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joint celle de l'état; aussi s'emploie-t-il dans le sens moral; une foule de sentiments dans le sens physique, il se prend hyperboliquement pour multitude; l'Italie renferme une foule de monuments antiques. Concours, pris même figurément, exprime l'action, et il s'applique aussi aux choses . le concours des marchandises, le concours des lumières. Affluence, dans le sens où nous l'employons, est figuré, son sens propre désignant le mouvement et l'abondance des fluides.

Foule et multitude ne nécessitent ni l'idée de mouvement, ni celle de repos; affluence et concours emportent l'idée de mouvement. (F. G.)

50. Affranchir, Délivrer.

« On affranchit, dit l'abbé Girard, un esclave qui est à soi; on délivre un esclave qu'on tire des mains de l'ennemi. Dans le sens figuré, ajoute-t-il, on s'affranchit des servitudes du cérémonial, des craintes puériles, des préjugés populaires; on se délivre des incommodes, des curieux, des censeurs. »

Il est dit dans l'Encyclopédie qu'affranchir marque plus d'efforts que d'adresse, et délivrer plus d'adresse que d'efforts. Sur quel fondement?

Ne nous bornons pas à de simples allégations, qui n'instruisent point tant qu'elles ne sont pas justifiées.

Affranchir est, à la lettre, donner la franchise, et délivrer, rendre la liberté. On affranchit une terre d'une redevance, d'une charge, de toute servitude dont elle était grevée. On délivre un pays d'ennemis, de brigands, de tout ce qui lui est nuisible.

On affranchit d'une sujétion, d'un devoir, d'un droit, d'un tribut, d'un engagement, espèce de servitude qui nous ôte une liberté; on délivre d'un poids, d'un fardeau, d'une charge, d'un embarras, d'une entrave, d'un travail, autant de gênes qui nuisent à la liberté naturelle.

Le mot affranchir désigne un acte d'autorité, de puissance, etc.; car il faut une puissance pour briser le joug que la puissance impose. Délivrer ne demande qu'une voie de fait, un acte tel quel, sans idée accessoire, car on délivre par toutes sortes de moyens.

C'est pourquoi vous affranchissez votre esclave, il était à vous; vous étiez le maître de retenir sa liberté ou de la lui remettre, et c'est pourquoi vous délivrez l'esclave d'autrui; il a son maître, il faut l'enlever ou le racheter.

« Un esclave affranchi vivait auprès de son maître et jouissait d'une liberté avouée et régulière sous le nom d'affranchi. Un esclave délivré quittait l'endroit où il avait été esclave et évitait avec soin d'être repris. »

Le baptême nous affranchit du premier lien du péché; la grâce nous délivre de la tentation. Dans le premier cas, il y a changement de condition, et dans le second, changement de situation. (R.)

51. Affreux, Horrible, Effroyable, Épouvantable.

Ces épithètes sont du nombre de celles qui, portant la qualification jusqu'à l'excès, ne sont guère employées avec les adverbes de quantité qui forment des degrés de comparaison. Elles qualifient toutes les quatre en mal, mais en mal provenant d'une conformation laide ou d'un aspect déplaisant.

Les deux premières semblent avoir un rapport plus précis à la difformité, et les deux dernières en ont plus particulièrement à l'énormité.

Ce qui est affreux inspire le dégoût ou l'éloignement; l'on a peine à en soutenir la vue. Une chose horrible excite l'aversion; on ne peut s'empêcher de la condamner. L'effroyable est capable de faire peur; on n'ose l'approcher. L'épouvantable cause l'étonnement et quelquefois la terreur; on le fuit, et si on le regarde, c'est avec surprise.

Ces mots, souvent employés au figuré en ce qui regarde les mœurs et la

conduite, le sont aussi à l'égard des ouvrages de l'esprit dans la critique qu'on en a faite. (G.)

Ces quatre adjectifs veulent dire qui excite l'effroi, l'horreur ou l'épouvante, mais avec cette différence que les deux premiers indiquent en même temps que la chose est vraiment faite pour l'exciter. Les deux derniers montrent seulement l'effet; les deux premiers contiennent aussi la cause. Une chose est affreuse, horrible absolument; rien n'est de soi effroyable ou épouvantable. Des cris affreux, par exemple, sont ceux d'un blessé, d'un homme en danger; des cris épouvantables peuvent être poussés seulement pour jeter l'épouvante. Nous laissent pour adieux des cris épouvantables. (Corn.)

Sa mort si précipitée et si effroyable pour nous. (Bossuet.)

