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[Ajoutons, en terminant, pour résumer nos remarques complémentaires, qu'il y a deux critères de l'unité : l'un logique, qui consiste à réduire tout le discours à une seule proposition; l'autre psychologique, ou de sentiment, qui consiste à interroger sa propre impression et celle de l'auditoire sur cette double question La carrière est-elle fournie? La limite est-elle dépassée? L'âme et la vie savent, encore mieux que l'esprit, ce que c'est que l'unité du sujet.

CHAPITRE II.

INTÉRÊT DU SUJET.

On pensera peut-être que ce chapitre devait être le premier; mais ce n'est pas notre avis. Avant de chercher en quoi consiste l'intérêt d'un sujet de prédication, il fallait prouver que le discours de la chaire doit avoir un sujet.

Que la prédication ne doive traiter que des sujets intéressants, cela n'a pas besoin de preuve; mais qu'est-ce, au point de vue de la prédication, qu'un sujet intéressant? Voilà la question.

L'intérêt, mot subjectif et objectif, est, dans le second sens, la propriété qu'a un objet d'attirer vers lui notre pensée et notre âme, en sorte qu'une partie plus ou moins considérable de notre bonheur en dépende. L'étymologie (inter esse), comme à l'ordinaire, définit le mot. [Au sens subjectif, l'intérêt consiste dans une identification, plus ou moins profonde et durable, avec un objet hors de nous.]

[L'intérêt didactique se manifeste quand notre pensée ou notre raison sent une convenance entre elle et l'objet qu'on lui propose.] L'intérêt oratoire pur se manifeste dans le sentiment de l'importance que nous voyons, pour nous, à prendre telle ou telle détermination proposée. Là où il n'y en a point à prendre, l'intérêt oratoire manque.

Mais quand nous demandons qu'un sermon soit intéressant, nous disons peu de chose ou beaucoup. Veuillez remarquer (car cette observation nous rapprochera de notre but) que l'intérêt n'est pas, aux yeux des artistes, le principal objet et le triomphe de l'art; ils tendent à émouvoir les parties de notre être qu'on peut, par comparaison, appeler désintéressées; ils aspirent à une région plus haute que celles où se meuvent nos affections ordinaires. C'est bien encore de l'intérêt, mais ce n'est pas ce qu'on appelle vulgairement de ce nom.

L'artiste, en ceci, est guidé, sinon par une intention sainte, du moins par un instinct supérieur, et c'est en cela même que réside la dignité de l'art. Mais s'il s'adresse à la faculté contemplative, le prédicateur s'adresse à une faculté encore supérieure, celle que saint Paul appelle l'esprit, par laquelle nous tendons vers les choses invisibles et célestes, à ce meilleur moi dont parle encore saint Paul, qui, dans le péché même, se sent distinct, se séparé de l'autre moi et le désavoue. C'est donc un auditeur idéal que le prédicateur veut intéresser; mais il faut d'abord qu'il l'évoque, qu'il le crée, pour ainsi dire. Le poëte n'a pas eet embarras:

il trouve tout fait l'homme dont il a besoin; il n'a pas du moins la même peine à l'éveiller. L'homme s'élève volontiers vers des idées par la contemplation; mais l'homme ne s'élève pas naturellement vers les choses spirituelles ou vers Dieu. Dans son état de péché, il ne croit pas pouvoir s'élever à Dieu, sans se séparer de soi-même; en d'autres termes, Dieu n'est pas pour lui le bonheur; le bonheur est pour lui hors de Dieu. Ce n'est pas seulement une illusion de sa nature corrompue, c'est encore une révélation de sa meilleure nature, qui, lui montrant en Dieu un juge redoutable, ne lui permet pas de réunir deux idées primitivement inséparables: Dieu et le bonheur. Le christianisme a levé cette difficulté ; le christianisme, seul entre toutes les religions, ne nous sépare point de nous-mêmes; il nous montre un Dieu apaisé, et nous permet, ou plutôt nous oblige, de réunir les deux idées que nous séparions forcément. C'est en exposant cette vérité que le prédicateur s'assure cet auditeur idéal qu'il ne trouve pas tout prêt dans chacun de nous; puis, quand il l'a obtenu, il lui parle encore, il parle à cet homme de ce que cet homme aime désormais. Voilà sa tâche, voilà son but. Voilà l'intérêt de la prédication réconcilier avec Dieu (l'homme naturel est intéressé par là); prêcher la sainteté à l'homme idéal [ou spirituel] désormais trouvé.

C'est à ce titre, ou sous cette double forme, qu'un sermon est intéressant.

Tel est le principe général sur l'intérêt dans la prédication. Maintenant, est-il possible de donner des rè

gles plus particulières et plus précises que le principe? Toujours faut-il bien s'entendre sur le sens et la

por

tée du principe. Les seuls sujets propres à la chaire sont-ils ceux qui énoncent un dogme ou un devoir du christianisme? A ce compte, faudra-t-il exclure de la chaire un sujet tel que celui-ci, traité par Reinhard : Les hommes distingués sont une énigme pour la foule (1) ? Sur ce pied, comme il est évident que la Bible doit être au moins aussi chrétienne que nos sermons, qu'est-ce que je ferai de ce passage des Proverbes ( sujet traité par Irving): « Comme le fer aiguise le fer, ainsi la << vue d'un ami excite son ami? » (Proverbes, XXVII,

17.)

Pour résoudre ces questions et d'autres semblables, il faut nous mettre en possession d'un autre principe: Toutes les vérités font partie de la vérité. — Le christianisme embrasse tout: il montre la souveraineté de son principe, non en détruisant quoi que ce soit, mais en s'assimilant toutes choses. Tout devient chrétien pour le chrétien; rien n'est absolument en dehors du domaine de l'Évangile; il a sauvé tout l'homme, il a sauvé toute la vie. De là vient que, quand une fois le christianisme domine la vie, on jouit d'une grande liberté, [et un peu de servitude auparavant est l'apprentissage de cette liberté-là.] Rien n'est profane si ce n'est le péché; la vie n'est pas scindée; il n'y a pas un certain point où le christianisme s'arrête brusquement; autant vaudrait empêcher les atmosphères de

(1) « Wie ræthselhaft ausgezeichnete Menschen der grossen Menge sind. » Voyez REINHARD, Sermons pour 1809. Tome II, page 228, sur Actes XXVIII, 1-10.

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