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Qu'aux accents dont Orphée emplit les monts de Thrace,
Les tigres amollis dépouillaient leur audace ;
Qu'aux accords d'Amphion les pierres se mouvaient,
Et sur les murs thébains en ordre s'élevaient.
L'harmonie en naissant produisit ces miracles.
Depuis, le ciel en vers fit parler les oracles;
Du sein d'un prêtre ému d'une divine horreur,
Apollon par des vers exhala sa fureur.
Bientôt, ressuscitant les héros des vieux âges,
Homère aux grands exploits anima les courages.
Hésiode à son tour, par d'utiles leçons,
Des champs trop paresseux vint hâter les moissons.
En mille écrits fameux la sagesse tracée
Fut, à l'aide des vers, aux mortels annoncée,
Et partout des esprits ses préceptes vainqueurs,
Introduits par l'oreille, entrèrent dans les cœurs.
Pour tant d'heureux bienfaits les muses révérées
Furent d'un juste encens dans la Grèce honorées;
Et leur art, attirant le culte des mortels,

À sa gloire en cent lieux vit dresser des autels......

a "Musicien habile, Orphée avait cultivé surtout la cithare. П en jouait avec tant de perfection que toute la nature semblait se plaire à ses accents. Les fleuves suspendaient leur cours, les bêtes sauvages quittaient les forêts, et les montagnes s'ébranlaient pour l'entendre."-Mythologie.

"Amphion, prince thébain, fils d'Antiope et de Jupiter. I cultiva la musique avec le plus grand succès; et il reçut des leçons de Mercure, qui lui donna une lyre d'or, au son de laquelle il bâtit, dit-on, les murs de Thèbes. Les pierres, sensibles à la douceur de ses accents, venaient d'elles-mêmes se placer les unes sur les autres."―Mythologie.

Poëte grec, né à Cumes en Éolide, et contemporain d'Homère. Il est l'auteur d'un poëme sur l'agriculture, que Virgile a imité et surpassé dans ses Géorgiques.

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CORNEILLE.

FRAGMENTS DU CID,

TRAGÉDIE.

Personnages.

DON FERNAND, premier roi de Castille.

DON DIÈGUE, père de don Rodrigue.

DON GOMÈS, comte de Gormas, père de Chimène.
DON RODRIGUE, amant de Chimène.

CHIMÈNE, fille de don Gomès.

ELVIRE, gouvernante de Chimène.

La scène est à Séville.

ACTE I. SCÈNE III.

LE COMTE, DON DIÈGUE.

LE COMTE.

Enfin vous l'emportez, et la faveur du roi
Vous élève en un rang qui n'était dû qu'à moi;
Il vous fait gouverneur du prince de Castille.

D. DIÈGUE.

Cette marque d'honneur qu'il met dans ma famille
Montre à tous qu'il est juste, et fait connaître assez
Qu'il sait récompenser les services passés.

LE COMTE.

Pour grands que soient les rois ils sont ce que nous sommesa,
Ils peuvent se tromper comme les autres hommes;
Et ce choix sert de preuve à tous les courtisans
Qu'ils savent mal payer les services présents.
D. DIÈGUE.

Ne parlons plus d'un choix dont votre esprit s'irrite;
La faveur l'a pu faire autant que le mérite.

a Cette phrase a vieilli; elle était fort bonne alors. On dirait aujourd'hui: Tout grands que sont les rois, Quelque grands que soient les rois.-VOLTAIRE.

Mais on doit ce respect au pouvoir absolu,
De n'examiner rien quand un roi l'a voulu.
À l'honneur qu'il m'a fait ajoutez-en un autre ;
Joignons d'un sacré nœud ma maison à la vôtre.
Vous n'avez qu'une fille, et moi je n'ai qu'un fils;
Leur hymen nous peut rendre à jamais plus qu'amis :
Faites-nous cette grâce, et l'acceptez pour gendre.

LE COMTE.