Enfin la chose affreuse est effroyable, la chose effroyable peut n'être point affreuse. (V. F.)

52. Affront, Insulte, Outrage, Avanie.

L'affront est un trait de reproche ou de mépris lancé en face de témoins; il pique et mortifie ceux qui sont sensibles à l'honneur. L'insulte est une attaque faite avec insolence; on la repousse ordinairement avec vivacité. L'outrage ajoute à l'insulte un excès de violence qui irrite. L'avanie est un traitement humiliant, qui exposc au mépris et à la moquerie du public.

Ce n'est pas réparer son honneur que de plaider pour un affront reçu. Les honnêtes gens ne font jamais d'insulte à personne. Il est difficile de décider en quelle occasion l'outrage est le plus grand, ou de ravir aux dames par violence ce qu'elles refusent, ou de rejeter avec dédain ce qu'elles offrent. Quand on est en butte au peuple, il faut s'attendre aux avanies, ou ne se point montrer. (G.)

Il y a, si j'ose m'exprimer ainsi, des substantifs actifs et des substantifs passifs, c'est-à-dire qui présentent à l'esprit l'idée d'une action jointe, les uns à son sujet, les autres à son objet. J'en prendrais pour exemple les trois mots dont il s'agit. Affront est un substantif passif, insulte et outrage sont actits. C'est là surtout la différence qui les distingue.

Affront (ad frons), qui fait venir la rougeur de la honte, fait plutôt penser à celui qui le reçoit qu'à celui qui le fait. Affront n'est ni racine ni dérivé d'un verbe qui soit employé dans le même sens, tandis qu'on dit insulter, outrager. Aussi semble-t-il que l'affront entraîne la honte de celui qui le reçoit sans le venger :

Et ton jaloux orgueil, par cet affront insigne,

Malgré le choix du roi, m'en a su rendre indigne. (CORN. Cid.) Une insulte peut être sans honte, sans affront pour celui qui la reçoit; le tort est plutôt pour celui qui la fait. Souvent même, en insultant grossièrement les gens, c'est sur nous que nous faisons retomber l'affront. L'insulte, en effet, est une attaque violente, contraire à toute politesse et à toute bienséance qu'on n'est jamais obligé de faire à personne. Souvent il vaut mieux faire affront à un malhonnête homme que de laisser croire qu'on est son complice. On peut se faire affront à soi-même, la mémoire nous fait affront quand elle nous manque.

L'outrage (ultra agere) dépasse toutes bornes, est excessif. Autrefois on disait outrage pour tort grave porté non-seulement à l'honneur. Les choses même, le temps outrageaient.

Pour réparer du temps l'irréparable outrage. (RACINE. Athalie.) Il ne faut jamais se mettre dans le cas d'essuyer un affront; il faut répondre froidement à l'insulte; il est d'un chrétien de supporter patiemment les outrages. (V. F.)

53. Agissant, Actif.

Agissant qui agit, actif qui a de l'activité.-On peut être naturellement actif

et n'être point agissant, parce qu'on ne sait à quoi employer son activité; quand on est agissant, on met son activité en action. Pour être agissant, il faut être actif.

La foi qui n'agit point, est-ce une foi sincère? (RACINE.)

Ce n'est pas assez que la foi soit active, il la faut agissante, c'est-à-dire se manifestant par des œuvres.

L'homme agissant montre son activité au dehors et quelquefois il gêne par une trop grande démonstration d'action; agissant est alors presque synonyme de remuant. (V. F.)

54. Agitation, Tourment.

Tourment, dans un sens moral, est un malaise dont la cause est déterminée. Agitation est une inquiétude de l'âme qui veut être mieux et qui n'est jamais bien. La vie des gens du monde est agitée par la recherche des plaisirs; celle de l'homme envieux est tourmentée des plaisirs d'autrui : il n'y a pas plus de remède à l'un qu'à l'autre.

On n'est qu'agité par la crainte ou l'espérance quand l'objet n'en est pas fort important: on est véritablement tourmenté s'il intéresse davantage. En général, l'incertitude est toujours près du tourment, et l'agitation est toujours loin du bonheur.

Le mot d'agitation est impropre, lorsqu'on parle d'un homme passionné : les passions ne connaissent guère que les tourments et les transports. Dire d'un amant qui attend un rendez-vous sans savoir si l'on viendra ou si l'on ne viendra pas qu'il est dans l'agitation, c'est n'avoir jamais connu le tourment d'aimer.

