Page images
PDF
EPUB

victime quelques tortures; résignée, elle expire sur la roue en appelant son Seigneur et en le bénissant.

Le soleil d'Afrique accomplit sa course journalière, mais il n'ose profaner de ses rayons les restes sacrés exposés à leur ardeur. La rosée de la nuit tombe, les brouillards du soir s'élèvent, ils respectent ce corps et le laissent intact. Les animaux du désert rugissent au loin et rôdent à l'entour; les vautours épient leur proie du haut des rochers; aucun n'ose approcher. Les étoiles, comme des lampes funèbres, scintillent au-dessus de la jeune martyre; la lune répand autour d'elle sa lumière argentée; les signes de la mort n'apparaissent nulle part!...

Le soir succède au jour, et le jour à la nuit. L'aube commence à poindre, elle éclaire peu à peu le paysage, et bientôt on distingue les formes de cinq hommes qui n'étaient pas là la nuit d'auparavant. Ils semblent venir de la montagne et doivent posséder un courage peu ordinaire pour avoir osé affronter la dent des bêtes sauvages pendant la nuit, et la rage de la populace pendant le jour. L'un d'eux s'avance seul, les autres restent en arrière, porteurs d'une sorte de bière ou litière. Lui, les yeux baissés, les mains tordues par la douleur, tressaille et recule en apercevant les traits de la jeune martyre. La dernière fois qu'il l'a vue, elle était dans tout l'éclat de sa beauté terrestre, dans toute la vigueur et l'élévation de son intelligence!... Mais il faut se hâter. Un signe appelle ses compagnons: deux d'entre eux soulèvent le corps, et, le plaçant dans la bière, ils s'éloignent promptement, tandis qu'Agellius contient, avec les deux autres, la populace qui voudrait les poursuivre. Après une lutte de courte durée, il s'engage à son tour dans les sentiers par lesquels les premiers ont disparu. Le corps heureusement rendu dans la caverne où sont réfugiés les chrétiens persécutés, on le dépose devant l'autel, et l'évêque Cyprien vient y célébrer la messe. L'hymne d'actions de grâce entonné par les assistants n'est pas encore achevé, que déjà un miracle s'opère.

Dix années plus tard, Pèce est mort, la paix est rendue à l'Église, un évêque gouverne les chrétiens de Sieca, dont le nombre s'est considérablement accru depuis la mort de Callista. Une belle église s'élève dans la ville, le corps de la jeune martyre y repose.

[ocr errors]

Quant à Agellius, on croit qu'il devint plus tard évêque de Sicca, et qu'il souffrit le martyre lors de la persécution ordonnée par Diocletien. Par ses soins, le corps de Callista avait été déposé sous le maître-autel où l'évêque célébrait chaque jour la messe, et où, après sa mort, on le plaça lui-même.

Tel est, fort en abrégé, le livre composé par le R. P. Newman. Pour lui rendre toute la justice qui lui est due, il faudrait que l'analyse pût reproduire en son entier les différentes beautés qu'il renferme et que nous ne pouvons qu'à peine indiquer ici.gure name

1

El Quoique le but de l'auteur soit bien plutôt de nous présenter le tableau des mœurs chrétiennes au troisième siècle que de nous donner une étude des passions et des caractères, il n'en a pas moins tracé celui de Callista avec une vérité pleine de grâce et d'énergie. On sent que la tristesse et l'ennui -qu'elle éprouve sont bien ceux que devaient connaître des âmes d'élite à cette époque de transition, dégoûtées qu'elles étaient des foltes et sensuelles er

reurs du paganisme et aspirant vaguement aux pures voluptés du spiritualisme chrétien. Quant au caractère d'Agellius, nous ne partageons pas le sentiment de ceux qui le trouvent trop peu accusé. Callista est l'héroïne; c'est elle qui doit attirer, enchaîner l'intérêt du lecteur; qu'il montre plus de résolution, plus de fermeté, et il lui ôte tout son attrait. Conduite par lui, elle n'aurait plus à chercher sa vie, et nous serions privés du spectacle si beau d'une âme droite repoussant l'erreur qu'elle méprise, appelant, sans pouvoir encore la proclamer, la vérité qu'elle ignore, mais qu'elle pressent. Ne l'oublions pas, c'est la faiblesse relative d'Agellius qui fait la force et l'originalité de Callista.

