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Il se propose dans l'école d'aussi ridicules questions sur ce qui a été avant le monde, qu'il se fait dans le cérémonial de risibles contestations sur le droit de se placer devant les autres.

Je crois qu'il n'y a qu'à se bien instruire de ce qui a été avant nous, pour n'être pas tout à fait ignorant sur ce qui doit arriver après. Qu'importe de marcher derrière ou devant les autres, pourvu qu'on marche à son aise et commcdément?

La vanité de l'homme lui fait chercher de l'honneur dans des ancêtres qui ont existé avant lui, tandis que son peu de mérite le fait travailler à l'avilissement de sa postérité. Son ambition lui rend incommode tout ce qui est placé devant lui, et suspect tout ce qui le suit de très-près. (G.)

165. Avare, Avaricieux.

Il me semble qu'avare convient mieux lorsqu'il s'agit de l'habitude et de la passion même de l'avarice; et qu'avaricieux se dit plus proprement lorsqu'il n'est question que d'un acte ou d'un trait particulier de cette passion. Le premier de ces mots a aussi meilleure grâce dans le sens substantif, c'est-à-dire pour la dénomination du sujet; et le second dans le sens adjectif, c'est-à-dire pour la qualification du sujet. Ainsi l'on dit : c'est un grand avare, c'est un avaricieux mortel.

Un homme qui ne donne jamais passe pour un avare. Celui qui manque à donner dans l'occasion, ou qui donne trop peu, s'attire l'épithète d'avaricieux. L'avare se refuse toutes choses. L'avaricieux ne se les donne qu'à demi. Le terme d'avare paraît avoir plus de force et plus d'énergie, pour exprimer la passion sordide et jalouse de posséder sans aucun dessein de faire usage. Celui d'avaricieux paraît avoir plus de rapport à l'aversion mal placée de la dépense, lorsqu'il est nécessaire de s'en faire honneur.

On n'emploie jamais qu'en mauvaise part et dans le sens littéral le mot d'avaricieux; mais on se sert quelquefois de celui d'avare en bonne part dans le sens figuré.

Un habile général ne paye point ses espions en homme avaricieux, et conduit ses troupes comme un homme avare du sang du soldat, qu'il craint de prodiguer.

Il est permis d'être avare du temps; mais il ne faut pas, pour le ménager, prodiguer sa santé. Ce n'est pas être libéral que de donner d'un air avaricieux. (G.)

166. Avertissement, Avis, Conseil.

Le but de l'avertissement est précisément d'instruire ou de réveiller l'attention: il se fait pour nous apprendre certaines choses, qu'on ne veut pas que nous ignorions ou que nous négligions. L'avis et le conseil ont aussi pour but l'instruction, mais avec un rapport marqué à une conséquence de conduite, se donnant dans la vue de faire agir ou parler: avec cette différence entre eux, que l'avis ne renferme dans sa signification aucune idée accessoire de supériorité, soit d'état, soit de génie; au lieu que le conseil emporte avec lui du moins une de ces idées de supériorité, et quelquefois toutes les deux ensemble. Les auteurs mettent des avertissements à la tête de leurs livres. Les espions donnent avis de ce qui se passe dans le lieu où ils sont.

Madame, j'ai beaucoup de grâces à vous rendre;

Un tel avis m'oblige et, loin de le mal prendre,
J'en prétends reconnaître à l'instant la faveur

Par un avis aussi qui touche votre honneur. (MOL.)

Les pères et les mères ont soin de donner des conseils à leurs enfants avant que de les produire dans le monde.

L'homme d'Église écoute l'avertissement de la cloche, pour savoir quand il

doit se rendre aux heures canoniales. Le banquier attend l'avis de son correspondant, pour payer les lettres de change tirées sur lui. Le plaideur prend conseil d'un avocat pour se défendre, ou pour agir contre sa partie.

On dit des avertissements, qu'ils sont judicieux ou inutiles; des avis, qu'ils sont vrais ou faux; des conseils, qu'ils sont bons ou mauvais.

L'avertissement étant fait pour dissiper le doute et l'obscurité, il doit être clair et précis. L'avis servant à déterminer, il doit être prompt et secret. Le conseil devant conduire, il doit être sage et sincère.

Tel manque d'avis, qui est en état d'en profiter; et tel en reçoit, qui ne saurait s'en prévaloir. Autant la vieillesse aime à donner de conseils, autant la jeunesse a d'aversion pour en prendre.

Un sot ouvre parfois un avis important. (BOIL.)