Les âmes faibles, près de qui tous les objets passent rapidement sans laisser de traces bien distinctes, peuvent être dans l'agitation : c'est un simple ébranlement qui ne va pas jusqu'à la secousse. Les âmes fortes sont réservées aux tourments, comme les tempéraments robustes sont faits pour les grandes maladies.

Les esprits médiocres sont agités d'idées communes qui ne leur coûtent guère que la peine de se ressouvenir. Le génie est tourmenté de sa pensée jusqu'au moment où ce qu'il produit lui paraît au niveau de ce qu'il a conçu. (ANON.)

55. Agité, Ému, Troublé.

Être ému, c'est éprouver un mouvement; être agité, c'est éprouver une succession rapide de mouvements produits en différents sens et réagissant les uns sur les autres. Être troublé, c'est être mis en désordre par un mouvement quelconque.

L'agitation est le résultat de l'émotion; le trouble est celui de l'agitation.

La mer est émue quand le vent s'élève, agitée quand la tempête bouleverse ses flots, troublée quand le mouvement des vagues a fait remonter le limon à la surface.

L'âme est émue par un sentiment isolé, comme la colère, l'attendrissement, la joie, etc.; elle est agitée par une variété de sentiments différents et quelquefois contraires, comme l'espérance mêlée de crainte; elle est troublée par le désordre que ces sentiments apportent dans ses facultés.

L'émotion est douce ou pénible, selon le sentiment qui la produit; l'agitation est toujours désagréable; le trouble, quelquefois cruel, peut quelquefois être

enchanteur.

L'émotion n'indique qu'un mouvement de l'àme; l'agitation entraîne l'idée d'incertitude, de déchirement; le trouble exprime celle de désordre.

On dira l'agitation d'Hippolyte près de déclarer sa flamme à Aricie; l'émotion d'Aricie en l'écoutant; le trouble de Phèdre à la vue d'Hippolyte,

Dans le doute mortel dont je suis agité,

Je commence à rougir de mon oisiveté.

(RACINE, Phèdre, act. I, sc. 4.)

Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue.

(RACINE, Phèdre, act. I, sc. 3.)

La raison peut être troublée; le cœur peut être ému; le corps partage quelquefois l'agitation de l'âme.

Un homme ému agit et s'exprime avec chaleur; un homme agité parle ou agit avec rapidité et sans but: un homme troublé ne sait ce qu'il dit ni ce qu'il fait.

L'émotion semble n'exprimer plus souvent que le mouvement d'une partie; l'agitation, le mouvement de plusieurs parties : le trouble ne peut être jeté que dans l'ensemble. Ainsi, quand les hommes sont émus de passions, la multitude est agitée, et c'est l'État qui est troublé. (F. G.)

56. Agrandir, Augmenter, Accroître.

On se sert d'agrandir lorsqu'il est question d'étendue; et lorsqu'il s'agit de nombre, d'élévation ou d'abondance, on se sert d'augmenter. On agrandit une ville, une cour, un jardin. On augmente le nombre des citoyens, la dépense, les revenus. Le premier regarde particulièrement la quantité vaste et spacieuse le second a plus de rapport à la quantité grosse et multipliée. Ainsi l'on dit qu'on agrandit la maison quand on lui donne plus d'étendue par la jonction de quelques bâtiments faits sur les côtés : mais on dit qu'on l'augmente d'un étage ou de plusieurs chambres.

:

En agrandissant son terrain, on augmente son bien.

Les princes s'agrandissent en reculant les bornes de leurs États, et croient par là augmenter leur puissance; mais souvent ils se trompent, car cet agrandissement ne produit qu'une augmentation de soin, et quelquefois même c'est la première cause de la décadence d'une monarchie.

Il n'est pas de plus incommode voisin que celui qui ne pense qu'à s'agrandir. Un roi qui s'occupe plus à augmenter son autorité qu'à faire un bon usage de celle que les lois lui ont donnée est un maître fâcheux pour ses sujets.

Toutes les choses de ce monde se font aux dépens les unes des autres : le riche n'agrandit ses domaines qu'en resserrant ceux du pauvre; le pouvoir n'augmente jamais que par la diminution de la liberté; et je croirais presque que la nature n'a fait des gens d'esprit qu'aux dépens des sots.

