Oui, messieurs, vous voyez ici notre misère : Ouf! Je me sens déjà pris de compassion. SCÈNE IV. DANDIN, LÉANDRE, CHICANEAU, ISABELLE, Monsieur... CHICANEAU. DANDIN, à Petit-Jean et à l'Intimé. Oui, pour vous seuls l'audience se donne. (à Chicaneau.) Adieu. Mais, s'il vous plaît, quel est cet enfant-là? CHICANEAU. C'est ma fille, monsieur. DANDIN. Hé! tôt, rappelez-la. Vous êtes occupé. (à Chicaneau.) ISABELLE. DANDIN. Moi je n'ai point d'affaire. Que ne me disiez-vous que vous étiez son père? Monsieur... CHICANEAU. DANDIN. Elle sait mieux votre affaire que vous. (à Isabelle.) Dites...Qu'elle est jolie, et qu'elle a les yeux doux ! Je suis tout réjoui de voir cette jeunesse. ISABELLE. Ah! monsieur, je vous crois. DANDIN. Dis-nous: à qui veux-tu faire perdre la cause? Non, et ne le verrai, que je crois, de ma vie. DANDIN. Venez, je vous en veux faire passer l'envie. ISABELLE. Eh! monsieur, peut-on voir souffrir des malheureux? DANDIN. Bon! Cela fait toujours passer une heure ou deux. CHICANEAU. Monsieur, je viens ici pour vous dire... LÉANDRE. Mon père, Je vous vais en deux mots dire toute l'affaire : C'est pour un mariage. Et vous saurez d'abord Ce que la fille veut, le père le désire. C'est à vous de juger. DANDIN, se rasseyant. Mariez au plus tôt : Dès demain, si l'on veut; aujourd'hui, s'il le faut. LÉANDRE. Mademoiselle, allons, voilà votre beau-père: Saluez-le. CHICANEAU. Comment? DANDIN. Quel est donc ce mystère? LÉANDRE. Ce que vous avez dit se fait de point en point. DANDIN. Puisque je l'ai jugé, je n'en reviendrai point. CHICANEAU. Mais on ne donne pas une fille sans elle. LÉANDRE. Sans doute; et j'en croirai la charmante Isabelle. CHICANEAU. Es-tu muette? Allons, c'est à toi de parler. Parle. ISABELLE. Je n'ose pas, mon père, en appeler. CHICANEAU. Mais j'en appelle, moi. LÉANDRE, lui montrant un papier. Vous n'appellerez pas de votre signature? Plaît-il? CHICANEAU. DANDIN. C'est un contrat en fort bonne façon. CHICANEAU. Je vois qu'on m'a surpris; mais j'en aurai raison: On a la fille; soit: on n'aura pas la bourse. LÉANDRE. Eh, monsieur! qui vous dit qu'on vous demande rien? Laissez-nous votre fille, et gardez votre bien. Ah! CHICANEAU. LÉANDRE. Mon père, êtes-vous content de l'audience? DANDIN. Oui-da. Que les procès viennent en abondance, Mais que les avocats soient désormais plus courts. LÉANDRE. Ne parlons que de joie : Grâce! grâce! mon père. DANDIN. Eh bien! qu'on le renvoie ; C'est en votre faveur, ma bru, ce que j'en fais. FIN DES PLAIDEURS. 192 MOLIÈRE. Nota.-ON trouvera dans LE RÉPERTOIRE LITTÉRAIRE de nombreux extraits des chefs-d'œuvre en prose de Molière, "le premier," comme l'a dit Racine, " des grands hommes qui ont illustré le règne de Louis XIV." Le recueil que nous venons d'indiquer offre les plus belles scènes des comédies de cet auteur, intitulées l'Avare, le Bourgeois gentilhomme, les Fourberies de Scapin, le Malade imaginaire, le Mariage forcé, le Festin de pierre, le Médecin malgré lui, les Précieuses ridicules, l'Amour médecin, etc. FRAGMENT DU MISANTHROPE, ACTE I. SCÈNE I.. PHILINTE, ALCESTE, PHILINTE QU'EST-CE donc ? qu'avez-vous? ALCESTE, assis. Laissez-moi, je vous prie. PHILINTE. Mais encor, dites-moi, quelle bizarrerie... ALCESTE. Laissez-moi là, vous dis-je, et courez vous cacher. PHILINTE Mais on entend les gens au moins sans se fâcher. ALCESTE. Moi, je veux me fâcher, et ne veux point entendre. PHILINTE. Dans vos brusques chagrins je ne puis vous comprendre ; Et, quoique amis enfin, je suis tout des premiers... ALCESTE, se levant brusquement. Moi, votre ami? Rayez cela de vos papiers. J'ai fait jusques ici profession de l'être ; Mais, après ce qu'en vous je viens de voir paraître, |