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ACTION DE L'ACIDE CHLORHYDRIQUE

SUR LES

SULFATES DE SESQUIOXYDES

Par M. A. RECOURA,

Professeur à la Faculté des Sciences.

On sait que les sels des sesquioxydes d'aluminium, de chrome et de fer, lorsqu'ils sont dissous dans l'eau, éprouvent, surtout à chaud, une décomposition partielle, qui a pour effet de mettre en liberté une partie de l'acide du sel. D'autre part, il est probable, d'après ce que l'on sait sur ces composés, que les trois hydroxyles des bases Al(OH)3, Cr(OH)3 et Fe(OH)3 ne sont pas identiques et que certains d'entre eux peuvent même, dans des circonstances déterminées, changer de fonction, comme M. Wyrouboff l'a très bien mis en lumière dans son mémoire sur la constitution des composés du chrome (Bull. Soc. chim., 3 série, t. XVVIII, p. 666).

Dans ces conditions il était intéressant de rechercher comment se comporteraient les solutions de ces sels, quand on ferait agir sur elles un acide différent de celui du sel et d'une énergie moindre. Ainsi, par exemple, le sulfate de sesquioxyde de chrome dissous, abandonnant sous l'action de la chaleur, ainsi que je l'ai montré, une partie de son acide sulfurique, qui devient libre, il était probable que, si ce dédoublement s'opérait en présence d'un autre acide, plus faible que l'acide sulfurique, comme l'acide chlorhydrique, et employé en grand excès, le ou les hydroxyles de la base, devenus libres par la sépara

tion de l'acide sulfurique, pourraient fixer une ou plusieurs molécules d'acide chlorhydrique, et donner ainsi naissance à un sel polyacide dans lequel les hydroxyles de la base seraient saturés, les uns par de l'acide sulfurique, les autres par de l'acide chlorhydrique.

L'expérience a vérifié ces prévisions. Je vais faire connaître aujourd'hui les premiers résultats que j'ai obtenus, en faisant agir, en dissolution et à chaud, l'acide chlorhydrique sur les sulfates d'aluminium, de chrome et de fer.

Avec les sulfates d'aluminium et de chrome, j'ai obtenu, suivant mes prévisions, un sel polyacide :

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tandis qu'avec le sulfate de fer, j'ai transformé ce sulfate Fe2,3SO1 en un sulfate acide Fe2.3SO4.SO+H2,8H2O.

Je vais d'abord décrire le composé chromique qui présente des propriétés fort intéressantes.

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Chlorosulfate de chrome Cr.SO.C1,6H2O. On obtient ce composé très facilement de la façon suivante. A 50 cc. d'acide chlorhydrique fumant, porté à l'ébullition, on ajoute 60 gr. de sulfate violet de chrome, qui s'y dissolvent immédiatement en donnant une liqueur verte. On laisse bouillir un quart d'heure, puis on abandonne la liqueur. Au bout de quelques jours, elle se transforme en une bouillie cristalline, qu'on essore aussi complètement que possible et qu'on lave ensuite avec un mélange d'alcool et d'acétone. On obtient ainsi une poudre verte très soluble dans l'eau, à laquelle l'analyse assigne la composition Cr.SO.C1,6H2O 1.

On remarquera que l'on retrouve dans ce composé les 6 molécules d'eau qui existent dans les 2 chlorures de chrome, le chlorure vert et le chlorure violet, qui ont tous deux pour composition CrCl3,6H2O. Ces six molécules d'eau sont de l'eau de constitution, car, comme je le montrerai plus loin, le départ d'une seule de ces molécules modifie profondément les propriétés du corps. Il y a lieu de noter que, tandis que le chlorure vert de chrome est soluble dans l'alcool et dans l'acétone, ce composé y est insoluble. J'ajouterai qu'il faut lui attribuer la formule moléculaire CrSO Cl, et non pas une formule double

1 Trouvé Cr, 1; SO', 1.003; Cl, 1.001; H2O, 5.95.

ou triple, ainsi que cela résulte des mesures cryoscopiques exposées plus loin.

