de la terre,

D'arbitres de la paix, de foudres de la guerre;

Comme ils n'ont plus de sceptre, ils n'ont plus de flatteurs, Et tombent avec eux, d'une chute commune,

Tous ceux que leur fortune

Faisoit leurs serviteurs.

Voyez la page 414.

Extrait des poésies de RACAN, ami et disciple de Malherbe.

STANCES.

Tircis, il faut penser à faire la retraite ;

La course de nos jours est plus qu'à demi faite;
L'âge insensiblement nous conduit à la mort:
Nous avons assez vu sur la mer de ce monde
Errer au gré des vents notre nef vagabonde;
Il est temps de jouir des délices du port.

Le bien de la fortune est un bien périssable;
Quand on bâtit sur elle, on bâtit sur le sable;
Plus on est élevé, plus on court de danger:

Les grands pins sont en butte aux coups de la tempête,
Et la rage des vents brise plutôt le faîte

Des maisons de nos rois, que les toits des bergers.

Ô bienheureux celui qui peut de sa mémoire

Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire,
Dont l'inutile soin traverse nos plaisirs;
Et qui, loin retiré de la foule importune,
Vivant dans sa maison, content de sa fortune,
A, selon son pouvoir, mesuré ses désirs!

Il laboure le champ que labouroit son père ;
Il ne s'informe point de ce qu'on délibère
Dans ces graves conseils d'affaires accablés.
Il voit sans intérêt la mer grosse d'orages,
Et n'observe des vents les sinistres présages,
Que pour le soin qu'il a du salut de ses blés.

Roi de ses passions, il a ce qu'il désire;
Son fertile domaine est son petit empire;
Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau ;
Ses champs et ses jardins sont autant de provinces ;
Et, sans porter envie à la pompe des princes,
Se contente chez lui de les voir en tableau.

Remarque sur l'ordre chronologique des extraits suivants.

L'Art poétique de Boileau est placé au commencement des Leçons et modèles pour servir d'introduction à l'étude de la poésie française. En observant l'ordre chronologique des auteurs du dix-septième siècle (c'est-à-dire, des auteurs dont les chefs-d'œuvre commencent à la page 1 qui suit, et finissent à la page 296), on aura soin de se rappeler que Boileau vient après Corneille, appartenant à l'époque littéraire de Racine, de Molière et de La Fontaine. Les autres extraits de Boileau suivent immédiatement ceux des auteurs que nous venons de citer, et, à la place qui leur est propre d'après le plan de cette compilation, terminent les fragments poétiques du dixseptième siècle.-Voyez la page 289.

NOTA.-Les belles éditions modernes des auteurs français, entr'autres celles que Firmin Didot et Cie., imprimeurs de l'Institut de France, ont fait paraître tout récemment, ayant fourni les extraits contenus dans ce recueil, on s'apercevra que l'orthographe de ces éditions, telle qu'elle est autorisée par l'Académie française, a été adoptée avec la plus rigoureuse exactitude. Il faut excepter les morceaux de l'Introduction qui précède, où nous avons suivi le texte des auteurs qui y sont cités, ayant voulu, comme nous l'avons dit à la page xiv, développer les progrès de la langue française et indiquer les changements qu'elle a subis siècle par siècle, jusqu'à l'époque où elle s'est formée, c'est-à-dire, depuis le neuvième jusqu'au dix-septième siècle: siècle de Corneille, de Boileau, de Racine, de Molière, de La Fontaine, etc.

a

Voyez la notice biographique, page 423.

b L'Académie française, dans la nouvelle édition de son dictionnaire, publiée en 1835, a sanctionné l'orthographe dite de Voltaire, c'est-à-dire, qu'elle remplace l'o par l'a dans les mots Faible, monnaie, connaître, paraître, Français, Anglais, etc.; ainsi que dans la terminaison des imparfaits et des conditionnels: Je voulais, je voudrais, etc. Elle a également décidé que les mots terminés en ant ou en ent, tels que Puissant, élément, etc., retiendraient le tau pluriel: Puissants, éléments, etc.

DE

POÉSIE FRANÇAISE.

BOILEAU.

L'ART POÉTIQUE.

CHANT PREMIER.

Dans le premier chant de ce poëme, l'auteur donne le caractère du poëte, des règles générales de poésie, et un aperçu de l'histoire de la poésie française.

C'EST en vain qu'au Parnassea un téméraire auteur
Pense de l'art des vers atteindre la hauteur:
S'il ne sent point du ciel l'influence secrète,
Si son astre en naissant ne l'a formé poëte, -
Dans son génie étroit il est toujours captif;
Pour lui Phébus est sourd, et Pégase est rétif.
Ô vous donc, qui, brûlant d'une ardeur périlleuse,
Courez du bel esprita la carrière épineuse,

a Parnasse, célèbre montagne de la Grèce. Elle était consacrée aux Muses, à Apollon et à Bacchus.

b Phébus (du grec poißos, phoibos, lumineux), ou Apollon, ainsi nommé parce qu'il conduisait le char du soleil.

с

Pégase, cheval ailé. Dès qu'il vit la lumière, il s'envola vers le ciel. Selon Ovide, il s'arrêta sur le mont Hélicon, où d'un coup de pied il fit jaillir la fontaine du cheval (l'Hippocrène), dont l'onde, inspiratrice des poëtes, enivre comme le vin. Tantôt sur cette cime sacrée, tantôt sur celle du Parnasse, Pégase, les ailes abaissées, aimait à paître l'herbe émaillée au milieu des chœurs dansants des Muses et des Grâces.-Mythologie.

d Bel esprit. Ce mot est ici pour talent, génie; il a perdu cette signification.

B

N'allez pas sur des vers sans fruit vous consumer,
Ni prendre pour génie un amour de rimer:

Craignez d'un vain plaisir les trompeuses amorces,
Et consultez longtemps votre esprit et vos forces.....
Quelque sujet qu'on traite, ou plaisant ou sublime,
Que toujours le bon sens s'accorde avec la rime:
L'un l'autre vainement ils semblent se haïr;
La rime est une esclave, et ne doit qu'obéir.
Lorsqu'à la bien chercher d'abord on s'évertue,
L'esprit à la trouver aisément s'habitue;
Au joug de la raison sans peine elle fléchit,
Et, loin de la gêner, la sert et l'enrichit.
Mais, lorsqu'on la néglige, elle devient rebelle;
Et
pour la rattraper le sens court après elle.
Aimez donc la raison: que toujours vos écrits
Empruntent d'elle seule et leur lustre et leur prix.....

Voulez-vous du public mériter les amours?

Sans cesse en écrivant variez vos discours.
Un style trop égal et toujours uniforme

En vain brille à nos yeux; il faut qu'il nous endorme.
On lit peu ces auteurs, nés pour nous ennuyer,
Qui toujours sur un ton semblent psalmodier.

Heureux qui, dans ses vers, sait d'une voix légère
Passer du grave au doux, du plaisant au sévère !
Son livre, aimé du ciel, et chéri des lecteurs,
Est souvent chez Barbina entouré d'acheteurs.
Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse:
Le style le moins noble a pourtant sa noblesse......
........ Soyez simple avec art,

Sublime sans orgueil, agréable sans fard.

N'offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire.

Ayez pour la cadence une oreille sévère:

Que toujours dans vos vers le sens coupant les mots Suspende l'hémistiche, en marque le repos.

a Fameux libraire.

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