Ce livre possède d'ailleurs un mérite qui, à nos yeux, dépasse tous les autres; c'est le charme vraiment chrétien répandu dans toutes ses pages, la simplicité, la pureté des sentiments qui y sont exprimés, et ce suave parfum de résignation et d'amour qui inspire au lecteur le désir de servir Dieu plus efficacement, et lui fait éprouver comme un avant-goût du repos dont jouissent les élus. Sans doute, ce n'est pas un roman dans le vrai sens du mot; mais c'est un ouvrage d'une lecture attachante et qui ne laisse après soi que des émotions salutaires.

AUDLEY.

BIBLIOGRAPHIE FRANÇAISE

LE ROMAN DE JEHAN DE PARIS. Paris, 1 vol. in-16. Jannet, 15, rue Richelieu. POÉSIES INÉDITES DE RONSARD, 1 vol. in-8°. Aubry, 16, rue Dauphine. ŒUVRES COMPLÈTES DE SAINT-AMAND, 2 vol. in-16, Jannet, 15, rue Richelieu.

<«< Or sus, ma damoiselle, dit le page à la fille du roi, je vous monstrerai le plus chrestien et le plus noble que vous vistes oncques. Regardez là, en bas, celuy qui porte un petit baston blanc en sa main, et un collier d'or au col, regardez comme il est beau personnage et gracieulx, c'est Jehan de Paris. » C'est par lui que je veux commencer ces quelques pages de bibliographie. Aussi bien ce roman de Jehan de Paris est-il un des plus charmants ouvrages de notre vieille littérature, un de ceux, en même temps, qui n'ont jamais pris, dans l'histoire littéraire, la place qu'ils doivent occuper.

Au moment de son apparition, dans la première moitié du seizième siècle, il courait la même fortune que la plupart des œuvres qui naissaient à cette époque des inspirations du moyen âge, une triste fortune à coup sûr; mais il eut, comme les plus belles choses, le pire destin. Sa brièveté le condamnait, même aux yeux des derniers disciples des trouvères, à passer inaperçu à

côté des grands romans de chevalerie. Puis c'était une œuvre chaste et honnête; les pantagruelistes de nature, et ces personnages très-illustres dans lesquels maistre François, bientôt triomphant, allait trouver un si favorable auditoire, les descendants de ces sots aimant tavernes, jeux, esbats, au xquels Gringore avait dédiéses farces, tous ces bons rustres, suppôts de Roger Bon-Temps que Collerye appelait à sa suite, cette troupe n'était pas faite pour comprendre un tel roman. Il était naïf aussi, simple, composé dans le goût ancien, sans emphase, sans recherche; il n'avait pas le moindre bruit discordant à opposer aux harmonies de la Pleïade. Or, en ce temps, comme en tous les temps de belle et maniérée poésie, il n'y avait de place que pour la haute rhétorique et pour son contraire la fantaisie triviale, aux tons chauds, aux inventions ardentes et grossières. Enfin l'auteur, dès les premiers mots de sa préface, annonçait qu'il n'aimait point les paroles dissolues; il n'y avait donc pas à espérer de lui quelques-unes de ces gaietés traditionnelles sur les moines et les nonnains: les écrivains huguenots n'avaient ni attention ni louanges à lui donner. Dès lors les trois écoles de camaraderie littéraire lui manquant à la fois, je veux dire la Pleïade, les pantagruelistes et les huguenots, la secte des politiques de Michel de l'Hospital n'ayant aucun intérêt à le protéger, et la grosse bourgeoisie des métiers lui préférant les vieux romans remis au goût du jour, l'ouvrage était, au moment même de sa na issance, condamné à une vie obscure. Mais il flattait l'amour-propre national; son langage, ses idées, son art, le peuple les comprenait et les aimait; et, si Jehan de Paris ne parut jamais à la cour des Valois, du moins joua-t-il un grand rôle dans les veillées populaires. Il fut peut-être le plus admiré de ces types que la Bibliothèque bleue faisait connaître aux petits bourgeois et aux paysans.

