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coutuma peu à peu à s'oublier elle-même, à se croire nécessaire au bonheur d'un autre, première des illusions, et la plus douce de toutes; elle en vint même jusqu'à retourner chez celles qui lui avaient paru si ridicules.

Ce n'était plus la raillerie; ce n'était plus le cruel besoin de se moquer. Elle flattait encore leurs défauts, mais comme on console un malade qui n'a plus de ressource. Cependant leur extrême crédulité l'effraya sur elle-même. « Rassurez-moi, dit-elle un jour à sa gouvernante ; je ne vous demande point d'éloges, mais j'ai besoin d'être encouragée. Suis-je jeune? M'avezvous donné les moyens d'être aimable? Comme ces femmes, ne suis-je pas aussi dans l'aveuglement? » A ces mots, la Fée parut. « Soyez tranquille, mon Aglaé, lui dit-elle, vous êtes ce que vous étiez : je ne pouvais rien ajouter à votre beauté. Il ne m'était pas permis non plus de vous corriger, sans que vous prissiez un peu de peine. Je vous ai offert à la fois tous les défauts que le temps et le besoin de la louange vous auraient donnés : ils vous ont guérie de la vanité, de la vanité qui, chez les femmes, rend la jeunesse coupable et la vieillesse ridicule. C'est avoir gagné plus que je ne vous avais promis. Puisse votre âme douce et sensible n'avoir jamais besoin des exemples de la vertu pour se porter au bien ! Je vais vous rendre à 'vos États; mais, avant de vous quitter, je veux comme les bonnes mères, vous récompenser d'avoir travaillé à votre bonheur; que souhaitez-vous? >>

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Aglaé lui demanda de rajeunir son amie; mais la

vieille refusa cette faveur si son amant ne la partageait pas. « Je ne désire point de vivre, leur dit-elle, je ne vous demande point des années: rendez-moi seulement les jours de mon bonheur, et que je meure celui où il cessera de m'aimer. » - La Fée combla ses vœux, lui rendit sa jeunesse, son amant, ses plaisirs et ses peines.

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Elle ramena Aglaé à sa mère, qui, en la voyant, la crut parfaite, et se persuada qu'elle avait employé tout le temps qu'elle ne lui avait pas vu perdre. Cette fois, l'amour maternel ne la trompa point. Elle remit sa couronne à sa fille, qui passa le reste de sa vie à douter d'elle-même et à excuser les autres.

FIN.

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AGLAE, conte. Appendice à ADÈLE DE SÉNANGE.

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