Les conseils faciles à pratiquer sont les plus utiles. (VAUVENARGUES.)
Il y a dans les meilleurs conseils de quoi déplaire. (La Bruyère.)

ya

Il faut que l'avertissement soit donné avec attention, l'avis avec diligence, et le conseil avec art et modestie, sans air de supériorité: car on ne fait point usage des avertissements placés mal à propos; l'on ne tire aucun avantage des avis qui ne viennent pas à temps; et la vanité, toujours choquée du ton de maître, empêche de faire aucune distinction entre la sagesse du conseil et l'impertinence de la manière dont il est donné, en sorte que tout n'aboutit qu'à faire mépriser le conseil, et rendre le conseiller odieux.

Une personne d'ordre ne manque jamais aux avertissements dont on a remis le soin à sa vigilance. L'amitié fait donner avis de tout ce qu'on croit être avantageux et agréable à son ami. La sagesse rend extrêmement réservé à donner conseil: il faut toujours attendre qu'on nous le demande, et quelquefois même s'en dispenser, malgré les sollicitations, parce qu'un salutaire conseil peut déplaire, et être rejeté avec de certaines façons qui exposent à la tentation de souhaiter, pour son honneur, que celui pour qui l'on s'intéressait d'abord ne réussisse pas dans ses entreprises. (G.)

On donne des conseils, mais on ne donne pas la sagesse d'en profiter. (La ROCHEFOUCAULD.)

On donne le conseil de faire une chose, on donne avis qu'on l'a faite, on avertit qu'on la fera.

L'ami donne des conseils à son ami; le supérieur des avis à son inférieur : la punition d'une faute est un avertissement de n'y plus retomber.

Ils sentent, à chaque péché qu'ils commettent, un avertissement et un désir intérieur de s'en abstenir. (PASCAL.)

On prend conseil de soi-même; on reçoit une lettre d'avis; on obéit à un avertissement de payer quelque impôt. On vous conseille de tendre un piége à quelqu'un; on vous donne avis que d'autres en ont tendu, ce qui est un avertissement de vous tenir sur vos gardes.

On dit: un conseil d'ami, un homme de bon conseil; un avis de parents, un avis au public, l'avertissement d'un ouvrage.

L'avis et l'avertissement intéressent quelquefois celui qui les donne; le conseil intéresse toujours celui qui le reçoit. (D'AL.)

167. Avertir, Informer, Donner avis.

Avertir vient du latin advertere, diriger l'attention sur, etc., et semble donc indiquer quelque chose d'essentiel pour la personne à qui l'on donne l'avertissement. Informer vient d'informare, donner la forme; il renferme l'idée du complément ajouté aux connaissances de la personne que l'on informe, sur l'objet dont on veut lui parler. Donner avis, exprime ce qui supplée à la vue, à l'intention effective; aussi suppose-t-il souvent l'éloignement de la personne à qui l'on donne avis.

César, averti par mille circonstances extraordinaires du complot que l'on

avait tramé contre ses jours, informé même des détails de la conjuration, se perdit en refusant d'ajouter foi à l'avis fidèle que lui en avait donné un des conjurés.

On écoute un avertissement; on prend des informations; on ne croit pas à un faux avis.

Un objet inanimé peut nous avertir; les personnes seules peuvent nous informer et nous donner avis. Thomas a dit:

Quand l'airain frémissant autour de vos demeures,
Mortels, vous avertit de la fuite des heures, etc.

Celui qui avertit a réfléchi avant de le faire; celui qui informe ou qui donne avis ne fait que rapporter ce qu'il a vu ou entendu.

On dit un sage avertissement, de bonnes informations, un avis exact. (F. G.)

168. Aveu, Confession.

L'aveu suppose l'interrogation. La confession tient un peu de l'accusation. On avoue ce qu'on a eu envie de cacher. On confesse ce qu'on a eu tort de faire. La question fait avouer le crime; le repentir le fait confesser.

On avoue la faute qu'on a faite. On confesse le péché dans lequel on est tombé.

Il vaut mieux faire un aveu sincère que de s'excuser de mauvaise grâce. Il ne faut pas faire sa confession à toutes sortes de gens.

Un aveu qu'on ne demande pas a quelque chose de noble ou de sot, selon les circonstances et l'effet qu'il doit produire. Une confession qui n'est pas accompagnée de repentir n'est qu'une indiscrétion insultante. C'est manquer d'esprit d'avouer sa faute sans être assuré que

que

l'aveu

en sera la satisfaction; et c'est une sottise d'en faire la confession sans espérance de pardon: pourquoi se déclarer coupable à des gens qui ne respirent que la vengeance? (G.)