A mes yeux c'est une œuvre vraiment française; elle a échappé au latinisme du quinzième siècle, elle ne touche par aucun point à ces littératures que devaient nous faire, au seizième siècle et au commencement du dix-septième, le grec, l'italien, l'espagnol; à ce titre, malgré sa brièveté et son obscurité, elle occupe une place importante dans l'histoire de notre litté

rature.

En dehors même de cette importance historique et du grand rôle qu'elle joua dans les imaginations populaires, elle me paraît encore un des produits les plus parfaits de la littérature des conteurs, elle peut être considérée comme le spécimen le plus complet de la Nouvelle chevaleresque. Si toute comparaison n'était pas périlleuse entre des ouvrages d'écoles si différentes, séparés par un si grand laps de temps, créés par des esprits divers, influencés par des mœurs, par un état de société tout contraires, je serais tenté de comarer cette nouvelle du quinzième siècle avec la plus jolie des nouvelles de ce temps-ci, avec Colomba de M. Mérimée. C'est le même fini, la même pureté de forme artistique, la même marche, claire, logique, naturelle. C'est des deux côtés le drame développé sans recherche, sans soubresauts, la mise en scène simple, attachante, sans l'emploi de cette science banale et routinière, qui arrange froidement, laborieusement des péripéties tortueuses, bruyantes et compliquées. C'est enfin la même méthode qui prend l'esprit sans le surprendre; qui, par le développement normal des caractères et de

l'action, mène doucement et sans malaise l'intelligence jusqu'à l'intérêt le plus profond. Ici la comparaison s'arrête, la nouvelle du quinzième siècle appartenant, comme je l'ai dit, à l'art naïf, populaire et bourgeois. Elle est écrite, d'ailleurs, par un esprit qui ne touche pas au génie, qui est porté par les traditions de son art plutôt que maître de cet art, et qui surtout paraît posséder plutôt le don naturel que la science du style.

On ne peut, sans injustice, analyser un tel ouvrage. Tout le charme est dans les détails, presque tout le mérite dans la sérénité de l'action. On sent la gentillesse de l'esprit, le style donne de la sympathie pour l'auteur; les scènes se succèdent, chacune entourée de sa véritable lumière, celle-là claire, douce et joyeuse, celle-ci brillante, l'autre naïve, la suivante spirituelle. Mais l'idée n'est jamais profonde, l'émotion ne s'y rencontre guère, les événements ne sont ni nombreux ni saisissants, la donnée philosophique est presque nulle. Ce livre n'a donc pas été fait ni pour le poëte ni pour le penseur, l'auteur l'indique nettement : « Pource que notre pauvre fragilité est bientôt lassée à lire les choses salutaires, j'ai voulu mettre par écrit une histoire joyeuse. » Il a parfaitement réussi. Mais le sourire ne se raconte pas et les histoires joyeuses sont comme le sourire, elles échappent à l'analyse. Le Critique peut les prendre comme le Naturaliste prend la fleur pour la mettre dans son herbier, mais toute flétrie; je ne serai point si cruel et je vous dirai comme disait le page à la fille du roi : « Regardez celuy qui porte ung collier d'or au col, regardez comme il est beau personnage et gracieulx, c'est Jeban de Paris. »

Je crains bien que cette œuvre n'échappe à l'érudition comme elle échappe à l'analyse, et j'avoue que je n'ai rien de précis à indiquer quant à son origine, sa date et son auteur; jusqu'à ce qu'un heureux hasard nous mette sous les yeux quelque manuscrit ou quelque renseignement contemporain, je crois que ces questions resteront sujettes à controverse. Dans un tel récit où la fantaisie et l'imagination jouent le principal rôle, où l'auteur a évidemment arrangé au gré de son caprice les données de l'histoire, les noms et les positions historiques qu'il indique n'offrent au critique qu'un 'point de départ fort fragile. Les costumes qu'il dépeint ne sont pas assez particularisés pour qu'on y puisse trouver une date authentique. Le langage lui-même n'offre pas de preuve bien positive pour qui connaît la méthode des imprimeurs du seizième siècle, pour qui sait combien facilement en ce temps de transition ils donnaient à chaque nouvelle édition d'un ancien ouvrage l'orthographe et le style de la date de l'impression. Ces divers renseignements sont pourtant les seuls que nous puissions consulter, tout en interrogeant cependant et avec soin les habitudes générales et traditionnelles de la littérature du moyen âge.