La propriété la plus intéressante de ce corps est la suivante : Le chlore qu'il renferme n'est pas précipitable par l'azotate d'argent, tandis que la totalité de l'acide sulfurique est immédiatement précipitable par le chlorure de baryum. L'expérience doit être faite de la façon suivante: A une solution étendue (1 mol. dans 35 litres environ) qui vient d'être faite et qui est refroidie à oo et acidulée avec de l'acide azotique, on ajoute la quantité équivalente d'azotate d'argent. La liqueur reste parfaitement limpide pendant plus d'un quart d'heure. Elle louchit ensuite et précipite peu à peu. Si l'on opère à la température ordinaire et sans addition d'acide azotique, la liqueur commence à précipiter presque aussitôt. Car, comme tous les composés complexes du chrome que j'ai décrits, et dans lesquels des radicaux acides sont dissimulés, celui-ci est assez rapidement transformé par l'eau. Ainsi, au bout d'un certain temps, la dissolution de ce corps, qui, au début, est verte, vire au violet, et elle n'est plus alors qu'un mélange de chlorure violet et de sulfate violet, comme il est facile de le vérifier par la cryoscopie 1.

Chlorosulfate de chrome Cr.SO.Cl,5H2O. - Le sel précédent, qui renferme 6 molécules d'eau, maintenu à une température de 85°, perd peu à peu de l'eau, et l'on constate que, quand il a perdu une molécule, sa dissolution très étendue (1 mol. dans 500 lit.) qui, auparavant, précipitait par le chlorure de baryum, ne précipite plus, toutes choses égales d'ailleurs. Elle ne précipite pas non plus par l'azotate d'argent. Le départ de 1 molécule d'eau a donc eu pour effet de faire entrer l'acide sulfurique dans le radical complexe qui renfermait déjà le chlore et le chrome. Si l'on continue à chauffer, toujours à 85°, le composé continue à perdre de l'eau, devient plus difficile

1 Une dissolution récente renfermant 3gr,564 de chlorosulfate de chrome dans 100 gr. d'eau se congèle à — 0',29.

La mème dissolution conservée 6 jours et devenue violette se congèle à 0°,42. Or, les quantités correspondantes de sulfate violet et de chlorure violet produisent, à la même dilution, des abaissements qui sont respectivement o°, 16 et 0o,26 et dont la somme est précisément 0°,42. On voit donc bien que la dissolution de chlorosulfate de chrome devenue violette n'est plus qu'un mélange de sulfate et de chlorure.

ment soluble; mais il perd en même temps un peu d'acide chlorhydrique.

Il était intéressant de déterminer l'abaissement du point de congélation des solutions aqueuses de ce composé. On sait, en effet, que, tandis que l'abaissement moléculaire dans l'eau des composés non électrolytes est 18,5, les électrolytes ont toujours un abaissement moléculaire beaucoup plus élevé, ce que l'on explique généralement par la dissociation partielle en leurs ions, qu'ils éprouvent de la part de l'eau, ce qui a pour effet d'augmenter le nombre des particules cryoscopiquement actives. Or, le composé actuel ne se prêtant pas aux doubles décompositions, il était à présumer qu'il n'est pas dissocié par l'eau et qu'il se comporterait comme les non électrolytes. C'est ce que l'expérience a pleinement vérifié. J'ai trouvé pour l'abaissement moléculaire du composé Cr.SO4. Cl,5H2O le nombre 18,8, c'està-dire l'abaissement des non électrolytes, alors que, dans les mêmes. conditions de dilution (1 mol. dans 10 lit.) le composé à 6 molécules d'eau, qui est dissociable, donne 23,7 et le chlorure vert de chrome CrCl3.6H2O donne 40.

Il y a lieu de signaler que le composé à 5 molécules d'eau se transforme très rapidement quand il est dissous, en le composé à 6 molécules dont l'acide sulfurique est précipitable. Ainsi, au bout de 20 minutes de dissolution, l'abaissement moléculaire s'est déjà relevé de 18,8 à 21,1 et la liqueur précipite partiellement par le chlorure de baryum. Mais si l'on a poussé la déshydratation plus loin que 5H2O, par exemple si le produit a perdu 2 molécules d'eau, sa solution est alors beaucoup plus stable; l'acide sulfurique y est dissimulé pendant beaucoup plus longtemps.

Je reviendrai plus tard sur la constitution de ces composés, qui aidera à fixer celle des autres composés complexes du chrome, qui préoccupe actuellement nombre de chimistes.

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Chlorosulfate d'aluminium Al.SO1.C1,6H2O. Ce composé se prépare dans les mêmes conditions que le composé chromique. A 50 cc. d'acide chlorhydrique fumant, porté à l'ébullition, on ajoute 40 gr. de sulfate d'aluminium qui s'y dissolvent immédiatement. On laisse bouillir un quart d'heure. Par refroidissement, la liqueur abandonne un abondant dépôt cristallin qu'on essore et qu'on fait recristalliser une deuxième fois dans les mêmes conditions en le dissolvant

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