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ATHALIE.

Dieu des Juifs, tu l'emportes!

Oui, c'est Joas; je cherche en vain à me tromper;
Je reconnais l'endroit où je le fis frapper;

Je vois d'Ochozias et le port et le geste;

Tout me retrace enfin un sang que je déteste.
David, David triomphe; Achab seul est détruit.
Impitoyable Dieu, toi seul as tout conduit!
C'est toi qui me flattant d'une vengeance aisée,
M'as vingt fois en un jour à moi-même opposée:
Tantôt pour un enfant excitant mes remords,
Tantôt m'éblouissant de tes riches trésors,
Que j'ai craint de livrer aux flammes, au pillage.
Qu'il règne donc ce fils, ton soin et ton ouvrage;
Et que pour signaler son empire nouveau,
On lui fasse en mon sein enfoncer le couteau!
Voici ce qu'en mourant lui souhaite sa mère :
Que dis-je, souhaiter? je me flatte, j'espère
Qu'indocile à ton joug, fatigué de ta loi,
Fidèle au sang d'Achab, qu'il a reçu de moi,
Conforme à son aïeul, à son père semblable,
On verra de David l'héritier détestable
Abolir tes honneurs, profaner ton autel,
Et venger Athalie, Achab et Jézabel.

Athalie sort, les lévites la suivent, et bientôt cette reine expie par sa mort ses horribles forfaits.

Les dernières paroles que Joad dit au jeune roi peuvent être considérées comme la morale de cette belle tragédie.

JOAD.

Par cette fin terrible, et due à ses forfaits,
Apprenez, roi des Juifs, et n'oubliez jamais
Que les rois dans le ciel ont un juge sévère,
L'innocence un vengeur, et l'orphelin un père.

FRAGMENT D'ESTHER,

TRAGÉDIE.

Le sujet de cette tragédie, comme celui d'Athalie, est tiré de l'Écriture Sainte. Ces deux pièces, considérées les chefs-d'œuvre de Racine, ont été composées pour l'éducation des jeunes demoiselles de la célèbre maison de Saint-Cyra.

ESTHER parle de la puissance de Dieu.

CE Dieu, maître absolu de la terre et des cieux,
N'est point tel que l'erreur le figure à vos yeux:
L'Éternel est son nom; le monde est son ouvrage;
Il entend les soupirs de l'humble qu'on outrage,
Juge tous les mortels avec d'égales lois,
Et du haut de son trône interroge les rois :
Des plus fermes États la chute épouvantable,

Quand il veut, n'est qu'un jeu de sa main redoutable.

Dans une des scènes précédentes, Mardochée, oncle d'Esther, dit:

Que peuvent contre lui tous les rois de la terre ?
En vain ils s'uniraient pour lui faire la guerre:
Pour dissiper leur ligue il n'a qu'à se montrer;
Il parle, et dans la poudre il les fait tous rentrer.
Au seul son de sa voix la mer fuit, le ciel tremble;
Il voit comme un néant tout l'univers ensemble;
Et les faibles mortels, vains jouets du trépas,
Sont tous devant ses yeux comme s'ils n'étaient pas.

a Près de Versailles. Cet établissement nommé Monastère de Saint-Louis, fut fondé par Louis XIV et supprimé en 1793. Napoléon en a fait une école militaire.

LES PLAIDEURS,

COMÉDIE.

LES Plaideurs que Racine a pris des Guêpes d'Aristophane, sont remarquables en ce que la pièce n'est qu'une farce, et qu'elle est écrite d'un bout à l'autre du style de la bonne comédie. D'ailleurs, elle manque absolument d'intrigue et d'intérêt, et ne se soutient que par la gaieté des détails et le comique des personnages. Mais aussi jamais on n'a prodigué avec plus d'aisance et de goût le sel de la plaisanterie : presque tous les vers sont des traits, et tous sont si naturels et si gais, que la plupart sont devenus proverbes.

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La scène est dans une ville de basse Normandie.

ACTE I. SCÈNE I.

PETIT-JEAN, traînant un gros sac de procès.
Ma foi, sur l'avenir bien fou qui se fîraa:
Tel qui rit vendredi dimanche pleurera.
Un juge, l'an passé, me prit à son service;
Il m'avait fait venir d'Amiens pour être suisseo.
Tous ces Normands voulaient se divertir de nous :
On apprend à hurler, dit l'autre, avec les loups.

a C'est-à-dire: Celui qui se fiera sur l'avenir est bien fou. b Proverbe qui signifie: Souvent la tristesse succède en peu de temps à la joie.

