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> implacable, un ami dangereux, une querelle mortelle. » Cette première année, vous le savez, mais il l'ignore, son » bonheur et sa vie peuvent dépendre de chaque minute, » de chaque pas. Pauvres mères! pauvres mères ! n'avancez » qu'en tremblant.

» Il part pour l'armée !.... Douleur inexprimable ! inquié»tude sans repos, sans relâche! inquiétude qui s'attache » au cœur et le déchire!.... Cependant si, après sa pre» mière campagne, il revient du tumulte des camps, avide » de gloire, et pourtant satisfait, dans votre paisible de» meure; s'il est encore doux et facile pour vos anciens do» mestiques, soigneux et gai avec vos vieux amis; si son » regard serein, son rire encore enfant, sa tendresse atten>>tive et soumise vous font sentir qu'il se plaît près de » vous..... oh! heureuse, heureuse mère ! » Ceci s'imprimait en 1811; Bonaparte, dit-on, lut quelque chose du livre et fut mécontent'.

Il ne l'était pas du reste toujours. Une fois, au retour d'un voyage à Berlin, madame de Souza arrivait à Saint-Cloud pour voir l'impératrice Joséphine. L'Empereur était sur le perron, impatient de partir pour la chasse; les fougueux équipages, au bas des degrés, trépignaient. La vue d'une femme le contraria, dans l'idée sans doute que ce serait une cause de retard pour l'impératrice qu'il attendait. I s'avança le front assez sombre vers madame de Souza, et, la reconnaissant, il lui demanda brusquement : « Ah! vous venez de Berlin? eh bien y aime-t-on la France ? » Elle vit l'humeur au front du sphinx redoutable : Si je réponds oui, songea-t-elle, il dira, c'est une sotte; si je réponds non, il y verra de l'insolence... «‹ « Oui, sire, répondit-elle, on y aime la France..... comme les vieilles femmes aiment les jeunes. » La figure de l'Empereur s'éclaira: «Oh! c'est très-bien, c'est très-bien! » s'écria-t-il deux fois, et comme la félicitant d'être si heureusement sortie du piége. Quant à madame de Souza, récompensée par le glorieux sourire, elle aime à citer cet exemple pour preuve que l'habitude du monde et de laisser naftre ses pensées les fait tou

!

Nous ne dirons rien des autres écrits de madame de Souza, de Mademoiselle de Tournon, de la Duchesse de Guise, non qu'ils manquent aucunement de gråce et de finesse, mais parce que l'observation morale s'y complique de la question historique, laquelle se place entre nous, lecteur, et le livre, et nous en gåte l'effet. Mademoiselle de Tournon est le développement d'une touchante aventure racontée dans les Mémoires de Marguerite de Valois. L'auteur de Cinq-Mars a su seul de nos jours concilier (bien qu'imparfaitement encore) la vérité des peintures d'une époque avec l'émotion d'un sentiment romanesque. On était moins difficile du temps de la Princesse de Clèves, on l'était moins du temps même où parut Mademoiselle de Clermont: on ne saurait s'en plaindre ; si cette charmante nouvelle n'était pas faite heureusement, pourrait-elle se tenter aujourd'hui qu'on a lu dans le méchant grimoire de la princesse palatine : « Madame la duchesse avait les trois plus belles filles du monde. Celle qu'on appelle mademoiselle de Clermont est très-belle, mais je trouve sa sœur la princesse de Conti plus aimable. Madame la duchesse peut boire beaucoup sans perdre la raison; ses filles veulent l'imiter, mais sont bientôt ivres et ne se savent pas gouverner comme leur mère. » Oh! bienheureuse ignorance de l'histoire, innocence des romanciers primitifs, où es-tu?

