Page images
PDF
EPUB

Finissons par relever deux erreurs : l'une, qui attend trop peu de l'homilétique, et l'autre, qui en attend trop; ou plutôt (car, sous une apparence de modération, ce sont bien des opinions absolues que nous rencontrons), les uns voient tout dans l'art, les autres n'y trouvent rien. En tout cas, nous ne pouvons discuter que l'opinion absolue. Le degré, la nuance de l'autre nous échappe. Commençons par les der

niers.

Ils nous renvoient de l'art à la nature. Et leur opinion se résume en ces deux mots : la nature est un guide suffisant, la nature est un guide plus sûr.

Ce qui frappe d'abord dans cet argument, c'est une opposition entre la nature et l'art qui est imaginaire; car, bien loin qu'il y ait opposition, la simple distinction n'est pas facile à établir. La langue est souvent obligée et les sciences morales nous en offrent des preuves en foule) de présenter comme deux choses différentes et sous deux noms distincts deux moments, deux degrés, ou deux rapports d'une même chose. C'est ainsi que, dans une autre sphère, on oppose la nature à la civilisation ou à l'art de vivre en société, comme si la civilisation n'était pas naturelle, comme si le développement spontané d'un germe était moins naturel que le germe lui-même, comme si le chêne était moins naturel que le gland! C'est avec aussi peu de raison qu'on oppose la nature à l'art; qu'est-ce, en effet, que l'art sinon la nature encore? L'art assiste au premier moment de toute création: où donc, si vous voulez exclure l'art, commencera cette exclusion? Vous verrez qu'elle

ne remontera jamais assez haut. Ce qu'on appelle la nature, ou le talent, n'est qu'un art plus facile, plus spontané, sans conscience de lui-même. Ce qu'on appelle l'art ne fait que prolonger ou perfectionner l'instinct, qui n'est lui-même, en toutes choses, qu'un raisonnement plus élémentaire et plus rapide: si l'instinct enlève les premières difficultés, enlèvera-t-il de même les secondes? C'est là la question. Et elle se présente encore sous cette autre forme : Regarder empêche-t-il de voir? Regarder n'aide-t-il pas à voir?

L'art, en effet, qu'il ne faut pas confondre avec l'artifice, n'est, en toutes choses, que la recherche sérieuse des moyens convenables au but; en sorte que, pour nier l'art, il faudrait d'abord établir que, du premier coup, on trouve tout et le meilleur possible. Jusqu'à ce qu'on l'ait établi, nous demanderons en quoi l'art peut nuire, en quoi surtout, pour ne pas abandonner les termes de l'objection, l'art est hostile à la nature. Laissant de côté quelques génies privilégiés que la Providence a réduits au premier mouvement, ou chez lesquels l'art a toute la spontanéité de l'instinct, je m'assure que, l'inspiration étant supposée (car en tout c'est la condition première), le travail de l'art est toujours dans le sens de la vérité et de la nature. J'attends qu'on me fasse voir en quoi les ouvrages où, par système, on a négligé l'art, l'emportent, quant au naturel, sur ceux où l'on a appliqué les principes et les moyens de l'art. Il y a bien plus on peut affirmer qu'en général, et dans toutes les sphères, c'est l'art qui ramène à la nature. Nous ne sommes pas naturellement si naturels

que l'on croit. La barbarie n'est point simple. La civilisation cherche, et réussit plus ou moins, à rattacher notre vie et nos mœurs aux indications de la nature, qu'elle regrave incessamment de son habile ciseau. Le triomphe du christianisme est de réintégrer la nature; car rien n'est moins selon la nature que le péché, et rien plus que le péché ne nous éloigne de la nature. En religion, en civilisation, la marche de l'humanité est dans le sens d'une restauration. Nous n'allons pas, nous revenons, parce que nous avons à revenir. Il serait bien étrange que l'œuvre de l'écrivain fît exception à cette loi universelle. En fait, cette loi le domine malgré lui; et les contempteurs de l'art, en matière d'éloquence, appliquent à leurs productions, sans s'en douter, l'art de tous à défaut du leur. Ils sont, jusqu'à un certain point, artistes malgré eux.