169. A l'aveugle, Aveuglément.

Cette forme de phrase proverbiale, à l'aveugle, composée d'une préposition et d'un adjectif féminin pris substantivement, est si commune dans notre' langue, qu'il est convenable d'en faire sentir toute la force. On dit faire une chose à l'aveugle, agir à l'étourdie, parler à la légère, des ornements à la grecque, une robe à la polonaise, etc. Dans ces locutions elliptiques, il y a un substantif sous-entendu, et c'est celui de manière. Un discours tenu à la légère, est un discours tenu d'une manière légère, à la manière des gens légers. « Ces deux expressions, également figurées, dit M. Beauzée, marquent également une conduite qui n'est pas dirigée par les lumières naturelles : mais la première indique un défaut d'intelligence, et la seconde un abandon des lumières de la raison.

« Qui agit à l'aveugle n'est pas éclairé; qui agit aveuglément ne suit pas la lumière naturelle : le premier ne voit pas, le second ne veut pas voir.

«La plupart des jeunes gens qui entrent dans le monde choisissent leurs amis à l'aveugle: si le hasard les sert mal, c'est un premier pas vers leur perte, parce que, livrés aveuglément à toutes leurs impulsions, ils en viennent insensiblement jusqu'à se faire un mérite et un point d'honneur de sacrifier l'honneur même plutôt que de les abandonner.

Soumettre aveuglément la raison aux décisions de la foi, ce n'est pas croire à l'aveugle, puisque c'est la raison même qui nous éclaire sur les motifs de crédibilité. »

Je crois, en effet, que celui qui agit à l'aveugle ne voit pas, et que celui qui agit aveuglément ne veut pas voir, mais peut-être aussi qu'il ne veut pas voir parce qu'il est aveuglé par quelque cause.

Celui qui fait une chose sans y regarder la fait à l'aveugle, mais faute

d'attention seulement. Celui qui n'entend pas les affaires ne peut se conduire par ses lumières propres ; mais il doit suivre la lumière naturelle qui l'avertit de ne pas se livrer aveuglément au premier conseiller. Quelqu'un qui, pressé de s'en aller, reçoit, sans examen, la marchandise qu'on lui présente, la prend à l'aveugle: quelqu'un qui, libre de choisir entre deux partis, aime mieux qu'on le détermine que de délibérer lui-même, se laisse aveuglément mener. Il ne faut pas croire à l'aveugle tout ce que vous dit un docteur, il faut croire aveuglément tout ce que l'Eglise enseigne.

Les personnes irrésolues finissent par agir à l'aveugle. Les petits esprits forts finissent par tout croire aveuglément.

La différence que nous venons d'établir entre aveuglément et à l'aveugle, les lecteurs l'appliqueront aisément aux adverbes et aux phrases adverbiales synonymes de la même forme. Ainsi vous dites que l'un agit étourdiment, et l'autre à l'étourdie. Le premier agit en étourdi, comme un étourdi qu'il est; le second agit à la manière des étourdis, comme s'il était un étourdi. L'adverbe tombe sur le fond de l'action, la phrase adverbiale sur la forme. Voyez Légèrement et à la légère, etc. (R.)

170. Avisé, Prudent, Circonspect.

Avisé, qui songe à tout; prudent, qui ne néglige rien; circonspect, qui ne hasarde rien.

L'homme avisé voit tous les expédients auxquels on peut avoir recours; l'homme prudent s'attache à tous les moyens de les faire réussir; l'homme circonspect s'applique surtout à éviter tous les inconvénients qui pourraient les faire manquer.

Être avisé ne désigne qu'une qualité de l'esprit; la prudence est une qualité du caractère; la circonspection poussée trop loin devient un défaut. On est avisé avec un esprit vif et pénétrant; prudent avec un esprit juste et un caractère sage circonspect avec un esprit mesuré et un caractère réservé, mais quelquefois défiant et timide. L'homme avisé fait usage surtout de l'imagination; l'homme prudent, de la réflexion; l'homme circonspect, de l'attention. L'homme avisé est utile en affaires; l'homme prudent est nécessaire; l'homme circonspect est quelquefois nuisible. Le premier voit tout ce qu'il faut faire; le second fait tout ce qu'il doit; le troisième souvent moins qu'il ne peut. Il est bon d'être circonspect dans les affaires délicates, prudent dans les entreprises dangereuses, avisé dans les situations embarrassantes.