Ceux qui ont l'honneur de connaître madame de Souza trouvent en elle toute cette convenance suprême qu'elle a si bien peinte; jamais de ces paroles inutiles et qui s'essayent au hasard, comme on le fait trop aujourd'hui; un tour d'expression net et défini, un arrangement de pensées ingénieux et simple, du trait sans prétention, des mots que

jours venir à propos : « Car, dit-elle, cette réponse s'était échappée si à part de ma volonté, et presque de mon esprit, que je fus tentée de me retourner aussitôt pour voir si personne ne me l'avait soufflée. »

malgré soi l'on emporte, quelque chose enfin de ce qu'a eu de distinctif le dix-huitième siècle depuis Fontenelle jusqu'à l'abbé Morellet, mais avec un coin de sentiment parti- ! culier aux femmes. Moraliste des replis du cœur, elle croit peu au grand progrès d'aujourd'hui; elle serait sévère sur beaucoup de nos jeunes travers bruyants, si son indulgence aimable pouvait être sévère. L'auteur d'Eugène de Rothelin goûte peu, on le conçoit, les temps d'agitation et de disputes violentes. Un ami qui l'interrogeait en 1814 sur l'état réel de la France jugée autrement que par les journaux, reçut cette réponse, que l'état de la France ressemblait à un livre ouvert par le milieu, que les ultras y lisaient de droite à gauche, au rebours, pour tâcher de remonter au commencement, que les libéraux couraient de gauche à droite se hâtant vers la fin, mais que personne ne lisait à la page où l'on était. La maréchale d'Estouteville pourrait-elle dire autrement de nos jours? — Une épigraphe | d'un style injurieux lui ayant été attribuée par mégarde dans un ouvrage assez récent, madame de Souza écrivit ce modèle de rectification où l'on reconnaît tout son caractère: « M*** a été induit en erreur, ce mot fut attribué à un » homme de lettres; mais, quoiqu'il soit mort depuis long» temps, je ne me permettrai pas de le nommer. Quant à ' » moi, je n'ai jamais écrit ni dit une sentence fort injuste » qui comprend tous les siècles, et qui est si loin de ces » convenances polies qu'une femme doit toujours respec»ter. » L'atticisme scrupuleux de madame de Souza s'effraye avant tout qu'on ait pu lui supposer une impolitesse de langage.

SAINTE-BEUVE.

- Madame de Souza est morte à Paris, le 16 avril 1836, conservant, jusqu'à son dernier moment, toute la bienséance de son esprit et l'indulgence de son sourire.

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Cet ouvrage n'a point pour objet de peindre des caractères extraordinaires: mon ambition ne s'est pas élévée jusqu'à prétendre étonner par des situations nouvelles. J'ai voulu seulement montrer, dans la vie, ce qu'on n'y regarde pas, et décrire ces mouvements ordinaires du cœur qui composent l'histoire de chaque jour. Si je réussis à faire arrêter un instant mes lecteurs sur eux-mêmes, et si, après avoir lu cet ouvrage, ils se disent: Il n'y a là rien de nouveau, ils ne sauraient me flatter davantage.

J'ai pensé que l'on pouvait se rapprocher assez de la nature et inspirer encore de l'intérêt, en se bornant à tracer ces détails fugitifs qui occupent l'espace entre les événements de la vie. Des jours, des années dont le souvenir est effacé, ont été remplis d'émotions, de sentiments, de petits intérêts, de nuances fines et délicates. Chaque moment

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a son occupation, et chaque occupation a son ressort moral. Il est même bon de rapprocher sans cesse la vertu de ces circonstances obscures et inaperçues, parce que c'est la suite de ces sentiments journaliers qui forme essentiellement le fond de la vie. Ce sont ces ressorts que j'ai tâché de démêler.

Cet essai a été commencé dans un temps qui semblait imposer à une femme, à une mère, le besoin de s'éloigner de tout ce qui était réel, de ne guère réfléchir, et même d'écarter la prévoyance; et il a été achevé dans les intervalles d'une longue maladie: mais, tel qu'il est, je le présente à l'indulgence de mes amis.

A faint shadow of uncertain light,

Such as a lamp whose life doth fade away,

Doth lend to her who walks in fear and sad affright.

Seule sur une terre étrangère avec un enfant qui a atteint l'âge où il n'est plus permis de retarder l'éducation, j'ai éprouvé une sorte de douceur à penser que ses premières études seraient le fruit de mon travail.

Mon cher enfant! si je succombe à la maladie qui me poursuit, qu'au moins mes amis excitent votre application, en vous rappelant qu'elle eût fait mon bonheur! et ils peuvent vous l'attester, eux qui savent avec quelle tendresse je vous ai aimé; eux qui si souvent ont détourné mes douleurs en me parlant de vous. Avec quelle ingénieuse bonté ils me faisaient raconter les petites joies de votre enfance,

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