À des partis plus hauts ce beau fils doit prétendre ;
Et le nouvel éclat de votre dignité

Lui doit enfler le cœura d'une autre vanité.
Exercez-la, monsieur, et gouvernez le prince;
Montrez-lui comme il faut régir une province,
Faire trembler partout les peuples sous sa loi,
Remplir les bons d'amour, et les méchants d'effroi ;
Joignez à ces vertus celles d'un capitaine:
Montrez-lui comme il faut s'endurcir à la peine,
Dans le métier de Mars se rendre sans égal,
Passer les jours entiers et les nuits à cheval,
Reposer tout armé, forcer une muraille,

Et ne devoir qu'à soi le gain d'une bataille :
Instruisez-le d'exemple, et rendez-le parfait,
Expliquant à ses yeux vos leçons par l'effet.
D. DIÈGUE.

Pour s'instruire d'exemple, en dépit de l'envie,
Il lira seulement l'histoire de ma vie.
Là, dans un long tissu de belles actions,
Il verra comme il faut dompter des nations,
Attaquer une place, ordonner une armée,
Et sur de grands exploits bâtir sa renommée.

LE COMTE.

Les exemples vivants sont d'un autre pouvoir;
Un prince dans un livre apprend mal son devoir.

a Mettre une vanité au cœur serait aujourd'hui une mauvaise façon de parler.

Et qu'a fait, après tout, ce grand nombre d'années,
Que ne puisse égaler une de mes journées ?
Si vous fûtes vaillant, je le suis aujourd'hui ;
Et ce bras, du royaume est le plus ferme appui.
Grenade et l'Aragon tremblent quand ce fer brille;
Mon nom sert de rempart à toute la Castille:
Sans moi vous passeriez bientôt sous d'autres lois,
Et vous auriez bientôt vos ennemis pour rois.
Chaque jour, chaque instant, pour rehausser ma gloire,
Met lauriers sur lauriers, victoire sur victoire :
Le prince à mes côtés ferait dans les combats
L'essai de son courage à l'ombre de mon bras;
Il apprendrait à vaincre en me regardant faire;
Et, pour répondre en hâte à son grand caractère,
Il verrait-

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Je le sais, vous servez bien le roi.

Je vous ai vu combattre et commander sous moi:
Quand l'âge dans mes nerfs a fait couler sa glace,
Votre rare valeur a bien rempli ma place:
Enfin, pour épargner les discours superflus,
Vous êtes aujourd'hui ce qu'autrefois je fus.
Vous voyez toutefois qu'en cette concurrence
Un monarque entre nous met quelque différence.

LE COMTE.

Ce que je méritais, vous l'avez emporté.

D. DIÈGUE.

Qui l'a gagné sur vous l'avait mieux mérité.

LE COMTE.

Qui peut mieux l'exercer en est bien le plus digne.
D. DIÈGUE.

En être refusé n'en est pas un bon signe.

LE COMTE.

Vous l'avez eu par brigue, étant vieux courtisan.
D. DIÈGUE.

L'éclat de mes hauts faits fut mon seul partisan.

LE COMTE.

Parlons-en mieux, le roi fait honneur à votre âge.

D. DIÈGUE.

Le roi, quand il en fait, le mesure au courage.

LE COMTE.

Et par-là cet honneur n'était dû qu'à mon bras.
D. DIÈGUE.

Qui n'a pu l'obtenir ne le méritait pas.

LE COMTE.

Ne le méritait pas! Moi?

D. DIÈGUE.
Vous.

LE COMTE.

Ton impudence,

Téméraire vieillard, aura sa récompense.

[Il lui donne un soufflet.]

D. DIÈGUE, mettant l'épée à la main.

Achève, et prends ma vie après un tel affront,
Le premier dont ma race ait vu rougir son front.

LE COMTE.

Et que penses-tu faire avec tant de faiblesse ?

D. DIÈGUE.

Ô Dieu! ma force usée en ce besoin me laisse !

LE COMTE.

Ton épée est à moi; mais tu serais trop vain,
Si ce honteux trophée avait chargé ma main.
Adieu. Fais lire au prince, en dépit de l'envie,
Pour son instruction, l'histoire de ta vie;
D'un insolent discours ce juste châtiment
Ne lui servira pas d'un petit ornement.

SCÈNE IV.

DON DIÈGUE.

Ô rage! ô désespoir! ô vieillesse ennemie !
N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie?

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