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mais elle ne place personne dans l'abjection: l'homme s'y jette de son choix, ou y est plongé par la dureté d'autrui.-La piété diminue les amertumes de l'état d'abjection. La stupidité empêche de sentir tous les désagréments de la bassesse de l'état. Il faut tâcher de se retirer de la bassesse; on n'en vient pas à bout sans travail et sans bonheur. Il faut prendre garde de tomber dans l'abjection; le bon usage de sa fortune et de son crédit en est le plus sûr moyen. -Les secrets ressorts de l'amour-propre jouent souvent dans une abjection volontaire, et y font quelquefois trouver de la satisfaction: mais il n'y a que la vertu la plus pure qui puisse faire goûter à une âme noble la bassesse de l'état. (G.)

2. Abaisser, Rabaisser, Ravaler, Avilir, Humilier, Rabattre.

Abaisser vient de bas, opposé à haut, tant au physique qu'au moral; il signifie, à la lettre, pousser en bas, mettre plus bas, au-dessous; diminuer la hauteur d'une chose, et, par extension, sa valeur, son prix, sa dignité, son mérite, l'opinion qu'on en a. Porsenna, protecteur de Tarquin, abaisse sa hauteur devant le sénat de Rome, en demandant, par un ambassadeur, à traiter avec lui, dit Voltaire.

Rabaisser, c'est abaisser encore davantage, de plus en plus, avec effort on redoublement d'action. L'envie, dit Boileau, ne pouvant s'élever jusqu'au mérite, pour s'égaler à lui, tâche à le rabaisser.

Ravaler est formé de val, vallée : aval est le contraire d'amont.

Avilir signifie jeter dans une abjection honteuse, rendre vil et méprisable, couvrir de honte, d'opprobre, d'infamie.

Humilier vient du latin humus, terre: il signifie abaisser jusqu'à terre, prosterner, jeter dans un état de confusion.

Le sens propre de ces mots est assez déterminé par les explications précedentes nous ne les considérons ici qu'au figuré.

:

Abaisser exprime une action modérée : il convient surtout pour désigner un médiocre abaissement. Il faut bien que vous vous abaissiez jusqu'à ceux qui ne peuvent s'élever jusqu'à vous.

Il est bon qu'un mari nous cache quelque chose;

Qu'il soit quelquefois libre, et ne s'abaisse pas

A nous rendre toujours compte de tous ses pas. (CORN., Polyeucte.) L'action de rabaisser est plus forte, et son effet plus grand : on rabaisse ce qui est beaucoup trop élevé, ou on rabaisse ce qu'on abaisse trop. En parlant de l'orgueil, de l'arrogance, de la présomption, des vices qui prétendent à une hauteur démesurée, on dit par cette raison rabaisser plutôt qu'abaisser.

Dans la conversation rabattre est plus vif que rabaisser; c'est rabaisser en frappant, en battant tout d'un coup. On rabat la fierté, le ton, la hauteur de quelqu'un. On dit rabattre de ses prétentions, en rabattre.

L'action de ravaler produit, par un abaissement profond, un changement ou plutôt une opposition de situation, d'état, de condition; elle met, entre la hauteur d'où l'objet déchoit et la sorte de bassesse dans laquelle il tombe, une grande distance ce qui suppose nécessairement ou une grande élévation ou une grande chute.

Qu'à des pensers si bas mon âme se ravale ! (CORN.)
Quoi? Tu ne vois donc pas jusqu'où l'on me ravale,
Albine? (RAC.)

L'action d'avilir répand le mépris, attire la honte, imprime la flétrissure; elle fait plus que ravaler et humilier. Le grand homme peut être humilié, ravalé, mais non pas avili: sa gloire le suit dans l'humiliation, sa grandeur le relève quand on le ravale, sa vertu le défend de l'avilissement. De grands motifs nous engagent à nous humilier, à nous ravaler même, aucun à nous avilir. On est abaissé par la détraction, rabaissé par le mépris, ravalé par la dé

ABA

gradation, avili par l'opprobre, rabattu par un trait qui ne permet pas de riposte, humilié par un échec ou par un reproche.

On s'abaisse par modestie, on se rabaisse par simplicité, on se ravale par faiblesse, on s'avilit par lâcheté, on s'humilie par esprit de pénitence (R. et V. F.).

3. Abandon, Abandonnement, Abdication, Renonciation,

Démission, Désistement.

L'abandon, l'abandonnement, l'abdication et la renonciation se font, le désistement se donne, la démission se fait et se donne. - Aujourd'hui on donne, remet ou dépose sa démission, on ne la fait plus.

