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plus, ce sont les origines des nations, de leurs langues, de leurs mœurs, de leurs opinions, surtout l'histoire de l'espèce humaine, et une succession de pensées qui naissent dans les peuples les unes après les autres, et dont l'enchaînement bien observé pourrait donner lieu à des espèces de prophéties.

« Ne croit-on pas, remarque très justement Garat, entendre l'auteur du livre sur les Romains et l'auteur du tableau sur les mœurs et l'esprit des nations, révélant les secrets et les principes de leur génie historique? On croit très souvent les lire en lisant les Oracles, ouvrage qui n'est qu'une dissertation et qu'on a appelé, avec tant de raison, un livre. Là se trouvent les premiers exemples et d'un seul fait, employé à jeter une lumière toute nouvelle sur le corps entier de l'histoire, et du corps entier de l'histoire employé à expliquer un seul fait; là se trouvent également les premiers exemples de ce ridicule, gai à la fois et terrible, jeté sur les extravagances des nations et des siècles, avec le pinceau de la scène comique pris un instant pour le pinceau de l'histoire : c'est là très souvent la manière et de Montesquieu et de Voltaire. » Nous ne voudrions pas exagérer, mais il nous paraît certain qu'à tous deux Fontenelle, qui tenait la scène quand ils débutaient, a donné le branle, et, par eux, à tout ce qui a suivi, aussi bien

à la deuxième génération du siècle, aux Marivaux, aux Du Bos, qu'à l'Encyclopédie, qui est tout imprégnée d'esprit scientifique, et qu'à Turgot, dont les premiers discours ne sont que du Fontenelle mis au point. Et pour ce qui est du XIXe siècle, si son caractère essentiel est d'avoir été le siècle de la science et du progrès, il aurait dù, en toute justice, honorer Bernard Le Bovier de Fontenelle comme un aïeul.

Son rôle méritait donc d'être précisé et il suffisait qu'il le fût pour que, d'emblée, ce littérateur longtemps méprisé reprît sa place légitime parmi les éducateurs de la pensée moderne, parmi ceux qui ont fait pour l'intelligence universelle ce que dans Athènes les orateurs avaient fait pour l'intelligence et la moralité grecques, ce que, chez nous, poètes et prosateurs avaient fait au XVIIe siècle pour le goût. Sans doute, il ne s'en suivra peut-être pas qu'on le lira davantage, mais qu'importe? L'immortalité, comme a dit merveilleusement Renan, ne consiste pas à se faire lire des générations futures. « C'est là une illusion à laquelle il faut renoncer. Nous ne serons pas lus de l'avenir; nous le savons, nous nous en réjouissons et nous en félicitons l'avenir. Mais nous aurons travaillé à avancer la manière d'envisager les choses, nous aurons conduit l'avenir à n'avoir pas besoin de nous lire.... Notre immortalité consiste à insérer dans le mouvement de l'esprit

un élément qui ne périra pas. » Ce sera, nous l'espérons, celle de Fontenelle.

Plus particulièrement et plus « actuellement », si l'on veut bien réfléchir qu'il a, un des premiers et un des seuls en France, réalisé cet idéal auquel nous semblons aspirer aujourd'hui et qui consiste à accorder, sans prétention à un encyclopédisme impossible, la culture classique et la culture scientifique, l'esprit de finesse et l'esprit de géométrie, l'amour des idées générales et le besoin de vérités positives, à acquérir ainsi l'entière culture, on conviendra qu'il était plus juste encore que le neveu des frères Corneille remontât vers la gloire. Le temps d'ailleurs ne pouvait que le servir.

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