Le désir de l'agrandissement cause, dans la politique, la circulation des États; dans la police, celle des conditions; dans la morale, celle des vertus et des vices; et dans la physique, celle des corps: c'est le ressort qui fait jouer la machine universelle, et qui nous en représente toutes les parties dans une vicissitude perpétuelle, ou d'augmentation, ou de diminution. Mais il y a pour chaque chose, de quelque espèce qu'elle soit, un point marqué jusqu'où il est permis de s'agrandir; son arrivée à ce point est le signal fatal qui avertit ses adversaires de redoubler leurs efforts et d'augmenter leurs forces pour se mettre en état de profiter de ce qu'elle va perdre. (G.)

Accroître peut s'employer à peu près partout où l'on mettrait agrandir ou augmenter; c'est le mot général qui renferme en lui les deux autres. Augmenter, c'est accroître en nombre; agrandir, c'est accroître en étendue. (V. F.)

57. Agréable, Délectable.

Agréable convient non-seulement pour toutes les sensations dont l'âme est susceptible, mais encore pour ce qui peut satisfaire la volonté ou plaire à

l'esprit; au lieu que délectable ne se dit proprement que de ce qui regarde la sensation du goût ou de ce qui flatte la mollesse : ce dernier, moins étendu par l'objet, est plus énergique pour l'expression du plaisir.

L'art du philosophe consiste à se rendre tous les objets agréables, par la manière de les considérer. La bonne chère n'est délectable qu'autant que la santé fournit de l'appétit. (G.)

58. Agriculteur, Cultivateur, Colon.

Le mot agriculteur a un sens plus étendu; c'est un propriétaire qui fait valoir par lui-même et en grand. Celui de cultivateur a un sens plus borné; c'est un amateur d'agriculture qui s'adonne à un genre de culture particulier, comme les arbres, ou les fleurs, ou les plantes médicinales. On appelle colons ceux qui vont s'établir dans un pays étranger, et y fonder une colonie.

Ainsi, suivant la valeur propre des termes, l'agriculteur cultive l'agriculture; le cultivateur, la terre; le colon, le pays. Le premier professe l'art en amateur, c'est son goût et son talent; le second l'exerce en entrepreneur, c'est son travail et son état; le dernier le pratique en homme de la glèbe, c'est sa vie. L'agriculteur est attaché à l'art; le cultivateur, à un domaine, à un genre de culture; le colon, aux champs.

L'économie politique distingue les peuples agriculteurs des peuples ou chasseurs ou pasteurs.

L'économie civile distingue la classe des cultivateurs de celle des propriétaires et de la classe industrieuse. Les riches cultivateurs font seuls les riches États.

L'économie rurale distingue les simples colons des forts cultivateurs, et elle les voit à regret fourmiller, dans la décadence des empires, sur les ruines de ces derniers. Les pauvres colons, sans avances, sans lumières, sans ressources, font les États pauvres. (R.)

59. Aide, Secours, Appui.

Un aide nous sert dans les travaux; un secours, contre les dangers; un appui. dans tous les temps.

Un appui est ce que demande l'être trop faible pour la situation où il est placé; un secours, ce qu'implore l'être trop faible contre l'ennemi qui l'attaque; un aide, ce que réclame l'être trop faible, relativement à la tâche dont il est chargé. L'homme, dans sa faiblesse, a recours à la religion pour lui servir d'appui dans les traverses de la vie, de secours contre les passions, d'aide dans ses efforts pour parvenir à la vertu.

Le besoin d'un appui n'indique que la faiblesse; le besoin d'un aide y joint l'idée de l'action; le besoin d'un secours emporte celle de la crainte. Un portefaix cherche un appui lorsqu'il ne peut plus soutenir le fardeau dont il est chargé; il a besoin d'un aide pour le déposer au lieu où il doit être; mais il ne demande du secours que lorsqu'il se voit en danger de le laisser tomber.

L'appui ne sert pas toujours, mais doit toujours être prèt au besoin; l'aide ne doit pas se relâcher d'activité tant que dure l'action qui le nécessite; le secours peut n'être que momentané. Ainsi l'appui que l'on prète au faible consiste à le soutenir dès que l'occasion se présente; on aide habituellement le malheureux à qui son travail ne suffit pas pour gagner sa vie; on secourt en passant l'indigent près de mourir de faim.

L'appui n'indiquant que la faiblesse, soit au physique, soit au moral, peut s'appliquer aux choses inanimées; l'aide, nécessitant l'action, ne se dit que des êtres agissants; le secours, qui suppose le danger, s'applique à toutes choses susceptibles d'y succomber. Ainsi l'on vient à l'appui d'une assertion, à l'aide d'un homme, au secours d'un empire. (F. G.)

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