Je ne pense pas que la version actuellement connue du roman de Jehan de Paris soit l'œuvre originale. A partir de la fin du quatorzième siècle, la littérature romanesque n'invente plus guère, elle arrange, allonge ou abrége et met en prose les anciens poëmes. L'imagination joue un rôle inférieur à cette époque et les conteurs eux-mêmes se bornent à répéter les vieux fabliaux, à raconter les scandales contemporains. Notre roman, comme œuvre d'imagination et comme roman écrit tout d'abord en prose, serait donc une

exception à la fin du moyen âge. J'aime mieux prendre au sérieux l'assertion de l'auteur annonçant qu'il a voulu recueillir les choses anciennes, qu'il l'a fait en se tenant le plus près possible de la vérité, qu'il va mettre une histoire par écrit. Je sais que les poëtes des siècles précédents aimaient à persuader à leurs auditeurs qu'ils avaient consulté de vieilles chroniques; mais la raison de cet usage, de ces prétentions à la science, n'existe plus au seizième siècle. Il semble, du reste, qu'on aperçoit çà et là, dans l'œuvre que nous étudions, l'influence de deux esprits différents : celui du dernier rédacteur et celui d'une tradition antérieure. Nous nous bornerons à indiquer comme preuves ces quelques plaisanteries gaillardes qui tranchent si completement avec le ton général de l'œuvre, avec la méthode ordinaire, l'esprit personnel, et les intentions bien clairement annoncées de ce dernier rédacteur. Ce sont là, si je ne me trompe, des gaietés plus anciennes, des folâtreries imposées par une copie précédente.

La tradition première de cette histoire serait, à mon sens, contemporaine de Froissard et de Charles V. Ce roi qui s'en va en Espagne punir des barons révoltés et qui prend la cause du roi d'Espagne parce que les rois de France sont naturellement les défenseurs de toute noblesse, de toute royauté, de toute justice, ce roi n'est plus un roi de l'époqué féodale, mais ce n'est pas non plus le roi faible et humilié du quinzième siècle. Il n'a pas encore oublié ces habitudes des héros Carlovingiens qui passent si souvent les Pyrénées en Souvenir de Roncevaux et en haine des Sarrasins, mais il y va surtout en vainqueur. L'imagination qui a créé un tél roi connaissait les relations fréquentes de la France avec l'Espagne au quatorzième siècle, et elle était toute fière du rôle que du Guesclin venait de jouer dans Castille et dans Aragon. D'autre part ce vieux roi anglais, sot et ridicule, traité ironiquement, mais sans haine ni amertume, n'a pas pu naître dans la littérature française après le farouche Henri V et les insolences de la domination anglaise. Il est bien le roi des ennemis, sans doute, mais des ennemis non encore et il victorieux, represente bien l'opinion que l'esprit populaire pouvait se faire de ces ennemis sous Charles V.

[ocr errors]

Si de cette tradition, première origine du roman, nous passons à la version qui vient d'être publiée, là encore nous nous trouvons en présence de l'hypothèse, et la date de la composition nous offre un champ assez large. Les indications historiques donnent deux points extrêmes d'une part nous trouune part nous frou vons 1327 et 1336 puisqu'il y est parlé des dues d'Orléans et de Bourbon, et que c'est à ces dates que ces titres apparaissent pour la première fois. A l'autre extrémité de l'hypothèse il nous paraît sage de prendre soit 1498, soit 1527. L'auteur n'eût pas en effet osé ranger le duc de Bourbon parmi les fidéles serviteurs du roi de France après la trahison du connétable, et je doute même que ce respect plein de délicatesse et de vénération qu'il montre envers la royauté lui eût permis de mettre un duc d'Orleans parmi les trèshumbles serviteurs du roi, lorsque c'était la famille de ces ducs qui occupait à son tour le trône de France sous Louis XII et François Ier. Ce serait done avant 1498 qu'il faudrait faire remonter la date de notre roman. Le style, lui, à part quelques mots plus anciens, indique bien la fin du quinzième siècle, et le dialecte parisien de cette époque. If offre quelques tour

« PreviousContinue »