Etre avisé ne s'applique qu'aux petites vues, et ne peut s'employer que dans les petites affaires. La circonspection dans les plus grandes affaires ne s'attache qu'aux petites précautions. La prudence est bonne en petit comme en grand, met chaque chose à sa place, et s'applique aux grandes choses sans dédaigner ni exagérer les petites. Un esprit raisonnablement circonspect entre dans la composition de l'homme prudent; un esprit avisé peut servir à l'éclairer. Un grand homme, dans les entreprises en apparence les plus hasardeuses, est toujours prudent, parce que ce qui parait hasard aux autres ne l'est pas pour lui qui a tout vu et tout prévu. On ne peut dire qu'il soit avisé, et jamais il n'est circonspect. (F. G.)

171. Avoir, Posséder.

Il n'est pas nécessaire de pouvoir disposer d'une chose, ni qu'elle soit actuellement entre nos mains, pour l'avoir; il suffit qu'elle nous appartienne; mais pour la posséder, il faut qu'elle soit en nos mains, et que nous ayons la liberté actuelle d'en disposer ou d'en jouir. Ainsi nous avons des revenus, quoique non payés, ou même saisis par des créanciers, et nous possédons des trésors.

On n'est pas toujours le maître de ce qu'on a; on l'est de ce qu'on possède.

On a les bonnes grâces des personnes à qui l'on plaît. On possède l'esprit de celles que l'on gouverne absolument.

Il n'est pas possible, quelque modéré qu'on soit, de n'avoir pas quelquefois en sa vie des emportements; mais quand on est sage, on sait se posséder dans sa colère.

Un mari a de cruelles inquiétudes, lorsque le démon de la jalousie le possède. Un avare peut avoir des richesses dans ses coffres, mais il n'en est pas le maître; ce sont elles qui possèdent et son cœur et son esprit.

Nous n'avons souvent les choses qu'à demi; nous partageons avec d'autres. Nous ne les possédons que lorsqu'elles sont entièrement à nous, et que nous en sommes les seuls maîtres. Un amant a le cœur d'une dame, lorsqu'il en est aimé. Il le possède, lorsqu'elle n'aime que lui. En fait de science et de talent, il suffit, pour les avoir, d'y être médiocrement habile; pour les posséder, il y faut exceller.

Ceux qui ont la connaissance des arts en savent et en suivent les règles; mais ceux qui les possèdent font et donnent des règles à suivre. (G.)

172. Axiome, Maxime, Sentence, Apophthegme, Aphorisme. L'axiome est une proposition, une vérité capitale, principale, si évidente par elle-même, qu'elle captive par sa propre force et avec une autorité irréfragable l'entendement bien disposé: c'est le flambeau de la science.

La maxime est une proposition, une instruction importante, majeure, pour éclairer et guider les hommes dans la carrière de la vie : c'est une grande règle de conduite.

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La sentence est une proposition, un enseignement court et frappant, qui, déduit de l'observation, ou puisé dans le sens intime ou la conscience, nous apprend ce qui se passe dans la vie. La maxime est plus pratique; la sentence, plus abstraite. La sentence juge; la maxime ordonne ou conseille. D'une sentence vraie on déduit une maxime utile.

L'apophthegme est un dit mémorable, un trait remarquable, qui, parti d'une âme ou d'une tête énergique, fait sur nous une vive impression: c'est un éclat d'esprit, de raison, de sentiment.

L'aphorisme est une notion, un enseignement doctrinal, qui expose ou résume en peu de mots, en préceptes, en abrégé, ce qu'il s'agit d'apprendre : c'est la substance d'une doctrine.

L'axiome doit être clair, géométrique, d'une éternelle vérité. La maxime doit être certaine, lumineuse et d'une grande utilité. La sentence doit être concise et d'une tournure proverbiale. L'apophthegme doit être saillant, piquant, et dans l'à-propos dramatique. L'aphorisme doit être lucide, dogmatique, appuyé d'observations et de preuves développées.

L'axiome se présente comme de lui-même à celui qui cherche la science, et le subjugue. La maxime résulte de l'observation, des effets constants et des rapports généraux que l'on ramène à un principe. La sentence semble se former d'une foule de vérités qui se confondent, se fondent en une seule exprimée par un trait énergique. L'apophthegme est comme inspiré par l'occasion, qui, par le choc, fait jaillir l'étincelle. L'aphorisme naît sous la plume du savant méthodique, qui, après avoir bien considéré, nettement conçu, heureusement démêlé, réduit ses recherches et ses découvertes à des divisions et à certains chefs ou points capitaux.

Nous rappellerons pour exemples quelque axiomes. Un corps est impénétrable à un autre corps; ou bien deux corps ne peuvent occuper à la fois le même espace... deux choses égales à une troisième sont égales entre elles...

Neus citerons également quelques maximes. Considérez la fin, envisagez le but..... Connais-toi toi-même : inscription du temple de Delphics... Voulezvous, disent les Persans, faire croître le mérite? Semez les récompenses.

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