Suisse. Nom donné au domestique à qui est confiée la garde de la porte d'une maison, parce qu'autrefois ce domestique était pris ordinairement parmi les Suisses. Ce terme vieillit: on dit maintenant, portier ou concierge.

C'est-à-dire: On apprend à s'accommoder aux manières, aux mœurs, aux opinions de ceux avec qui l'on vit, ou avec qui l'on se trouve, quoiqu'on ne les approuve pas entièrement.

Tout Picard que j'étais, j'étais un bon apôtre,

Et je faisais claquer mon fouet tout comme un autre.
Tous les plus gros monsieurs me parlaient chapeau bas;
Monsieur de Petit-Jean, ah! gros comme le bras!
Mais sans argent l'honneur n'est qu'une maladie.
Ma foi! j'étais un franc portier de comédie;
On avait beau heurter et m'ôter son chapeau,

On n'entrait pas chez nous sans graisser le marteaua.
Point d'argent, point de suisse, et ma porte était close.
Il est vrai qu'à Monsieur j'en rendais quelque chose :
Nous comptions quelquefois, on me donnait le soin
De fournir la maison de chandelle et de foin;
Mais je n'y perdais rien; enfin vaille que vaille,
J'aurais sur le marché fort bien fourni la paille.

a On dit ironiquement, C'est un bon apôtre de celui qui fait l'homme de bien mais dont il faut se méfier.

b Faire claquer son fouet est une expression figurée et familière qui signifie, Faire valoir son autorité, son crédit, etc.

• Voulant se faire passer pour un personnage d'importance, PetitJean s'arroge le Monsieur DE, etc. On comprendra qu'en français la préposition de s'emploie d'une façon particulière pour distinguer les noms propres de nobles, ordinairement empruntés au lieu d'origine, à quelque particularité locale, à une terre, etc. Henri de la Tour d'Auvergne. Madame de Maintenon. Monsieur de Caylus. Dans la plupart de ces dénominations, il y a ellipse d'un titre de noblesse (Madame la marquise de Maintenon. Monsieur le comte

de Caylus.)

4 Graisser le marteau, c'est-à-dire, Donner de l'argent au portier d'une maison pour s'en faciliter l'entrée. On dit aussi Graisser la patte à quelqu'un, donner de l'argent à quelqu'un pour le gagner, pour le corrompre.

• Il est probable que ce proverbe vient de l'usage qu'ont les Suisses de s'enrôler au service des princes étrangers.

"While lawyers have more sober sense

Than t' argue at their own expense;

To make the best advantages

Of others' quarrels, like the Swiss."-Hudibras.

C'est-à-dire, à tout hasard.

C'est dommage: il avait le cœur trop au métier;
Tous les jours le premier aux plaids, et le dernier ;
Et bien souvent tout seul, si l'on l'eût voulu croire,
Il s'y serait couché sans manger et sans boire.
Je lui disais parfois: "Monsieur Perrin Dandin,
Tout franc, vous vous levez tous les jours trop matin.
Qui veut voyager loin ménage sa monture;
Buvez, mangez, dormez, et faisons feu qui dure.”
Il n'en a tenu compte; il a si bien veillé,

Et si bien fait, qu'on dit que son timbre est brouillé.
Il nous veut tous juger les uns après les autres.
Il marmotte toujours certaines patenôtres

Où je ne comprends rien. Il veut, bon gré, mal gré,
Ne se coucher qu'en robe et qu'en bonnet carré.
Il fit couper la tête à son coq, de colère,
Pour l'avoir éveillé plus tard qu'à l'ordinaire ;
Il disait qu'un plaideur dont l'affaire allait mal
Avait graissé la pattea à ce pauvre animal.
Depuis ce bel arrêt, le pauvre homme a beau faire,
Son fils ne souffre plus qu'on lui parle d'affaire.
Il nous le fait garder jour et nuit, et de près:
Autrement, serviteur, et mon homme est aux plaids.
Pour s'échapper de nous, dieu sait s'il est alègre.
Pour moi, je ne dors plus: aussi je deviens maigre;
C'est pitié. Je m'étends, et ne fais que bâiller.
Mais veille qui voudra, voici mon oreiller.
Ma foi, pour cette nuit il faut que je m'en donne;
Pour dormir dans la rue on n'offense personne.
Dormons.
[Il se couche par terre.]

a Plaids est un vieux mot dont on a fait plaider, et qui signifie aujourd'hui plaidoirie, audience.

b Timbre, qui se dit au propre d'une sorte de cloche frappée par un marteau ainsi que du son qu'elle rend, est ici employé au figuré pour tête, d'où nous vient l'expression timbre felé, et plus familièrement timbre brouillé.

C'est-à-dire, certaines oraisons ou prières. d Voyez la page 136, noted.

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