-

On fait un abandonnement de ses biens ou on fait abandon de ses biens, une abdication de sa dignité et de son pouvoir, une renonciation à ses droits et à ses prétentions, une démission de ses charges, emplois et bénéfices; et l'on donne un désistement de ses poursuites.

Il vaut mieux faire un abandonnement d'une partie de ses revenus à ses créanciers, que de laisser saisir et vendre le fonds de son bien. Quelques politiques regardent l'abdication d'une couronne comme un effet du caprice ou de la faiblesse de l'esprit, plutôt que comme une grandeur d'âme. Les lois et la justice maintiennent les renonciations des particuliers; mais celles des princes n'ont lieu qu'autant que leur situation et leurs intérêts les empêchent d'en appeler à la force des armes. L'amour du repos n'est pas toujours le motif des démissions, le mécontentement ou le soin de sa famille en est souvent la cause. Certains plaideurs de profession ne se mêlent des procès et n'y interviennent que pour faire acheter leur désistement.

Il ne faut abandonner que ce qu'on ne saurait retenir, abdiquer que lorsqu'on n'est plus en état de gouverner, renoncer que pour avoir quelque chose de meilleur, se démettre que quand il n'est plus permis de remplir ses devoirs avec honneur, et se désister que lorsque ses poursuites sont injustes ou inutiles, ou plus fatigantes qu'avantageuses. (G.)

L'abdication ne s'applique qu'à des postes considérables, à la souveraineté, aux grandeurs; elle est volontaire ou du moins supposée telle. La démission s'applique plutôt aux places inférieures ou moyennes : elle peut être forcée. L'autorité supérieure la reçoit, l'accepte, la refuse; quelquefois elle la demande, l'exige.

4. Abandonner, Délaisser.

Abandonner se dit des choses et des personnes; délaisser ne se dit que des personnes.

Nous abandonnons les choses dont nous n'avons pas soin; nous délaissons les malheureux à qui nous ne donnons aucun secours.

On se sert plus communément du mot d'abandonner que de celui de délaisser. Le premier est également bien employé à l'actif et au passif; le dernier a meilleure grâce au participe qu'à ses autres modes, et il a par lui seul une énergie d'universalité qu'on ne donne au premier qu'en y joignant quelque terme qui la marque précisément : ainsi l'on dit : C'est un pauvre délaissé; il est généralement abandonné de tout le monde.

On est abandonné de ceux qui doivent être dans nos intérêts, des choses qui nous appartiennent, et sur le concours desquelles nous comptions:

Ne m'abandonnez pas dans l'état où je suis. (RAC.)

Quand Phèdre dit: La force m'abandonne; elle semble se plaindre d'une trahison.

Voilà pourquoi l'on dit s'abandonner soi-même.

On est délaissé de tous ceux qui peuvent nous secourir, sans qu'il y ait obligation.

O Dieux! dans ce péril m'auriez-vous délaissée!

Souvent nos parents nous abandonnent plutôt que nos amis; Dieu permet quelquefois que les hommes nous délaissent, pour nous obligerà avoir recours à lui. Quand on a été abandonné dans l'infortune, on ne connaît plus d'amis dans le bonheur; on ne compte que sur sa propre conduite, et l'on ne congratule que soi-même de tous les services que l'on reçoit alors de la part des hommes. Une personne qui se voit délaissée dans sa misère, ne regarde la charité que comme un paradoxe qui occupe inutilement une quantité de vains discoureurs. Il a été heureux d'être abandonnées de leurs procertaines personnes pour ches; c'est par-là qu'a commencé la chaîne des événements qui les ont conduits à la fortune. Il y a des gens dont le mérite et le courage ont besoin d'être soutenus, et d'autres qui ne les font valoir que lorsqu'ils se voient délaissés. (G.) Quand on se voit délaissé, il n'est pas rare qu'on s'abandonne au désespoir. 5. Abattre, Démolir, Renverser, Ruiner, Détruire, Mettre ou jeter à bas.

L'idée propre d'abattre est celle de jeter à bas ; on abat ce qui est élevé, haut: un arbre, une maison, des fruits, des moissons.

Du plus puissant des Dieux nous voyons la statue

Par une main impie à leurs pieds abattue. (CORN.)

J'abattrai d'un seul coup sa tête et son orgueil. (ID.)

Celle de renverser est de coucher par terre ce qui était sur pied. On renverse ce qui peut changer de sens ou de direction. Renverser les autels, les bataillons ennemis. Il s'y ajoute une idée de désordre et de confusion.

Le Seigneur a détruit la reine des cités;

Temple, renverse-toi. (RAC.)