Il faut prendre garde aux conséquences. Exclure l'art, c'est-à-dire la réflexion, de l'une des sphères les plus sérieuses de l'activité humaine, c'est proscrire dans toutes les sphères le raisonnement, l'observation et la méthode: c'est renoncer à la perfection. Tout ce qu'on peut dire de la nécessité et de la puissance de la conversion n'empêche pas de croire qu'il y a, pour le converti, un art et une méthode de bien vivre; on en convient sans peine je cherche, après cela, pourquoi il n'y aurait pas un art et une méthode de bien dire. La conversion elle-même n'est autre chose qu'un talent, que l'art cultive et rend fécond.

Le génie, dira-t-on, ne peut-il pas en dispenser? Si la dispense existe, nous ne voyons pas que le génie

soit fort empressé de s'en prévaloir. Le génie a sa méthode à lui, mais encore est-ce une méthode; et si les pauvres sont facilement portés à la prodigalité, il n'est tel que d'être riche pour être économe. Ce grand mot de génie impose; on en voudrait faire je ne sais quoi de magique ; mais le génie n'étant que le plus heureux des instincts, le plus favorable des points de départ, ne saurait prescrire contre cette loi qui a tout fait dans le monde selon le poids, le nombre et la mesure, et qui n'a pas permis qu'en aucun genre la sagesse fût une superfluité. D'ailleurs, ayez du génie, et nous verrons; ayez une massue, mais jusque-là liez de votre mieux votre faisceau de baguettes; ayez des ailes et volez, mais en attendant apprenez à marcher.

Nous accordons seulement ceci, et bien volontiers:

c'est

que, tout comme l'instinct, en se repliant sur luimême, devient art, l'art, en s'exerçant, devient instinct. C'est seulement un instinct savant. On en suit les règles involontairement; il devient, dans ce domaine, ce qu'est l'habitude dans la vie morale : une seconde nature. Il est aussi naturel et aussi facile à ceux qui ont cultivé leur instinct de bien écrire et de bien faire, qu'à ceux qui l'ont laissé en friche d'écrire mal ou de mal faire. Ils ne peuvent plus même s'en empêcher. La nature est au terme aussi bien qu'au point de départ.

D'autres voudraient mettre la religion à la place de l'étude et de l'art.

Ils s'appuient sur l'esprit général du christianisme, qui est, disent-ils, de faire éclater la force dans la fai

blesse, et de mettre en évidence la puissance de la vérité dans l'absence et à l'exclusion des moyens purement humains.

donner

Cet esprit général du christianisme, bien loin de le nier, nous aimons à le proclamer. Mais comment y resterons-nous fidèles? Ce sera sans doute en ne donnant pas la chair pour auxiliaire à l'esprit ; car ce serait lui pour auxiliaire son ennemi mortel, appeler la mort au secours de la vie, prendre un obstacle pour un instrument. Maintenant, il est question de savoir si l'art appliqué à la prédication est un auxiliaire charnel, un instrument à contre-sens du but qui nous est proposé. Mais cet art, de quelque nom que vous l'appeliez, n'est autre chose que l'observation, la réflexion, l'expérience appliquées à l'exposition de la vérité. Proscrivez-vous tout ceci? Ne sont-ce pas, au contraire, les auxiliaires naturels de la vérité? Et les mettre à son service, n'est-ce pas tout simplement lui rendre ce qui lui appartient? Eh quoi! c'est par leur moyen que nous avons appris, que nous avons reconnu la vérité; nous les avons appliquées, sous une direction divine, à nous persuader nous-mêmes, et il nous serait défendu de les employer à persuader les autres! Vous aurez plutôt fait de dire (pourvu toutefois que vous le prouviez) que l'homme ne doit être pour rien dans l'œuvre du ministère ; qu'il faut qu'il se borne à réciter les paroles inspirées; en d'autres termes, qu'il est convenable de supprimer la prédication; mais si vous accordez que le prédicateur est un homme, il faut que vous trouviez bon qu'il s'applique et se mêle tout entier à son œuvre; que, dans

« PreviousContinue »