Démolir, c'est rompre la liaison d'une masse construite (moles, lat.); on ne démolit que ce qui est bâti. D'une maison démolie il reste des matériaux qui s'appellent démolitions.

Ruiner, c'est faire tomber en morceaux; on ruine ce qui se divise et se dégrade. A l'actif avec un nom de personne pour sujet, il signifie le plus souvent appauvrir.

Détruire, c'est dissiper entièrement l'ordre et jusqu'à l'apparence des choses; détruire un palais, une ville, un raisonnement.

Tous ses projets semblaient l'un l'autre se détruire. (Rac.)

Racine, en écrivant : L'impie Achab détruit.... n'a pas voulu dire seule– ment, par un terme poétique, qu'Achab avait péri, mais encore que l'édifice de sa puissance, soutenu par sa personne, avait péri et disparu entièrement avec sa personne même.

Mettre à bas, jeter à bas ont été employés par Racine et par Corneille dans le sens d'abattre. La simplicité même de l'expression lui donne plus de force et d'étendue. Cependant dans jeter à bas il y a une idée de violence et d'effort; tandis que mettre à bas est l'œuvre d'une puissance maîtresse d'ellemême et tranquille dans sa force.

Tant qu'on ne s'est choqué qu'en de légers combats
Trop faibles pour jeter un des partis à bas. (CORN.)
Il le veut élever, il le peut mettre à bas. (Id.)

Il met quand il le veut ses ennemis à bas. (R▲c.)

Les Romains n'ont pu jeter à bas la puissance carthaginoise qu'en réunissant et roidissant contre elle toutes leurs forces. Pour mettre à bas qui lui résiste, Dieu n'a qu'à vouloir. (V. F.)

6. S'Abâtardir, Dégénérer.

S'abátardir, c'est perdre ou laisser affaiblir en soi des qualités dues à la pureté du sang, à la noblesse de la naissance.

Tout ce qui endort ou engourdit: l'esclavage, l'oisiveté, la solitude, semble concourir à l'abátardissement.

Dégénérer, c'est recevoir de nouveaux attributs, le plus souvent inférieurs ou pires.

Chez les esclaves, le courage tantôt s'abatardit, tantôt dégénère en témérité et en cruauté.

S'abátardir rappelle toujours l'idée de la grandeur première effacée ou perdue, dégénérer plutôt l'état où l'on tombe. Aussi dit-on, en rappelant le point de départ, dégénérer de ses ancêtres, d'une naissance auguste.

S'abatardir ne s'applique qu'aux hommes, aux animaux, aux plantes, à ce qui nait et tient à une race, et, par extension, à celles de nos qualités que nous recevons avec la vie. Mais on dit que tout dégénère. Dégénérer signifie même quelquefois devenir inférieur à soi-même. (V. F.)

7. Abdiquer, se Démettre.

C'est en général quitter un emploi, une charge. Abdiquer ne se dit guère quedes postes considérables, et suppose de plus un abandon volontaire; au lieu que se démettre peut être forcé, et peut s'appliquer plus aux petites places qu'aux grandes.

Christine, reine de Suède, abdiqua la couronne. Édouard II, roi d'Angleterre, fut forcé à se démettre de la royauté. Philippe V, roi d'Espagne, s'en démit volontairement en faveur du prince Louis, son fils. (B.)

8. Abhorrer, Détester.

Ces deux mots ne sont guère d'usage qu'au présent, et marquent également des sentiments d'aversion, dont l'un est l'effet du goût naturel ou du penchant du cœur, et l'autre, l'effet de la raison et du jugement.

On abhorre ce qu'on ne peut souffrir, et tout ce qui est l'objet de l'antipathie. On déteste ce qu'on désapprouve et ce que l'on condamne.

Le malade abhorre les remèdes. Le malheureux déteste le jour de sa nais

sance.

Quelquefois on abhorre ce qu'il serait avantageux d'aimer; et l'on déteste ce qu'on estimerait, si on le connaissait mieux.

Une âme bien placée abhorre tout ce qui est bassesse et làcheté. Une personne vertueuse déteste tout ce qui est crime et injustice. (G.)

9. Aboi, Aboiement, Jappement.

Cri du chien. Aboi se dit particulièrement en parlant de la qualité naturelle du cri du chien; un chien qui a l'aboi rude, aigre, perçant; un aboi effrayant. Aboiement se dit plutôt des cris mêmes; de longs aboiements, des aboiements continuels. On dit : faites cesser les aboiements de ce chien, et non pas faites cesser son aboi ou ses abois. (Laveaux).

Jappement, cri du petit chien; un gros chien exprime quelquefois sa joie par des jappements.

Aboi a meilleure grâce en poésie qu'aboiement:

Leurs cris, l'aboi des chiens, les cors mêlés de voix,

Annoncent l'épouvante aux hôtes de ces bois. (LA FONTAINE.)
Les chiens qui dans les airs poussent de vains abois. (CORN.)

Le chien sent de loin les étrangers et, pour peu qu'ils s'arrêtent ou tentent de franchir les barrières, il s'élance, s'oppose, et, par des aboiements réitérés, ses efforts et ses cris de colère, il donne l'alarme, avertit et combat. BUFFON. (V. F.)

10. Abolir, Abroger.

Abolir se dit plutôt à l'égard des coutumes, et abroger, à l'égard des lois. Le non-usage suffit pour l'abolition; mais il faut un acte positif pour l'abrogation.

Le changement de goût, aidé de la politique, a aboli en France les joûtes, les tournois et les autres divertissements brillants. De grandes raisons d'intérêt, et peut-être même de bonne discipline, ont été cause que la pragmatique-sanction a été abrogée par le concordat.

Les nouvelles pratiques font que les anciennes s'abolissent. La puissance despotique abroge souvent ce que l'équité avait établi.

On voit l'intérêt particulier travailler avec ardeur à abolir la mémoire de certains faits honteux; mais le temps seul vient à bout de tout abolir, et la gloire et le déshonneur. Le peuple romain a quelquefois abrogé, par pure haine personnelle, ce que ses magistrats avaient ordonné de bon et d'avantageux à la république. L'abolition d'une religion coûte toujours du sang, et la victoire peut n'être pas attachée, en cette occasion, à celui qui le répand, le persécuté y triomphant quelquefois du persécuteur : c'est ainsi que le christianisme a triomphé du paganisme par le martyre des premiers fidèles. L'abrogation d'une loi fondamentale est souvent la cause de la ruine du prince ou du peuple, et quelquefois de tous les deux. (G.)

11. Abominable, Détestable, Exécrable.

L'idée primitive et positive de ces mots est une qualification du mauvais au suprême degré. Exprimant par eux-mêmes ce qu'il y a de plus fort, ils excluent tous les modificatifs dont on peut faire accompagner la plupart des autres épithètes.

La chose abominable excite l'aversion: la chose détestable, la haine, le soulèvement: la chose execrable, l'indignation, l'horreur.

Ces sentiments s'expriment, contre la chose abominable, par des cris d'alarme, des conjurations; contre la chose detestable, par l'animadversion, la réprobation; contre la chose exécrable, par des imprécations, des anathèmes.

Ces trois mots servent, dans un sens moins strict, à marquer simplement les divers degrés d'excès d'une chose très-mauvaise; de façon qu'abominable dit plus que detestable, exicrable plus qu'abominable. Cette gradation est observée dans l'exemple suivant :

<< Denis le Tyran, informé qu'une femme très-âgée priait les dieux chaque jour de conserver la vie à son prince, et fort étonné qu'un de ses sujets daignât s'intéresser à son salut, interrogea cette femme sur les motifs de sa bienveillance. « Dans mon enfance, dit-elle, j'ai vu régner un prince détestable; je souhaitais sa mort; il périt: mais un tyran abominable, pire que lui, lui succéda; je fis contre celui-ci les mêmes vœux; ils furent remplis : mais nous eûmes un tyran pire que lui encore; ce monstre execrable, c'est toi. S'il est possible qu'il y en ait un plus méchant, je craindrais qu'il ne te remplaçât, et je demande au ciel de ne pas te survivre. >>

L'exagération emploie assez indifféremment ces termes pour désigner une chose très-mauvaise, mais en enchérissant sur une de ses qualifications par l'autre, suivant la gradation précédente. Ainsi détestable sera comme le superlatif de mauvais, abominable celui de détestable, exécrable celui d'abominable.

En matière de goût, d'art, de littérature, on se sert encore de ces termes, mais souvent hors de sens, et par une exagération ridicule. Ce langage outré et boursouflé semble tenir à la frivolité de nos mœurs, qui se fait de grandes affaires des petites choses. (R.)

Méchant et mauvais sont quelquefois synonymes; ces trois adjectifs, abominable, exécrable, détestable, servent à qualifier le mauvais et le méchant au suprême degré. Toutefois délestable s'applique davantage à ce qui est mauvais sans intention de méchanceté, tandis que les deux autres suivent plutôt le sens de méchant. Dire d'un roi qu'il est détestable, ce n'est pas lui refuser les qualités qui conviennent et suffisent à un homme privé; un tyran execrable ne sera jamais un homme bon. On dira d'un projet qu'il est détestable, s'il doit

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